Comment faire un film politique sans démontrer, c’est-à-dire sans ennuyer ou ne chercher à convaincre que les convaincus ? Par les moyens du cinéma. C’est la tentative d’Agnès Fouilleux dans Un aller simple pour Maoré et le pari est plutôt bien tenu. L’enjeu était de rendre compte du drame des kwassa-kwassa (littéralement : ça secoue, ça secoue), ces barques qui traversent les 70 km séparant l’île d’Anjouan de Mayotte (Maoré), sans tomber dans le pathos ou le spectacle. On parle beaucoup des brûleurs africains qui tentent de passer la Méditerranée mais bien peu de ces Comoriens qui cherchent à rejoindre la quatrième île de leur archipel, annexée par la France et que les Nations Unies n’ont jamais reconnue comme française depuis qu’en 1975, les quatre île y ont été admises en tant qu’Etat des Comores. L’assemblée générale de l’ONU condamnera la France 21 fois puis a fini par laisser tomber
Lorsqu’en 1994, le gouvernement Balladur instaure un visa obligatoire pour les Comoriens qui veulent se rendre à Mayotte, donc chez eux, les kwassa-kwassa font leur apparition. Les naufrages se multiplient et le nombre de morts augmente…
Partie intégrante de l’Union indépendante des Comores de par sa constitution, l’île est également inscrite comme collectivité départementale d’outre-mer dans la constitution française et un référendum est prévu en mars 2009 en vue de la départementalisation du territoire. La police intercepte les kwassa-kwassa, qui retournent en avion quotidiennement
Diverses mesures de répression et une traque permanente empêchent les Comoriens non-inscrits comme Mahorais de profiter des soins de santé, de travailler, d’évoluer librement, etc. On remplace la nécessaire coopération régionale par un repli sur une zone protégée dont le relatif bien-être attire ceux qui la côtoient, fixe ceux qui en profitent
Un équilibre s’impose habilement entre les explications d’un journaliste engagé, des témoignages multiples, des bribes de reportage, des références mais sans en rajouter aux barbouzes mercenaires de triste mémoire (cf. notre dossier : Archipel des Comores : un nouvel élan, Africultures n°51), et surtout une attention constante aux hommes, au douloureux vécu des uns et des autres, aux malaises, à l’exploitation des sans-papiers, aux contradictions ambiantes, tandis qu’un montage sonore inattendu évoque les drames en entremêlant des nouvelles de la radio et des chansons locales. Le retravail de certaines images imprime lui aussi une tension qui ouvre les oreilles, de même que l’insert de flashs évocateurs.
Un point de vue donc, mais sans rapport avec l’habituelle dualité des dénonciations du cinéma militant. Pourtant, tout le monde a tourné la tête quand Agnès Fouilleux a cherché le financement de son film. Sujet trop délicat, chape de silence
C’est donc avec ses propres moyens, sur la durée (deux ans) qu’elle a pu le faire, un effort finalement récompensé par une diffusion sur France Ô. Bien lui en a pris : le résultat est passionnant et nous ouvre les yeux sur des réalités bien discrètes dans nos médias, ou clairement manipulées.
///Article N° : 8395