Youssoupha trois odes à Kinshasa

Le fils de Tabu Ley Rochereau de retour au pays

Print Friendly, PDF & Email

Vendredi 29 novembre 2013, France Ô diffusait un documentaire de Fabrice Castanier retraçant le retour de Youssoupha à Kinshasa pour un concert événement. Le « prims parolier », auréolé du succès de son dernier album, Noir D****, communiait pour la première fois avec le public kinois. Moins de vingt-quatre heures plus tard, on apprend le décès du « lyriciste bantou », le seigneur Tabu Ley Rochereau, le père du rappeur.

Sobrement intitulé Youssoupha, Bomayé ! Retour à Kinshasa, le documentaire s’ouvre sur l’artiste dans sa loge devant un miroir, une gestuelle de boxeur, le poing sur sa bouche évoquant autant le micro que « l’art noble ». L’on retrouvera en permanence dans le film et dans la carrière du rappeur cette référence. Elle n’est pas seulement dans la reprise de « Bomaye », la scansion avec laquelle les Kinois encourageaient Mohamed Ali en 1974 mais aussi dans son rapport avec le rap : « je boxe avec les mots » lance-t-il. Réalisé en marge du tout premier concert kinois de Youssoupha en juin 2013, prenant le retour comme prétexte, le film raconte, sur un ton intimiste, son histoire depuis la maison familiale jusqu’à la scène.
Si Youssoupha clame se sentir partout chez lui, c’est sûrement à Kinshasa que se trouvent ses racines. Son arrivé sur le tarmac de Njili le prouve : quelques phrases en lingala qui redisent son amour pour la ville, suivies des retrouvailles mouvementées avec une foule de curieux manifestant cette effervescence kinoise qui semble le toucher. La voiture s’enfonce dans la nuit, traverse toute la ville sous les commentaires émus du rappeur. Première escale, l’école française de Kinshasa où l’arrière petit-fils français d’un ancien fonctionnaire colonial sénégalais a commencé sa scolarité. Profitant de la gratuité des études, poussé par une mère intransigeante sur la question scolaire, le jeune Youssoupha termine son cycle primaire et s’achève pour lui le régime de « gratuite ». Pour la mère, la solution la plus judicieuse, c’est que son fils rallie la France et son école publique. À dix ans, le jeune Youssoupha, muni de la nationalité française en héritage, quitte sa ville natale, ses amis, sa famille et son quartier. Deuxième escale, la maison familiale : une horde d’enfants pourchassant la voiture, s’accrochant à la roue de secours et une arrivée tambours battants. Youssoupha est porté en triomphe par les habitants du quartier, il est hissé sur un tipoï sous les ovations d’une foule qui crie Bomaye comme en 1974. Ce passage par la case départ, avant de « gester » devant l’impatient public kinois, est un nécessaire ressourcement autant que la visite du mythique stade ayant accueilli le combat du siècle. Ce qui est déjà un symbole fort pour celui qui voit un modèle dans Mohamed Ali, aura une valeur supplémentaire lorsque l’ancienne salle de boxe abritera dans quelques mois le siège social kinois du label « Bomaye Music. »


Tous ces moments de gloire, illustrés par l’insertion des éléments du concert montrant un public euphorique, sont balancés par des instants de nostalgie. Elle est dans les images multiples de la ville (la rue, le fleuve) mais aussi lorsque Youssoupha parle de ses débuts dans le rap, ses rencontres et sa famille. Tout le film se construit d’ailleurs sur une articulation entre le privé et le public sans verser dans un voyeurisme indécent. La traversée motorisée de Kinshasa accentue l’effet général d’une distante immersion. Il y a comme souvent, des plans un peu trop appuyés sur ces anormalités tropicales (le pousseur d’un chariot trop chargé, un engin industriel dans les rues, des gamins ahuris et torses nus, etc.) Mais il porte malgré tout une véritable charge de sincérité. À ce sujet l’évocation de la figure paternelle restera sûrement un gimmick. Youssoupha se méfie de l’héritage artistique du Seigneur Rochereau, trop lourd à porter : « il a beaucoup trop d’avantage sur moi, c’est une icône, dit-il. On est dans une dimension qui [me]dépasse juste l’activité artistique, juste la simple considération de musicien […] il est passé à un niveau icône où je ne me compare pas à lui. » L’hommage d’un fils à son père résonnera différemment depuis le 30 novembre. L’auteur de mokolo nakokufa (1) n’a plus à se montrer angoissé devant la mort, elle est arrivée sur son lit d’hôpital où il luttait contre un AVC depuis deux ans. Certains de ses enfants, à l’instar de Youssoupha, mais aussi Péguy Tabu, Mélodie et Bébé tous engagés dans une carrière musicale continueront toujours à sampler les inaltérables disques de leur illustre père.

1. trad. : « le jour où je mourrai » une des plus célèbres chansons de Tabu Ley dont une version traduite en français figure dans les manuels scolaires en RDC.///Article N° : 11911

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Un commentaire

  1. Je ne commente pas trop car en cherchant à faire un long commentaire je risque de perdre le sens de mon commentaire.
    A toi mon rapeur préféré en écoutant je me noye dans le berceau de la connaissance elle même.
    Merci pour tes sages conseils qui me mettent en hilarité.

Laisser un commentaire