2 novembre 2007 : 173ème anniversaire de l’arrivée des engagés à Maurice

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Le 2 novembre s’est tenue une cérémonie de commémoration de l’arrivée des travailleurs engagés à Maurice, au lieu symbolique de l’Aapravasi ghat, Port-Louis, en présence de Navin Ramgoolam, premier ministre de la République de Maurice, de madame Meira Kumar, Ministre de la Justice Sociale de l’Inde et d’autres personnalités.

Un site a maintenir sur la liste du Patrimoine Mondial
Raju Mohit, en tant qu’officer in charge du ghat, prononça un véritable plaidoyer pour le site.
En faveur du respect du cahier des charges stipulé par l’Unesco, qui, l’an dernier, classa le site au Patrimoine Mondial de l’Humanité, le ton de son message laissait percevoir un réel souci du maintien du ghat au sein de cet organisme, car, encore inexpérimenté en matière de gestion d’un site classé au Patrimoine Mondial de l’Humanité, le pays a pris du retard, notamment, en ce qu’il s’agit de la zone tampon qui doit enserrer le ghat dans un espace urbanistique et architectural avec des paramètres précis. Il me semble que cette obligation liée a la zone tampon, surtout dans un périmètre réunissant le marché central, la grande poste, le centre des affaires, le quartier chinois et la Jummah Mosque, devenu le théâtre de constructions de gratte-ciels, aura le mérite de préserver ce cœur historique de Port-Louis, qui, autrement, serait laissé à la merci de promoteurs immobiliers peu regardants sur l’harmonie architecturale de la capitale mauricienne. L’on sait le peu d’égards manifesté par les « développeurs » face au patrimoine quant il s’agit de réaliser des opérations juteuses. Je pense que ces exigences de l’Unesco auront un effet pédagogique certain sur les pratiques en matière d’immobilier et d’urbanisme à Maurice.
M. Mohit a aussi, avec gravité et raison, tiré sur la sonnette d’alarme, demandant aux responsables politiques de tout mettre en oeuvre afin que le site, qui connaît d’autres retards et tâtonnements au niveau de sa mise en valeur et de son centre d’interprétations, reçoive tout le soutien de l’état, en vue de faire du ghat un site vivant, agissant sur le présent, en refusant de se laisser cantonner dans un rôle passéiste.
Ce message fort, dit avec un enthousiasme non feint, est de bon augure, car il souligne la nécessité de faire du ghat un haut-lieu de la mémoire, certes, mais aussi, un symbole vivant au cœur de la Cité.
L’ethos indien
Lui succédant, Madame Meir, Ministre indienne de la Justice Sociale, originaire de l’état du Bihar, d’ou provinrent de nombreux engagés, évoqua son attachement sentimental puissant et celui de son pays par rapport au ghat et à Maurice, rappelant que, dans le sillage de cette grande migration, aujourd’hui, de par le monde on retrouve des engagés d’une autre nature, par exemple des cyber coolies, des ingénieurs de la NASA… Elle rappela que l’Inde, aujourd’hui pays en pleine ascension économique, regroupe ces enfants de l’exil au sein du GOPIO (Group of People of Indian Origin), s’appuyant sur 20.000.000 d’ « indiens » de par le monde, en vue de créer une convergence autour de ce qu’elle appela l’ethos indien, c’est-à-dire, une éthique forgée sur la simplicité, la tolérance et le dur labeur. Elle cita un aapravasi célèbre, en la personne du Mahatma Gandhi, qui en 1901, fit ses premières armes en Afrique du sud, en tant qu’immigré. Je me rappelle que c’est lui qui milita pour l’abolition de l’engagisme, ayant pris toute la mesure des iniquités de ce système.
Puis, avec émotion, Mme Meir évoqua une communauté des destins entre l’Inde et Maurice, basée, et c’est la une déclaration capitale, sur la diversité. Oui, la diversité des cultures, des langues, des religions, mosaïques que les Indes et Maurice partagent comme une réalité humaine et socioculturelle, et cela me fit grand plaisir. Et Mme Meir soutint que ces deux pays ont démontré que la diversité n’est pas un frein mais un accélérateur du développement. Message auquel j’adhère pleinement, car, j’ai toujours soutenu que, dans notre monde contemporain, il fallait rappeler sans cesse que les terres ancestrales ne sont point monolithiques, que l’Inde, c’est les Indes avec les richesses de ses diversités. Et que ce terreau contient l’humus transculturel nécessaire à la fluidité de notre Terre.
Les vicissitudes de l’engagisme
Navin Ramgoolam, le premier ministre mauricien, très serein, rappela, quant à lui, l’historique du « great Experiment » que fut l’engagisme, cette grande expérience que tentèrent les britanniques en 1834, à l’abolition de l’esclavage. Le succès de cette expérience de main-d’œuvre dans la globalisation amorcée dans l’océan Indien eut pour effet de modifier le cours de l’Histoire de la Guyane, de Fiji et de Trinidad, en sus d’autres contrées. C’est dire l’importance de Maurice comme carrefour mondial des migrations des coolies. 2 millions d’engagés, de l’Inde, de Chine, d’Afrique et d’Europe sillonnèrent les plantations ou les trous à guano du monde pour un pécule misérable, goûtant un traitement amer infligé par d’anciens esclavagistes.
Ramgoolam mit l’accent sur la résistance non passive – rompant avec un stéréotype du bon indien malléable – des engagés. Ils vinrent avec des livres, et s’assemblèrent dans la baitka, lieu de résistance culturelle des engagés. Mais ils se rebellèrent aussi. Ces « bêtes de somme » s’enfuirent du joug du maître, furent des pétitionnaires. Souvent, ce fait est mal connu, ils furent enfermés dans le dépôt des vagabonds, car ils ne jouissaient pas de liberté de mouvement, rappelant la traite des noirs. Pour aller à un enterrement ou un mariage, ils devaient obtenir un « pass » de leurs maîtres…
J’avais signalé ce fait à maintes reprises, en schématisant une comparaison entre la traite et l’engagisme, soulignant que l’esclave marronnait et que le coolie vagabondait. Mise en relation à faire entre les mémoires de la traite et de l’engagisme, et que j’appelle de tous mes voeux.
Le Premier ministre rendit un hommage à l’effort de l’émancipation des coolies par l’éducation et le fait politique, notamment au travers du Parti Travailliste. Il conclut en rappelant que la marche en avant des descendants de l’engagisme ne saurait être entravée et qu’il était nécessaire de libérer le potentiel du peuple mauricien.
Allusion subtile faite au contentieux actuel autour des terres, des négociations autour du sucre, et des tensions nées sur la démocratisation de l’économie entre son gouvernement et les franco-mauriciens.
Le Premier Ministre rétablit donc ce lien entre passé et présent sur le champ politique et économique, avant de conclure sur une note plus symbolique : le ghat est un lieu unique. En tant que seules structures survivantes au monde de la « grande expérience », en tant que lieu ayant contribué a l’histoire collective de l’humanité, et comme symbole de la genèse de la nation mauricienne.
Le ghat : un motif de fierté pour tous les mauriciens
Au midi de cette cérémonie, menant à une pièce de théâtre en bhojpuri et une danse indienne, superbement réalisées, je suis convaincu que tous les mauriciens ont éprouvé ce matin un sentiment de fierté. Oui, le ghat nous invite à nous rassembler autour des valeurs de cet humanisme mauricien qui doit émerger en face des nouvelles expériences de main-d’œuvre de la globalisation.
Khal Torabully

© Khal Torabully, 2 novembre 2007, Maurice///Article N° : 7059

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