#5 « Que serait le Brésil sans les musiciens et les architectes noirs du Baroque ? »

Zoom Fenêtres lusophones

Relations Afrique/Brésil, volet 1 : "traces noires" au Brésil
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Les liens entre le Brésil et l’Afrique ont été très étroits pendant des
siècles, tant que le Brésil était sous colonisation Portugaise : à titre
d’exemple, 100 % des exportations angolaises (hommes et biens) partaient vers le Brésil. À partir de 1822, suite à son indépendance, le Brésil se rêve comme une nation blanche et met complètement de côté ses racines africaines. En 1996 est instaurée la loi 10639, qui rend obligatoire l’enseignement de l’histoire et de la culture afro-brésilienne dans les écoles du pays. Le Brésil est-il enfin réconcilié avec sa partie « noire » aujourd’hui ? Nos « fenêtres lusophones » des mois de mai et juin explorent les relations passées et présentes du Brésil et de l’Afrique, à travers une première sur les traces noires au Brésil, et une seconde sur les relations actuelles du « géant brésilien » avec le continent africain.

Jean-Yves Loude, écrivain et ethnologue, emmène le lecteur, dans son livre Pépites Brésiliennes (1), sur les traces de figures noires et métisses de l’Histoire brésilienne, à travers un récit de voyage de trois mois. Il revient avec nous sur les parcours de quelques-unes de ces figures, et sur leur place dans le Brésil d’aujourd’hui.

Votre récit débute sur la (re)découverte du crâne de Luzia, une femme noire qui aurait vécu au Brésil il y a environ 10 000 ans avant notre ère. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela remet en cause la version traditionnelle des premiers peuplements brésiliens/sud-américains ?
Jean-Yves Loude : La découverte de Luzia en 1974 dans l’État du Minas Gerais est un fait remarquable. D’abord parce que son crâne présente un type « négroïde » et qu’une bonne centaine de squelettes de mêmes caractéristiques a été trouvé dans le même emplacement : Lapa Vermelha IV. Nous avons affaire à un groupement de chasseurs-cueilleurs dont la présence sur le continent américain mérite une autre explication que celle admise jusque là : la migration de peuples venus de Mongolie ou Sibérie à travers le Détroit de Béring.
Luzia, ainsi baptisée en raison de sa découverte la même année que Lucy par Yves Coppens, reste à ce jour le plus vieil ancêtre des deux Amériques. Sa mort, estimée aux alentours de onze mille ans avant notre ère, remonte à une époque antérieure aux migrations à travers Béring. Par ailleurs, les peintures rupestres du site de Pedra Furada, dans l’État du Piaui, attestent une présence humaine au Brésil à des périodes encore plus anciennes. Des pierres taillées datant d’environ 22 000 ans et des charbons estimés à 48 000 ans avant notre ère y ont été trouvés.
Le journal Le Monde du 28 avril 2015 consacrait un article sur ces données qui remettent en cause les théories établies. Il se pourrait bien que les premiers peuplements de l’Amérique soient dus à des traversées fortuites rendues possibles par les vents favorables et les courants naturels qui poussèrent (et poussent toujours) les embarcations des côtes d’Afrique aux rivages du Pernambouc au Brésil. Comme en firent l’expérience des pêcheurs cap-verdiens en panne d’essence, retrouvés, parfois vivants, près des côtes du Brésil.
Niede Guidon, responsable du Musée de l’Homme Américain, au site de Pedra Furada, Serra da Capivara, Piaui, admet la possibilité de dérives maritimes d’Homo Sapiens en des temps encore plus reculés. D’où, peut-être, la présence de Luzia et de « son peuple », onze mille ans avant notre ère, dans les environs de Belo Horizonte. L’Histoire officielle doit être mise en doute et revisitée. L’aventure humaine n’en est que plus fascinante.

Pourriez-vous en quelques mots nous expliquer le concept de « pépite brésilienne » dans votre livre ?
J.-Y. L. : Le choix du mot « Pépites » s’appuie sur la valeur symbolique de l’or qui fit courir maîtres portugais et esclaves vers le Minas Gerais dès la fin du XVIIe siècle, abandonnant les plantations de cannes à sucre du littoral brésilien dans l’espoir d’une richesse encore plus grande. J’ai voulu détourner le terme « Pépites », associé à cette ruée vers l’or, et m’en servir pour qualifier un autre trésor, celui du génie humain qui, par sa résistance et sa créativité, permit la construction de cet immense pays devenu le Brésil. Je revendique le choix très personnel de me focaliser sur l’apport des Africains, Noirs, Afro-descendants, Afro-Brésiliens… à l’édification de l’identité du Brésil, même si je tiens compte des traditions des Indiens, premiers occupants du territoire, et de la culture portugaise, véhiculée par les colons.
Mon parcours littéraire, pendant vingt ans, est celui d’un enquêteur traquant les épisodes occultés de l’Histoire des Afriques, du Mali au temps des découvertes portugaises, aux territoires des rencontres forcées entre Afrique et Europe, comme le Cap-Vert, les îles de São Tomé et Príncipe et la « Lisbonne noire ». Il était naturel que le cinquième ouvrage de cette série d’enquêtes littéraires publiées par Actes Sud soit consacré au Brésil, second « pays noir » du monde, après le Nigéria, où quatre millions et demi d’Africains esclaves furent débarqués « vivants ».
« Pépites brésiliennes » leur est dédié ainsi qu’à leurs descendants parce que les Noirs constituèrent longtemps la majorité de la population du Brésil (aujourd’hui 48%) et que leurs apports essentiels ne sont toujours pas revendiqués par une société qui se cache derrière la notion de « brasiliannité » pour gommer les forces créatrices initiales de chaque communauté.
Pour moi, les Pépites brésiliennes seront donc les humains, Noirs ou assimilés, vivants ou morts, qui, par leur génie, permirent à des millions d’êtres, esclaves et affranchis, de résister à l’humiliation et aux épreuves de l’esclavage. Mon intention est de souligner, livre après livre, les conséquences de ce système inique qui obligea les dominés à inventer des expressions formidables pour survivre aux abus de pouvoir.
Que serait le Brésil sans les musiciens et les architectes noirs du Baroque, sans le candomblé, les orixas, la capoeira, le samba, le carnaval ? Toutes ces expressions liées au passé des esclaves alimentèrent et nourrissent toujours la vitalité du Brésil, même si les classes dirigeantes tardent à en reconnaître la valeur fondamentale pour le bien être de la communauté dans son ensemble. Tardent à l’enseigner.

On peut répartir vos « pépites » en trois grandes catégories : les pépites « artistiques » (sculpteurs, poètes, musiciens, artisans…), les pépites « religieuses » (saints et saintes, martyres) et les pépites « militaires/politiques » (chefs de quilombos, leaders de rébellion, résistants…). Pourriez-vous choisir une ou deux figures de chacune de ces catégories et nous en parler ?
J.-Y. L. : Pépite artistique : Je choisirai d’emblée les créateurs noirs ou mulâtres du XVIIIe siècle au Minas Gerais qui bâtirent la réputation du « Baroque brésilien » dans les domaines musicaux et architecturaux. Le rôle d’artisan, méprisé parce qu’associé au travail manuel, a été rapidement dévolu à des esclaves affranchis ou à des fils bâtards de musiciens, menuisiers, sculpteurs blancs avec une concubine noire. Ces héritiers de la tradition européenne créèrent des œuvres à la fois fidèles et singulières, teintés d’apports africains qui furent tolérés en raison de leur savoir faire et de l’absence d’alternative. C’est le cas pour José Joaquim Emerico Lobo de Mesquita, considéré aujourd’hui par les spécialistes comme le « Mozart noir » du Brésil, dont on est seulement en train de retrouver les partitions et d’enregistrer les œuvres. Mais le cas le plus flagrant est celui de Francisco Lisboa, plus connu sous le sobriquet d’Aleijadinho, architecte et sculpteur d’exception, dont le nom exceptionnellement loué (sans insistance sur son origine) cache la forêt des autres artisans de l’époque. Aleijadinho, à son tour, est qualifié de « Michel-Ange noir », comme s’il fallait toujours passer par une référence européenne pour mesurer le talent du Nouveau Monde.
Pépite religieuse : L’exemple le plus extraordinaire est celui de Rosa Egipcíaca da Vera Cruz, esclave forcée à devenir prostituée (et dont les gains servaient à payer les études de séminariste du fils de ses employeurs). Rosa échappa à sa condition le jour où elle connut ses premières transes mystiques et ses conversations avec l’Esprit Saint. Persécutée par l’Église, elle fut aussi protégée par de nombreux adeptes qui rêvaient de voir s’épanouir une sainte, fût-elle noire, sur le continent américain. Ce que l’autorité de Rome n’était pas prête à admettre. Malheureusement pour Rosa (dont les visions valaient bien celles de Sainte Thérèse d’Avila), ses extravagances et ses dénonciations de l’hypocrisie des nantis lui valurent les foudres de l’Inquisition et sa déportation à Lisbonne. Cependant, ses écrits inspirés font d’elle la première des auteurs féminins du Brésil.
Pépite militaire/politique : Il faut citer dans cette catégorie la figure héroïque de João Cândido Felisberto qui dirigea de main de maître la révolte des marins qui composaient les équipages des trois navires de guerre les plus modernes du Brésil en 1910. Cette année-là, vingt ans après l’abolition de l’esclavage, les marins noirs continuaient à subir des conditions indignes : nourriture immonde, châtiments corporels… En novembre 1910, le supplice injuste d’un matelot fut la cruauté de trop. Les équipages s’emparèrent des trois cuirassés, renvoyèrent à terre les officiers blancs et pointèrent les canons sur Rio, menaçant de tirer sur la ville si leurs revendications n’étaient pas satisfaites. La direction de la mutinerie fut confiée à une homme d’une extrême rigueur, compétent et charismatique, João Cândido, connu depuis comme l’Amiral Noir. L’État fit semblant de plier devant les exigences des matelots avant de leur faire subir une redoutable répression. L’Amiral Noir fut interné, rayé des registres, effacé, pour qu’il n’apparaisse plus dans les mémoires. Il fallut cent ans, et l’élection de Luiz Iníacio Lula da Silva, pour qu’il soit réhabilité et élevé au statut (avec statue) de héros.

Comment avez-vous « sélectionné » les pépites qui allaient apparaître dans votre livre ? Cela s’est-il fait selon les contingences de votre voyage, selon vos propres coups de cœur ou selon des critères précis ?
J.-Y. L. : « Pépites brésiliennes » a donné lieu à un voyage de repérage, en 2009, à un an de recherches avant le voyage d’enquête de trois mois, fin 2010, puis à un an d’écriture. Le parcours de 5500 km, uniquement en bus, a été établi en fonction des personnalités repérées dont nous voulions retrouver la trace sur place, des lieux où les communautés noires jouèrent un rôle éminent et où elles sont toujours actives aujourd’hui.
L’itinéraire tombait sous le sens : Rio, Minas Gerais, Vitória, Salvador, Aracaju, Recife, Juazeiro do Norte (Nordeste), Conceição das Crioulas (un lieu de résistance essentiel des descendants d’esclaves), Petrolina, Piaui (pour le site de Pedra Furada), Teresina, São Luis do Maranhão. Nous comptions fortement sur les rencontres fortuites pour enrichir la liste de pépites identifiées et ajouter des figures vivantes, modernes, contemporaines à l’inventaire. Il est évident que « Pépites brésiliennes » n’est ni un catalogue ni un ouvrage exhaustif. Il reste la narration d’un voyage aventureux propice à des croisements de destins insolites, tracé par une obsession littéraire subjective, entre fantaisie romanesque et rigueur de sciences humaines.

Les pépites mentionnées dans votre livre sont, à de rares exceptions près, des personnes ayant vécu sous la période esclavagiste ou au début du XXe siècle. Pourquoi avoir choisi de s’en tenir à l’histoire et de ne pas évoquer des pépites plus contemporaines ?
J.-Y. L. : Non, je ne pense pas que le livre soit uniquement tourné vers le passé. Cependant, il semblait nécessaire de consacrer un ouvrage à l’inventaire de ces figures exceptionnelles que la plupart des Brésiliens ne connaissent pas eux-mêmes. Pour que les Afro-Brésiliens puissent jouir de respect aujourd’hui, il était urgent de mettre en lumière des êtres qui intéressent les communautés noires, mais en fait, le Brésil tout entier. « Pépites brésiliennes » raconte un voyage au cœur du Brésil actuel, s’efforce de montrer la richesse tripartite de ce pays qui a encore du mal à admettre le génie propre de ses trois composantes. Il faut explorer un passé escamoté, derrière la façade de l’Histoire officielle, derrières la muraille des clichés et préjugés, pour rendre au Brésil du XXIe siècle la brillance qu’il mérite et qu’il obtiendra dès que les richesses matérielles et culturelles seront mieux partagées. Cela dit, le couple de chroniqueurs voyageurs, Viviane, ma femme, et moi-même, passent leur temps à croiser des personnages actuels, un danseur noir à Bahia, des vendeurs de café noirs dans les rues, un plasticien, un politologue, un « tourismologue », une guérisseuse de favela, le spécialiste des Agudas (Brésiliens du Bénin), des chercheurs, une professeur d’université noire dont le parcours a été contrarié par son origine, un génie de l’Art Brut, Bispo do Rosário, qui, mort récemment, est célébré dans le monde entier…
Le livre est construit à partir d’un va et vient entre les époques selon les étapes et la progression de l’enquête dont les résultats seront remis à la fin, à São Luis do Maranhão, au dernier personnage rencontré, une femme métisse en lutte pour le respect et les droits des Noirs au Brésil : Zayda Costa, la maîtresse du culte populaire Tambor de Crioula Catarina Mina, à qui je m’adresse tout au long du récit. Zayda Costa est en fait la destinataire de cette longue lettre de 400 pages.

Dans quelle mesure ces pépites actuelles sont-elles encore porteuses d’un combat politique, social et culturel ?
J.-Y. L. : Zayda Costa est un bel exemple de ces êtres déchirés dans leur for intérieur par les difficultés toujours accumulées sur le chemin de la reconnaissance des Afro-Brésiliens. Elle lutte en se servant de la loi qui oblige chaque établissement scolaire, du Primaire à l’Université, à enseigner l’Histoire de l’Afrique et du Brésil Noir. Elle veut donner aux enfants noirs du Brésil la fierté d’être ce qu’ils sont, forts de leur héritage africain et des résultats audacieux de la rencontre brutale entre l’Europe et l’Afrique sur le territoire lointain du Brésil. Abdias do Nascimento, mort en 2011, représente la « Pépite » majeure pour le combat incessant qu’il a mené pendant presque un siècle, dans tous les domaines de la création, du théâtre, de la politique, du journalisme… Il créa au milieu du XXe siècle la revue culturelle, « O Quilombo« , dans laquelle il invita les intellectuels du monde entier à soutenir la cause des Afro-Brésiliens. Dans les colonnes de « O Quilombo« , il développa le combat pour la visibilité et le respect des Noirs, l’idée de « Beauté Noire » avant que la notion de « Black is beautiful » ne soit popularisée. Cette lutte hautement politique le conduisit en prison, en exil, mais c’est grâce à Abdias do Nascimento que le 20 novembre fut érigé comme Jour de la Conscience Noire, jour de célébration de Zumbi, le plus vaillant des résistants à l’ordre colonial, exécuté le 20 novembre 1695.
Le Brésil avance sur ce terrain de la reconnaissance de sa composante noire, mais à petits pas. On rencontre des publications (mais qui les lit ?), des départements universitaires consacrés à l’enseignement de l’Histoire d’Afrique (mais peu nombreux sont les professeurs et spécialistes). Le carnaval a retrouvé sa couleur noire, mais il a fallu qu’un « Bloc » de Bahia, Ilê Aiyê, érige des pratiques extrêmes d’exclusion (des Blancs) pour faire comprendre au pays les manœuvres de dépossession des Noirs de leurs propres inventions au bénéfice d’une nation peu reconnaissante et raciste sans oser le dire.
« Pépites brésiliennes » est en cours de traduction et devrait paraître au Brésil en 2016 (aux éditions Autêntica, NDLR) car il accompagne un combat politique, social et culturel de grande ampleur, en cours au Brésil, aujourd’hui et demain. L’acceptation détendue de la part noire du pays n’est malheureusement pas prévisible dans un immédiat proche.

Les brésiliens noirs ou métis se revendiquent-ils plus de ces pépites que le reste du Brésil, ou l’ensemble de la communauté brésilienne est-elle désormais sensible à retrouver son histoire et son identité dans son intégrité ?
J.-Y. L. : Le livre « Pépites brésiliennes » a été bien accueilli au Brésil parce qu’il opère une sorte de synthèse du sujet. De nombreux ouvrages universitaires ont été consacrés à telle ou telle figure, mais, chemin faisant, je me suis aperçu combien les « pépites » de Rio étaient peu familières aux habitants du Maranhão, et inversement. Carlos Alessandro Ujhama, jeune danseur noir rencontré à Bahia, trentenaire, intellectuel et en recherche personnelle, avoua n’avoir entendu parlé de l’Amiral Noir que lors de notre rencontre. Les statues en bronze de Zumbi fleurissent dans les villes, mais très peu de gens et de jeunes connaissent l’histoire de ce héros fraîchement « panthéonisé ».
De l’avis général, les médias d’importance ne consacrent pratiquement jamais de sujets à l’Histoire de l’Afrique ou des Afro-Brésiliens. Il y a très peu de moyens de diffusion de cette conscience noire. La valorisation de la part noire du Brésil reste un travail de fourmi. Toutefois, les militants de la cause existent bel et bien, augmentent. L’excellente revue História de la Bibliothèque Nationale consacre volontiers ses pages à la relecture du passé en sortant les Noirs de l’invisibilité. De jeunes écrivains versés dans les cultures urbaines, comme Ecio Salles et Julio Ludemir, ont réussi l’exploit de monter des Fêtes du Livre de première importance dans les Favelas non pacifiées, convoquant des intervenants des Universités et des écrivains du monde entier, afin que les citoyens les plus coupés de la Culture, les habitants noirs des périphéries, aient accès au meilleur de la littérature et de la réflexion sur le monde actuel. Ces Festivals ont pour nom : FLUPP, Festivals des Périphéries. J’ai eu la chance d’y participer deux fois et je peux avouer mon adhésion totale à cette initiative qui profite aux plus démunis et vise à les rendre fiers de ce qu’ils sont. Elle les pousse à la création littéraire toute l’année, entre deux éditions de la FLUPP.
A noter aussi l’émergence d’une littérature née dans le dédale des favelas, imprégnée par la violence inhérente aux injustices sociales, et dont la voix majeure serait Ferréz, enfant d’une des banlieues les plus « accidentées » de São Paulo, l’auteur du formidable « Manuel pratique de la haine » (éditions Anacaona). Cette création littéraire, et bien sûr musicale, gagne en puissance et ne peut plus être ignorée. Elle est la source de renseignements quasi ethnographiques sur la condition d’existence et de survie dans les favelas qui sont loin de devenir toutes des destinations touristiques. Lire à ce propos « Je suis favela » et « Je suis toujours favela » parus en France chez Anacaona. Ce que publie cette jeune maison d’édition parisienne consacrée à la littérature brésilienne contemporaine est édifiant et vivifiant.

Une grande partie de vos livres et recherches portent sur des pays lusophones (Cap-Vert, São Tomé, Portugal, Brésil). Comment définiriez-vous votre regard sur les Histoires de ces pays ?
J.-Y. L. : Depuis « Cap-Vert, notes atlantiques » et « Lisbonne, dans la ville noire » (éditions Actes Sud), j’explique que mon intérêt pour les grandes découvertes portugaises et leurs conséquences ne me pousse pas à une restitution critique de l’Histoire coloniale, mais m’inspire des expressions amoureuses sur le fruit des unions contre nature entre des continents et cultures antagonistes. Inutile de pleurer un passé esclavagiste auquel nous ne pouvons plus rien, sauf en valorisant la fantastique force créative des victimes de l’asservissement.
Les poésies et mélodies du Cap-Vert, enfantées par le génie métaphorique de la langue créole, font, pour moi, partie du patrimoine de l’humanité, de même que les tragédies ritualisées des îles de São Tomé et Príncipe, Tchiloli, Auto de Floripès et Danço Congo, preuves irréfutables de la capacité des anciens esclaves à créer des mondes bénéfiques parallèles à ceux qu’ils étaient obligés d’endurer.
Il en va de même pour « Pépites brésiliennes« . Le livre ne représente ni une glorification ni une mise en accusation, mais, bien au contraire, une restitution plus équilibrée d’une Histoire brésilienne injustement tronquée, aux dépens de tous.
J’assume ma vision d’un « regard extérieur » nécessaire à toutes sociétés qui, si elles l’acceptent, peuvent contempler leur composition dans un miroir différent. Je rentre de Lisbonne où j’ai été justement invité à présenter ma démarche d’observateur et de chroniqueur étranger au sein d’un colloque dédié au présent de la Lusophonie (Odivelas, mai 2015).

Propos recueillis par Maud de la Chapelle

(1) Pépites Brésiliennes, de Jean-Yves Loude, Actes Sud, sortie France le 3 avril 2013///Article N° : 12994

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Les images de l'article
Couverture de Pépites Brésiliennes
Le crâne de Luzia au palais São Cristovão de Rio de Janeiro © Viviane Lièvre
Zayda Costa, destinataire du livre Pépites Brésiliennes, femme en lutte pour les droits à la fierté d'être Noir, dirigeante du culte Tambor de Crioula Catarina Mina, à São Luis do Maranhão © Viviane Lièvre
Portrait supposé d'Aleijadinho, le sculpteur génial du Minas Gerais, au XVIIIe siècle © Viviane Lièvre
Statue de João Cândido, surnommé l'Amiral Noir © Viviane Lièvre
Statue représentant Zumbi © Viviane Lièvre
"Namoradeira", figurine en plâtre peint qui représente la femme noire brésilienne, rêvant d'une condition meilleure que la société ne lui promet toujours pas. Tradition du Minas Gerais © Viviane Lièvre
Affiche d'information pour le Jour de la Conscience Noire en 2010 © Viviane Lièvre
Santa Anastacia, esclave rebelle qui subit le châtiment du "masque de Flandres". Cette femme martyre fut consacrée "sainte" par la ferveur populaire © Viviane Lièvre





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