Madagascar reflète dans l’opinion commune des saveurs d’exotisme. Mais ses richesses naturelles sont le décor d’une société malade de crises politiques récurrentes. L’économie, déjà fragile, ne s’en trouve qu’appauvrie et laisse sur le banc la majorité des hommes, femmes et enfants, dont plus de 70 % vivent de la ruralité. Pour les soutenir, des artistes les accompagnent depuis la première révolution politique en 1972 jusqu’à la récente crise de janvier 2009. Les décennies passent et les chansons des Mahaleo, qui sont à la Cigale ce samedi 6 juin, ont toujours un surprenant écho malgré des contextes différents.
« Je crains que rien n’aie changé – Le présent singe le passé – Comme les meubles des musées – qui n’ont pas une égratignure – Mais sont couverts de moisissures » (1). Les chanteurs du groupe Mahaleo chantaient déjà cet air dans les années quatre-vingt. Il ressurgit aujourd’hui avec une dérangeante pertinence. En janvier 2009 les citoyens de la capitale sont descendus dans les rues pour exprimer leur déception face à la politique du président Marc Ravalomanana. La crise politique qui s’ensuivit, la multiplication des émeutes et rassemblements ont sommé la fuite du chef de l’État vers le Swaziland où il est toujours en refuge. Depuis mars 2009, une Haute Autorité de Transition conduite par, Andry Rajoelina, l’ancien jeune maire de la Cité aux douze collines, s’est octroyée le pouvoir. La situation interne reste très tendue et depuis près de six mois la population paye le lourd tribut de cette instabilité politique.
Lorsque l’une des chansons de Lolo sy ny Tariny raconte l’histoire d’une petite fille fatiguée lorsqu’elle arrive à l’école, et demande à la maîtresse de ne pas la disputer parce qu’elle a fait la queue des heures pour avoir du riz, la résonance avec la situation actuelle est dramatique. Cette chanson évoque des semaines de pénurie de riz, base alimentaire des Malgaches au début des années 1980. En cause ? Un régime néocolonialiste, une révolution étudiante, un directoire militaire, l’instauration d’un régime se réclamant du socialisme, et la dégringolade économique et sociale. Culturellement les artistes comme Lolo, aux côtés des Mahaleo, se font les portes paroles d’un mouvement d’émancipation du néocolonialisme politique de la France. « On écoutait Bob Dylan et l’on voulait faire pareil avec la musique malgache ». Angelo Rakotomanga, chanteur et compositeur du groupe Lolo sy ny tariny, se souvient de sa période de lycée ; Bob Dylan passe en boucle à la radio, les musiques traditionnelles malgaches n’ont pas le vent en poupe chez les jeunes. Ils veulent raconter autre chose. « On ne pensait pas qu’on pouvait parler du quotidien, la vie ça se vit, on n’en parle pas ».
Les Mahaleo ouvrent la voie. Ce groupe d’étudiants citadins naît en 1972. En quelques mois une révolution étudiante balaye le pouvoir en place depuis l’indépendance, en 1960. Toutes les espérances sont permises malgré l’état misérable de l’économie du pays. Pour la première fois depuis la colonisation, des artistes s’engagent à chanter en malgache, et à parler du quotidien de la population. Ils s’emparent des tribunes populaires, que sont les places de marché de la capitale et les radios du pays, seul vecteur de communication accessible à tous. Encore aujourd’hui la radio reste le seul moyen d’information populaire. La télévision et Internet restent l’apanage des plus aisés.
Fafa, Dama, Dadah, Nono, Raoul, Charles, Bekoto clament alors les vicissitudes de la vie des hommes, femmes et enfants : les inégalités, les incuries de l’État, les pénuries de riz, les voleurs de zébus. « L’espoir s’amenuise/L’attente s’éternise/On ne sort pas de la crise/Ce qu’on voulait changer/n’est plus qu’un rêve oublié/On espère depuis des années/que cette fois ça va marcher/mais on a récolté que du chiendent sur les terres arides et desséchées » (2).
Plus de 35 ans après, Mahaleo reste l’un des groupes les plus populaires e l’île, le groupe contestataire, le groupe qui a détrôné le « roi » en 1972 et qui a toujours soutenu le peuple. Des stades se remplissent à chacun de leur concert à travers le pays mais aussi lors de leur passage en France. Une aura de porte-parole de la population malgache les entoure. Les engagements personnels de chacun des membres du groupe les rendent toujours plus proches de la population : trois sont dans le milieu hospitalier, un est en charge d’un Comité pour les droits des Paysans, un autre est sociologue et député indépendant. Tous sont engagés au quotidien dans la vie de l’île Rouge. Le désespoir ne les atteint donc pas malgré l’actualisation toujours pérenne de leurs hymnes dramatiques sur la situation économique et politique du pays. Cette volonté d’aller de l’avant et cette nécessité d’exhorter le peuple à se battre pour un avenir meilleur se reflètent dans le nom qu’ils ont choisi pour se décrire : Les Mahaleo. Ils se définissent explicitement comme des hommes libres forts, capables de vaincre. Leurs mélodies le rappellent : « Je demande l’impossible parce que toi liberté/tu refuses mon amitié (
) Mon amour pour toi liberté, est violent et obstiné ». Cet extrait de la chanson Rafahanafahana (Liberté) est toujours aussi entonné à l’heure actuelle toutes générations confondues. « Il n’y a que l’unité qui pourra nous protéger/Chacun pour soi on s’en sortira pas » clame un autre de leur succès, « Alina Mangina » (Nuit sereine).
Une autre clé de la perpétuité de l’attention accordée aux chansons des Mahaleo est qu’elles n’écartent pas les traditions, valeurs essentielles de la majorité de la population. Même si certaines chansons tournent en dérision Ratsiraka (président de la république malgache de 1975 à 1991 et de 1997 à 2001) à partir de l’image du grand père, les aînés conservent leur rôle prépondérant dans la structure sociale : « Les Ancêtres ont toujours veillé / sur ceux qui plantent du riz / N’oublie pas que cultiver la terre / est la seule vraie richesse / Et ceux qui choisissent de le faire / se mettront en valeur / Même quand la vie a un goût amer / Même si certains veulent brader nos terres / et que tu ne sais plus où est la vérité
» (3) Et surtout l’attachement à la terre malgache est une valeur inaliénable qui s’exprime notamment dans le désir de tout malgache de revenir mourir dans son pays, telle que l’explique la chanson « Ilay Nosy » (Notre île). C’est avant tout de la fierté d’être malgache dont témoignent les Mahaleo.
Samedi 6 juin, le groupe Mahaleo montera sur la scène de la Cigale pour entonner une nouvelle fois cette réalité indépassable pour les Malgaches pris dans le tourbillon de crises politiques, économiques et sociales. Les guitares sèches des musiciens comme seul accompagnement ne doivent pas éluder le caractère festif de nombreux airs, et la volonté perpétuelle de sept hommes, depuis 1972, de simplement témoigner d’un pays, d’une culture, d’hommes et de femmes, au quotidien.
1. Extrait de Bemolanga, traduction du livret du CD de la bande originale du film Mahaleo de Cesar Paes et Raymond Rajaonarivelo. (2002)
2. idem
3. Extrait de la chanson Raha Noana Ny Kibo (Le vendre est vide)Concert des Mahaleo à la Cigale, samedi 6 juin, 120 bd Rochechouart – Paris 18ème – tel 01 45 40 76 38///Article N° : 8687