Comment s’est faite la rencontre avec ce texte ?
C’est ici, en résidence d’auteur à Limoges, que Williams Sassine avait entrepris ce texte. C’est pourquoi Monique Blin, qui avait conservé un état du travail, m’a demandé s’il y avait une chance d’utiliser ce matériau pour reconstituer une pièce qui serait à la fois un hommage et, comme on dit dans la musique classique un tombeau, un texte symbolique qui clôturerait l’uvre de l’écrivain. J’ai accepté de me pencher dessus, car voilà onze ans que je travaille avec Limoges et je crois avoir servi de nombreux auteurs africains.
Que représentait ce matériau ?
Williams Sassine avait laissé à peu près un tiers de la pièce actuelle, plus des notes et un plan. C’est un travail archéologique que j’ai entrepris. Je ne me suis pas substitué au travail d’écriture, c’est pourquoi j’ai opté pour que l’on voit la fracture dans l’uvre et que la partie » restituée » passe à une forme de conte traditionnel, où des personnages viennent témoigner de l’Afrique contemporaine. Je souhaitais respecter le fragment écrit par Sassine. Aussi, il n’a pas été question de poursuivre le parcours des personnages, mais de construire quelque chose autour du fragment en y agglutinant d’autres textes de Sassine.
Quel est le passage qui vous touche le plus ?
Je crois que c’est plutôt le personnage lui-même qui me touche. Ce métis à cheval sur plusieurs religions, sur plusieurs cultures. Le professeur de maths, le bègue… cet exilé de l’intérieur.
C’est en effet un pièce très personnelle, presque autobiographique.
C’est surtout sa vision de l’Afrique, Sassine a une vision trop noire de l’Afrique, » démoralisante « , disent certains. D’autres considèrent qu’il est le seul à ne pas avoir une langue de bois. Il ne tombe pas dans l’auto-célébration d’une certaine forme d’indépendance. Et ce regard ma beaucoup touché.
Comment se sont définies les orientations scéniques ?
C’est un travail en étapes. Cette forme on l’a créée en lecture spectacle avec une équipe belge en 1997. Il y a eu des lectures à Paris, à Limoges, à Bruxelles, à Munich… A la suite, s’est constitué le projet. C’est Monique Blin qui m’a alors suggéré la première de passer d’une distribution européenne à une distribution africaine. Ce que je n’avais pas envisagé. Mais on a gardé la forme, pour avant tout faire entendre le discours de Sassine. On est aujourd’hui finalement très proche de ce que faisait la première équipe.
D’où une esthétique très sobre, très dépouillée.
Je voulais une sorte de jansénisme, d’austérité, un refus de l’emphase dans la mise en scène. L’option aussi fondamentale, c’est que le spectacle devait se jouer n’importe où. Pas de décor, pas de surenchère technique. Et, il y a eu aussi une rencontre avec une troupe de comédiens qui travaille sur le dépouillement.
Comment avez vous travaillé avec cette jeune équipe des » 7 Koûss » ?
Nous avons surtout centré le travail sur la langue de Sassine qui est très complexe, même pour des comédiens expérimentés…. et ce sont justement de jeunes comédiens. Il y a eu un gros travail technique sur la langue, sur la respiration, sur le phrasé. De plus, ils viennent d’horizons culturels très différents. Ils représentent à eux tous la mosaïque culturelle dakaroise. Certains ont des ascendants portugais, d’autres sont Maures, d’autres encore sont purs Wolof. Chacun amène sa structure sociale, son vécu. Ils ont des différences, que j’ai essayé de respecter et je les ai distribués en fonction de leur positionnement culturel. Je voulais que les acteurs ressortent, comme un bouquet de fleurs, que chacun exprime sa personnalité. On a aussi beaucoup travaillé sur les structures narratives du conte traditionnel africain, les comportements, les réactions du groupe.
Vous avez abordé la mise en scène de ce texte plutôt comme une transmission, un passage de paroles ?
Oui, l’objet n’est pas vraiment un spectacle.
Pourquoi en même temps ces bruitages, ces effets sonores obsédants ?
Sassine est un homme qui avait un rapport important à la musique. Ses personnages sont tués parce qu’ils parlent, parce qu’ils ont ouvert la bouche. Une lutte entre la musique et les bruits de guerre était le vecteur principal de l’écriture. Qui fera le plus de bruit ? Or les comédiens ne souhaitaient pas utiliser des instrument classiques, ils ne se considèrent pas comme musiciens, alors l’option a été de faire de la musique avec les fonds de poubelle qu’ils trouvaient dans la gare. Bidon, tuyau, barre de fer…
Justement, pourquoi avoir choisi cette image de la poubelle ?
Le propos de Sassine est de dire que cette gare, c’est l’Afrique. C’est le problème de l’émigration : on leur a piqué les rails et les trains, mais les personnages voudraient partir. On n’est pas loin de ces jeunes guinéens morts dans le train d’atterrissage d’un avion et qui ont récemment fait la une des journaux.
Mais le décor évoque plus un dépotoir qu’une gare.
Le directeur du centre culturel de Dakar avait le projet que l’on joue la pièce dans la gare de Dakar. Il nous a amené dans cette gare et on a vu ce qu’il y a sur le plateau. C’est une grande gare coloniale française des années 20, où il reste un train par jour qui fait une navette avec un patelin de banlieue, une quinzaine de quais avec des wagons en ruine à perte de vue. Et plus rien, une immense salle des pas perdus avec des bidons, des papiers… C’est un bâtiment qui ne sert plus à rien et ou il ne reste plus que ce dont même les plus pauvres ne veulent pas. Déchets d’un peuple en fuite. Notre décor, c’est un peu un morceau de la gare de Dakar.
///Article N° : 1090