A la recherche de la langue perdue

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Et ma langue se mit à danser, premier roman de Ysiaka Anam, nous parle de l’importance de la langue comme lien à la culture parentale, pierre identitaire et façon d’être au monde. Sorti chez La Cheminante en novembre 2017, c’est un récit fictionnel qui incarne une des quêtes afrodescendantes.

La protagoniste de Et ma langue se mit à danser, est tout une enfant habitée par un fort sentiment de misère. Arrivée en France à l’âge de 5 ans, elle se sent difforme, boiteuse, hirsute, mal coiffée, aux cheveux noire-paillasse, volumineuse : son corps  trébuche, renverse, casse. Tout cela pourquoi ? Parce qu’un jour, à l’école, quelqu’un lui a dit « Tu ne peux pas jouer avec nous parce que t’es noire ». Depuis, elle érige la défense comme façon d’être au monde, et nourrit la fierté comme sentiment pour ne jamais flancher. Mais en même temps cette posture l’isole dans ces blessures et questionnements : « Les amis, les hommes, la famille : tout sauf leur ouvrir la porte qui pourrait les laisser porter sur elle ce regard désolé qu’on a parfois face à quelqu’un chez qui on devine un manque ».

Le grand silence

Ce manque est symbolisé par le grand silence qui empli sa vie familiale : « Notre culture n’est pas celle d’un pays, mais celle du silence et du brouillard ». Son père se tait par insatisfaction de sa vie en France, sa mère suite à une enfance traumatique au pays. Alors elle aussi, elle arrête de parler. Trois petits contes animent cette quête de parole à l’intérieur du roman. Celui d’une femme à la recherche de la langue de son enfant, celui d’une fille à la recherche de la langue de son père,  et celui d’un homme et d’un enfant qui marchent ensemble sans pouvoir véritablement communiquer. Dans ce livre les langues se cachent dans des forêts, derrière des rochers, elles expliquent la raison de leur disparition et permettent des plongées dans le passé. Elles reconnectent la protagoniste à ce qu’elle n’arrive pas à comprendre, elles comblent les silences de sa famille. Une de ces langues dévoile : « Je suis partie car un jour la honte est arrivée. La honte de ne pas me sentir à la hauteur de la langue de mes parents ».

Toujours à coté

A partir du moment où les camarades d’école avaient fait mine de l’exclure, la protagoniste se positionne à côté des choses, des sentiments, des personnes. Elle aime la solitude, car c’est là que son identité survit loin du risque de se faire écraser : « être avec les autres, trop avec, c’est risquer de disparaître, me perdre, me diluer ». Elle sait qu’elle n’appartient pas « assez bien » à cette couleur noire qui est la sienne, et jongle entre l’envie et la peur de se métisser, le besoin de se couper de ces aïeules pour trouver sa route et la nécessité de les sentir près d’elle, d’avoir leurs conseils. Elle essaie constamment de se séparer de cette enfant honteuse et mal aimée qu’elle a été. Mais malgré ce masque du « tout va bien », armure qui semble être devenu sa seconde peau, pourra-t-elle véritablement se réconcilier avec son intériorité, trouver une plénitude de femme noire d’origine africaine en France, sans le lien à la langue et donc à toute  la culture parentale ? Comment abattre les murs qui s’érigent entre parents et enfants quand ces derniers sont mis au monde dans le pays d’immigration? A petit pas, ce roman intimiste et très imagé, nous plonge dans une psychanalyse  qui part de l’intime pour déboucher dans une grande colère vis-à-vis de l’histoire. Ce qui lui colle à la peau, elle se rend compte, n’est pas juste une défaillance familiale, quand plutôt une injustice  « vieille de plusieurs siècles ». Et pourtant, il y a un contrat, qui a été cousu par les ancêtres dans la poche des enfants d’immigrés africains, où on leur explique comment exister. On n’arrive pus bien à lire ce qu’il a été écrit, mais si la mémoire resurgissait quand-même ? Une première œuvre délicate et introspective.

 

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