Annexes

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On trouvera ci-dessous quelques textes adressés par des personnalités qui n’ont pu assister à leur grand regret à l’atelier ou qui estiment ne pas avoir pu s’exprimer suffisamment et qui ont tenu à apporter leur contribution.
1- Texte adressé par Yves Montenay écrivain, spécialiste de l’islam et de l’Afrique et auteur de la lettre « Echos du monde musulman »

Mémoires vécues, mémoires construites

J’interviens ici au titre d’une expérience personnelle et familiale et d’un travail universitaire, tous deux alimentés par le suivi des événements depuis 1954. Ma compétence est l’interaction entre populations, politique et économie en longue période, donc l’époque coloniale et post coloniale.
Je suis donc frappé par la distance entre deux mémoires des indépendances, les « vécues », qui sont le fait des plus de 75 ans, et les fabriquées.

Les mémoires « vécues »

Je les ai recueillies via de nombreux récits, publiés ou non. Le sentiment des cadres de l’administration coloniale subsaharienne est d’avoir implanté quelques infrastructures : tout par rapport à ce qui existait avant, pas grand-chose par rapport aux besoins. Des deux cotés, à part « les impatients de la prise de pouvoir », on était conscient que les pays n’étaient pas « en état de marche » à l’indépendance, d’où les craintes de certains Africains, vite concrétisées au Congo belge et en Guinée.
Ailleurs beaucoup de cadres sont devenus coopérants et la période « néocoloniale » s’est révélée la meilleure de l’histoire de beaucoup de pays, bien que très vilipendée en France et par « les jeunes » sur place. Cela a été illustré par les révolutions qui y ont mis fin (Madagascar, Côte d’Ivoire …) et leur résultat calamiteux. Déjà, René Dumont avait été choqué mais non surpris par la remarque « Quand est-ce que ça finit l’indépendance ? »
Mais cette mémoire vécue disparaît avec les acteurs et laisse place aux mémoires recomposées.

Les mémoires recomposées

Je vais me borner à quelques exemples
Sékou Touré est encore considéré par beaucoup comme « l’homme qui a dit non au général de Gaulle », sans se demander en quoi c’était positif. Beaucoup ignorent sa gestion catastrophique et sanglante, et l’écroulement monétaire qui a suivi sa sortie de la zone franc.
La zone Franc, justement. Elle est souvent considérée comme une humiliation insupportable (c’est subjectif, la discussion est donc vaine) mais aussi comme une cause déterminante du sous-développement « impossible sans souveraineté monétaire ». Détail souvent oublié : il s’agit maintenant de la zone euro et la souveraineté monétaire n’existe pas plus pour la France que pour le Mali. Oubli également des malheurs de la monnaie kinoise et du choix de la Guinée de revenir en zone franc … qui doit donc avoir quelques avantages.
Autre exemple encore : la polarisation sur la Françafrique, considérée comme « anti indépendance » et « donc » la cause principale du sous-développement (encore une !). Certes il y a des circuits financiers « intéressés ». Mais pourquoi les circuits chinois ont-ils une connotation « indépendance nationale » ? Concernant le développement, remarquons que la corruption ne le freine pas en Asie, et que les entreprises françaises fournissent à l’Afrique des services probablement aussi bons que les américaines ou les chinoises! Enfin la polarisation sur la Françafrique oublie les innombrables liens humains, familiaux, charitables, professionnels (médicaux, municipaux…), qui se sont tissés avec la France, et qui sont facilités par la communauté de langue.
On pourrait ainsi continuer à recenser les mémoires « reconstruites », par exemple celle associant esclavage et colonisation européenne, alors que cette dernière l’a supprimé, ainsi que le génocide en cours en Afrique centrale et orientale organisé par des Arabes et leurs relais africains.
Mais chut ! Il vaut mieux se bercer de belles histoires et en remplir les programmes scolaires.

2 – Fragments d’un texte proposé par Philippe Laburthe-Tolra, participant à l’atelier

D’un très long texte que nous a adressé Philippe Laburthe-Tolra, membre de l’Académie des Sciences d’outremer, et participant à l’atelier, nous extrayons ce passage. Le texte complet qui comporte une analyse des problèmes de manuels pédagogiques pour l’histoire de l’Afrique peut être adressé sur demande à l’auteur [email protected]]

La difficulté d’une science historique

Mon principe est qu’on ne devrait jamais soustraire une science historique à l’ethos qui la sous-tend nécessairement.
Une certaine conception (qu’on peut appeler traditionnelle) de l’histoire est qu’elle doit conforter un groupe (familial, national, continental…) dans sa légitimité et sa fierté, sinon elle manque son but essentiel (et vital tant que la société n’est pas davantage sûre d’elle). L’histoire s’appuie donc sur une certaine part de mythe comme le fait la religion sur le culte des ancêtres et le respect qui leur est dû. Rien n’agace alors davantage que la critique.
Dans l’histoire de France donc, à mon avis, (qui est celui d’un philosophe et non d’un historien de métier) la base est comme ailleurs sacrée, indiscutable : Gesta Dei per Francos. « Les grandes œuvres de Dieu se font par les Francs ». Avec du recul on s’apercevra que cette appropriation de Dieu est assez peu monothéiste et fort peu chrétienne. Mais il va de soi que le baptême de Clovis est fondateur même si Clovis reste polygame et sa postérité bien cruelle, puis ridicule (Frédégonde, Brunehaut, les énervés de Jumièges, et autres Mérovingiens qui finissent en rois fainéants)….
Plus tard les interventions divines se poursuivent : la piété de Philippe Auguste lui vaut la victoire de Bouvines, Sainte Jeanne d’Arc boute les anglais hors de France, Bossuet écrit pour le roi de France une histoire illuminée par l’Ecriture Sainte etc…. L’histoire dans un premier temps se doit d’être édifiante au sens fort du mot. Elle mêle donc aux faits le mythe.
Si l’on veut des faits purs, il faut attendre Voltaire interrogeant les acteurs du Siècle de Louis XIV ou notre « observation participante ».
Où en est l’HISTOIRE AFRICAINE ? Culte de Cheikh Anta Diop ?? Chut !
Mais une plus pénible conclusion s’impose : personne ne peut s’intéresser à l’histoire sans une émotion correspondant à ses mobiles et à ses croyances. L’exemple le plus spectaculaire est la foi en l’évolutionnisme social qui a régné plus d’un siècle de Marx (ou de Hegel) à Lévy-Bruhl… (existent « sociétés inférieures » et « progrès »).
Cela signifie qu’ignorant par définition notre inconscient, nous ne pouvons (nous inspirant de Geertz, Derrida, etc…) être utiles que par la dé-construction, en affectant toutes nos hypothèses d’un soupçon radical et en remettant constamment en cause l’examen de nos plus chères et évidentes positions.

3 – Texte adressé à Jean-Paul Gourévitch par Seydou Sow, directeur des Nouvelles Editions Africaines du Sénégal dont le visa a été refusé et qu’il a demandé de lire aux participants
Cher ami,
Je vous envoie ci-joint le texte de mon message aux participantes et participants de l’atelier sur les mémoires des indépendances. Vous remercierez de ma part Son Excellence Monsieur l’Ambassadeur et Monsieur LEBRAS (1).
Je regrette simplement, sans en faire un objet de protestation, le manque de respect et de courtoisie à mon égard, en présence d’un vigile, de la part de celui qui, au guichet 4, ce lundi 22 novembre 2010, m’a accueilli à 15h pour l’étude de mon dossier même s’il a le devoir, conformément à sa mission, de rejeter un candidat. Mon éducation et mon âge ne me permettent pas de vous répéter ses propos et de relater son geste discourtois.
Je ne lui reproche guère le fait de ne pas m’avoir accordé le visa. Cependant, ce lundi 22, quand je suis venu aux nouvelles, celui qui m’a reçu aurait pu me donner les motifs de rejet et non me demander de retourner chez moi et d’attendre « un coup de fil » que j’ai attendu du reste jusqu’au 23 à midi.
Je suis retourné à l’Ambassade à 16h, heure d’ouverture aux candidats, dans le grand respect de la queue. A quelques heures de mon départ confirmé par le billet électronique qui était joint au dossier et devant fournir les compléments le lendemain entre 7h30 et 8h 30 (8h étant l’ouverture des services au Sénégal), ma présence à l’atelier était remise en cause. Je vous ai déjà dit que j’ai essayé de joindre Monsieur LEBRAS et Madame GUERRERO (2) sans succès.
Il ne s’agit pas d’une plainte de ma part ou de l’appréciation du comportement d’un agent de l’Ambassade. Je n’en ai ni le droit ni les prérogatives. J’ai voulu tout simplement informer un ami en lui relatant la situation qui enrichit mon expérience.
Plein succès à vos travaux.

Seydou Sow

(1) COCAC (Conseiller de Coopération et d’Action culturelle) de l’Ambassade de France
(2) Gestionnaire à l’Ambassade de France
///Article N° : 10130


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