M. Anssoufouddine : « Mes malades m’ont aidé à comprendre mon pays et son histoire »

A propos de "Corps errants, cœurs malades. La Double peine" de Mohamed Anssoufoudine. (Ed. Komedit)

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Raconter un patient au-delà de son compte rendu médical mais avec aussi des clichés de radiographies et d’électrocardiogrammes par exemple. Une articulation surprenante que propose Mohamed Anssoufouddine dans son ouvrage Corps errants, cœurs malades. La double peine. Seul médecin cardiologue à son retour à Anjouan après ses études à Dakar, exerçant à l’hôpital public, il est depuis plus de dix ans, aux avant-postes pour observer un pays à travers son système de santé. Et il choisit de le raconter à travers sa voix et celles de 11 situations vécues dans sa carrière ; nous partageons alors les inquiétudes de parents, grands-parents, enfants confrontés non seulement à la maladie, mais aussi aux “errances” forcées par un État défaillant, un système de soins corrompu, et en prise avec une histoire politique post-coloniale aux impacts concrets, sur l’intime et le collectif. Avec Fanon et Memmi pour lectures de chevet, Anssoufouddine décrit, ainsi, aussi simplement qu’implacablement, les imaginaires sur la médecine issus notamment des traumatismes coloniaux, qu’il a véritablement compris avec ses patients.  Il replace par ailleurs la relation avec l’île sœur Mayotte,devenue “terre étrangère”, ainsi que celle avec Madagascar et les autres territoires de l’Océan indien, là encore dans une dimension multiséculaire.  Ce livre est également celui des chemins détournés, de nouvelles circulations inventées par un corps médical et ses usagers, et d’obstinations de quelques-uns pour garantir au plus grand nombre le droit aux soins. Rencontre.

Vous racontez votre quotidien de cardiologue à travers 11 rencontres, 11 cas cliniques. Comment est né ce livre ?

Quand je rentre de Dakar en 2007 après mes études, je suis confronté à deux difficultés. Parmi mes pairs, je n’ai personne avec qui partager cette science, car je suis le seul cardiologue à Anjouan. Et la deuxième difficulté, est que les maladies cardiaques sont des maladies dont la prise en charge s’inscrit dans des longues durées. Or, elles ne sont pas connues et les patients sont dans l’approche des maladies infectieuses dont la prise en charge s’inscrit dans des courtes durées. Face à tout ça, il m’a fallu rapidement former de jeunes confrères avec qui partager le même langage et il nous a fallu aller vers les communautés pour échanger sur ces maladies. Corps errants, cœurs malades, est donc une forme d’extension de ce partage.

Au-delà de la transmission, on ressent aussi un enjeu de documentation politique et sociale. Qu’est-ce qu’un système de santé permet de raconter d’un pays ?

Il y a dans ce livre un côté presque initiatique dans le sens où, quand je rentre à Anjouan, je suis jeune cardiologue formé au paradigme complétement désincarné du tout médical et du tout biologique. Je ne connais presque pas mon pays. Et je vais être confronté à une non adhésion des soins que je prodigue à mes patients. J’en soufre énormément jusqu’à ce que je comprenne que l’humain ne se réduit pas à une maladie, à des analyses, à des radiographiques. Derrière les maladies il y a le poids lourd à porter de l’histoire, des inégalités sociales, des perceptions, des croyances. Mes malades m’ont aidé à comprendre mon pays, son histoire, ses mythes, je les soigne et en retour ils me rendent beaucoup plus humain.

Pourriez-vous nous en donner un exemple, notamment sur le poids de l’histoire, comme celui raconté dans le texte “La péricardite au 4×4 “ ?

Il s’agit d’un jeune garçon accompagné de sa maman déposé par un gros 4×4. Quand il s’est agi de les interroger, c’était motus et bouche cousue jusqu’au moment où nous nous rendons compte qu’avant d’arriver dans notre service ce malade a fait presque un commerce triangulaire entre les instituts de santé. Il y a là des difficultés, on va le voir de par ses origines, son rang social à naviguer dans le système de santé. Pire, on va se rendre compte que cette famille vit depuis des générations dans une plantation d’un grand propriétaire foncier, le fameux homme au 4×4. Il y a là le poids de la féodalité. Je n’aurai jamais su, avant cela, qu’une famille pouvait vivre ainsi aujourd’hui.

Vous racontez aussi comment le système de santé est impacté par la situation géopolitique des Comores

L’errance des malades dont je parle tient à plusieurs raisons. Sans doute la défaillance du système de soins aux Comores ; Mais là encore, concernant le poids de l’histoire, il faut souligner que pour des questions d’économie coloniale, l’entrée des Comores dans la médecine moderne s’est presque faite par procuration. Durant toute la période coloniale ce sont les installations hospitalières de Madagascar qui accueillent les malades des Comores. L’évacuation sanitaire est en quelque sorte une marque de fabrique de notre système de soin. Aujourd’hui le mouvement continue vers la Tanzanie, toujours vers Madagascar, La Réunion et le Kenya par exemple. Je raconte l’histoire d’un bébé né avec une malformation cardiaque complexe, le ventricule unique. Malgré que nous ayons déconseillé à la maman de voyager, elle voyagera à Maurice où les médecins poseront le même diagnostic que nous, et malgré tout elle continuera son périple jusqu’en Inde où l’enfant succombera d’une intervention au cœur très discutable.

Rencontre de Mohamed Anssoufouddine avec des élèves de l’Ecole de santé de Moroni autour du livre.

Lire aussi : Paille-en-queue et vol, un pont entre les îles de l’Océan Indien. Recueil de poésie de Mohamed Anssoufouddine. 

Comment Fanon et Memmi ont été des compagnons de route dans l’écriture de ce livre ?

En tant que médecin, nous avons été doublement affectés par la crise de confiance qui existe entre nous et nos patients. Il y a plusieurs raisons, dont celle relative à la dépréciation de soi et à la relation soignant / soigné. Pour essayer de comprendre tout ça, nous avons lu Fanon et Memmi.

Dans le livre vous abordez aussi la problématique de la mercantilisation de la médecine, de la fuite des médecins à l’étranger ou vers le privé. Vous mentionnez un réseau « panafricain » de médecins, des « sentinelles » formées à Dakar. Qui sont-elles ? Qu’est-ce qui fait que vous restez ?

Je crois que c’est juste un appel du terroir que vient peut-être conforté sans prétention aucune l’idée de se sentir utile parmi les siens. Je parle aussi de tous ces collègues cardiologues du continent qui deviennent des “sentinelles” dans leur pays respectifs car il faut dire qu’à Dakar où nous avons été formés nous venions de nombreux pays d’Afrique, du Cameroun, du Tchad, du Burkina… Ils nous ont formé avec beaucoup d’exigence et d’abnégation pour être au service de nos communautés.

Lire aussi : « Le poète remue les amas amorphes de la vie ». Entretien avec Anssoufouddine. 

Rencontre de Mohamed Anssoufouddine avec des élèves de l’Ecole de santé de Moroni autour du livre.

Quel lien faites-vous entre poésie et médecine, vous qui écrivez être cardiologue « pour comprendre le langage ésotérique des bruits du cœur » ?

Le regard du poète permet de considérer le patient donc l’humain non dans sa dimension anatomique et physiologique mais aussi dans sa complexité d’être sensible et inversement l’humanisation de la relation soignant / soigné irrigue l’âme du poète. Ce n’est pas pour rien que l’on parle aussi aujourd’hui beaucoup dans la médecine conventionnelle de soins holistiques, prenant l’individu en charge dans toute sa globalité.

Extraits : Corps errants. La maladie d’Ebstein qui finit en leçon d’histoire et d’humanisme.
« Nous ne connaissions pas l’histoire de notre pays. La fille malade nous expliqua que ces passeports n’avaient rien d’extraordinaire ! Ils rentraient dans le désordre de l’histoire des Comores […]
– A l’origine nous sommes des Comoriens originaires de Mayotte, dit la petite. […] Savez-vous docteurs on aura beau dire que Mayotte a choisi d’être française mais en 1975 quand cet Archipel de quatre îles fut au tournant de son destin – je parle de l’accession à l’indépendance – ne croyez pas que ce sont tous les Mahorais qui étaient pour ce choix rétrograde. Mayotte à ce que m’a toujours dit mon père s’était clivée en deux : les Soroda (pro-français) et les Serrez-la-main (les indépendantistes). Ma mère que vous voyez là, elle et mon père étaient de ce dernier camp. Mon père m’a toujours dit qu’on appelle ça diviser pour mieux régner, mon père appelle ça l’arme fatale des Français. […] les Serrez-la-main, dont mon père, firent l’objet de tortures, d’attaques impitoyables et de pillages. Mon père m’a dit qu’on appelle ça un pogrom […] Bon nombre de Serrez-la-main furent chassés de Mayotte et trouvèrent refuge à Anjouan. Un village fut créé express au sud de l’île »

 

Propos recueillis par Anne Bocandé. Octobre 2022;

 

 

 

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Un commentaire

  1. cheikh ndoye le

    Merci d avoir louer le role eminent de mon pays dans votre formation le compagnonage du Senegal et des Comores ne date pas d aujourdhui que l on se rappelle en 1975 quand vous aviez choisi de prendre votre destin en main que les francais ont plie bagages nombre pour nombre les senegalais sont venus a vos cotes pour relever le defi heureusement vous n avez point oublie ce geste c est pourquoi mon sejour dans votre beau pays que je qualifie de paradis sur terre ne s effacera jamais dans ma memoire envoye par l unite africaine pour superviser les elections en 2003 j ai vecu en effet dans ton ile Anzuan des moments fantastiques qui font que je me sens toujours aussi bien senegalais que comoriens je reste convaincu que par des hommes aussi engages que toi ce pays si pourvu par la nature sortira de son etat actuel souviens toi de cet adage du president Abdou Diouf, »DIFFICILE EST LE CHEMIN » tu as le bonjour de ma famille qui a eu l honneur de te cotoye a Dakar nous sommes si sensibles mon frere a tes resultats

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