Parcourir l’Anthologie de la photographie africaine et de l’Océan Indien, c’est découvrir une autre histoire de l’Afrique, faite de près de 500 photos regroupées par la Revue Noire, dans la continuité de l’exposition L’Afrique par elle-même, organisée en 1998 à Paris. Des images surprenantes, mais aussi des textes éclairants et, pour agrémenter le tout, quelques souvenirs »photographiques » d’écrivains africains. Sans vouloir définir une photographie africaine, l’anthologie se veut une présentation de diverses pratiques et esthétiques.
Il y a bien sûr les plus connus, les fameux studios des portraitistes des années 40 et 50, tels Mama Casset et Meïssa Gaye au Sénégal, Seydou Keïta et Mountaga Dembélé au Mali. Mais l’histoire commence bien avant, dès le début du siècle. La photographie, apportée par les Européens, est récupérée par leurs assistants africains au Sierra Leone, au Togo, à Saint-Louis du Sénégal. C’est de cette époque que datent aussi les photos de famille noires sud-africaines, soigneusement rassemblées par le photographe sud-africain Santu Mofokeng. En habit du dimanche, parents et enfants y posent, défiant – sans le savoir ? – les représentations des divers »types d’hommes noirs », aujourd’hui confinées dans les musées d’histoire naturelle.
Mis en péril par les photographes ambulants dans les années 60 et plus tard par l’arrivée de la couleur, les studios auront tendance à disparaître. Mais la photographie elle-même survivra, et se passionnera pour la ville. Philippe Koudjina sillonne les bars de Niamey pour capter la douceur de vivre de la jeunesse nigérienne des premières années d’indépendance, Billy Monk fixe la population blanche du Cap by night. Sans oublier Depara, photographe attitré de Franco ou Malick Sidibé et ses jeunes baigneurs maliens. Mais la ville est aussi lieu d’abandon, comme le démontrent les enfants de rue du malgache Dany-Be ou les fous d’Abidjan de Dorris Haron-Kasco.
D’autres, comme Khamis Ramadhan et Mohamed Amin au Kenya, prendront la direction du photo-journalisme, en s’exposant dans bien des cas à la répression des autorités. Celles-ci ont bien vite compris le pouvoir de l’image et propagent déjà leur version de la réalité par des agences officielles. A ces images d’ordre et d’harmonie s’opposent la vérité brutale des photographes indépendants, tels ceux de l’Afrique du Sud.
Dans la lutte contre l’apartheid, la photo devient une arme redoutée et réprimée en conséquence. Mais une fois Mandela au pouvoir et l’apartheid aboli, que faire de cette arme ? Certains se tourneront vers la recherche d’une esthétique avec les moyens matériels exceptionnels en Afrique qu’offre le pays. A en croire l’anthologie, cette démarche reste encore rare sur le reste du continent, à l’exception du Nigérian Rotimi Fani-Kayode, du Sénégalais Bouna Médoune Sèye et de quelques autres.
Pour d’autres, la photo – représentation par excellence – deviendra une interrogation sur l’identité et l’histoire. Ce sera le cas non seulement de certains Sud-africains mais aussi de la diaspora noire de par le monde, que ce soit au Brésil, aux Etats-Unis ou en Europe. Regard de l’autre et regard sur soi y dialoguent constamment.
S’il n’y a pas une photographie africaine, toutes ces images sont cependant liées par une certaine dignité du sujet. Pas de regard sur l’Afrique donc, mais le regard des Afriques. Ou comme le dit Zwelethu Mthethwa à propos de son travail sur les intérieurs des bidonvilles sud-africains : » La plupart des photographes utilisent le noir et blanc lorsqu’ils travaillent sur l’habitat informel pour rendre une atmosphère sombre et maussade. J’ai choisi la couleur parce qu’émotionnellement il y a plus d’avantages. Mon objectif est de montrer la fierté des gens que je photographie « .
Anthologie de la photographie africaine et de l’Océan Indien, Ed. Revue Noire, 1998, 430 p.///Article N° : 685