Comment expliquer le calme apparent, à la fois gothique et comique, qui règne au sud du Sahara, où sur la cime des acacias et des baobabs, des tamariniers et des palétuviers les feuilles retiennent leur souffle et osent à peine murmurer ? Et pourtant, la tempête fait rage au nord. Un ordre nouveau s’y établit. Pour secouer cette grande forêt de sa torpeur, du blues de l’antifada, il faut parfois exprimer ce que Fanon disait être la « violence à fleur de peau » du colonisé.
Alors que la tempête secoue les dynastes du désert, la forêt dort de son sommeil paisible, presque profond. Un ordre pathétique règne au cur de la Nigritie où les potentats aux dents aiguisées cannibalisent leurs peuples à la chaîne. Serait-ce parce que cette grande mer de dunes empêche la tempête de pénétrer dans le cur de la forêt pour briser le joug des peuples en souffrance ? Tandis que l’intifada rage aux portes du désert, la Nigritie est grippée par le blues de l’antifada. L’histoire est comme un éléphant pris de hoquet, qui se souvient, et ébranle toute sa carcasse, répète dans des convulsions terribles les mêmes symptômes, les mêmes maux. En 1968 un premier hoquet en Occident a réveillé la rue et lui a rappelé l’injonction universelle de l’article 35 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs » (dernier article de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de la Constitution de l’An I, élaborée par la Convention montagnarde, promulguée le 24 juin 1793, mais jamais appliquée ; et pour cause !). Puis, en 1989, avec la chute du mur de Berlin, l’est s’est réveillé et s’est aussi souvenu de l’article 35 pour faire voler en éclat un archipel de totalitarisme. Aujourd’hui, ce sont les fils d’Ismaël qui, ceints de l’article 35 autour des reins, et mobilisés dans la rue et sur la toile, font tomber les têtes et arrosent l’arbre de la liberté du sang des martyrs.
La Nigritie, quant à elle, demeure sous l’enseigne de l’article 15, « débrouillez-vous pour vivre », un article qui d’Abidjan à Zanzibar, en passant par Kinshasa, régit la rue africaine. L’article 15 est le pilier des constitutions africaines. Oubliez les révisions qui déverrouillent les constitutions pour garantir aux ogres africains la présidence à perpétuité. Museveni l’a fait en Uganda et Kabila en a fait son chantier principal au Congo. C’est d’ailleurs là que l’article 15 vit le jour, sous le règne d’un des plus féroces dinosaures de l’Afrique contemporaine, Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu Wa Za Banga. Le maréchal kleptocrate avait compris que pour tenir le peuple dans la terreur, il fallait d’abord le réduire à la misère. Pour arriver à ses fins, il fit inscrire quatorze articles de la mort dans la constitution du Zaïre. Le peuple en inventa un quinzième : « Débrouillez-vous pour vivre ! ». Sous le règne du Léopard, l’économie de la débrouille et, plus tard, celle du pillage, ont mobilisé au Zaïre l’énergie de tous les citoyens, de la grand-mère édentée, qui colporte sur la tête du bois qu’elle a passé toute la journée à ramasser, au ministre de l’économie qui détourne les sacs de riz offerts par la communauté internationale ; du nion nion, dont les tétons bourgeonnent à peine et que son géniteur envoie sur le boulevard de l’indépendance se dévergonder pour quelques billets verts au caïd de la douane qui rançonne impunément les importateurs dans la moiteur de l’après-midi. L’article 15 a gangrené la société africaine, transformant sa sève en pus nauséabond que sécrètent les plaies de cette jungle hobbesienne. Une fois happés dans ce vortex, les meilleurs éléments formés en Europe et en Amérique joignent la curée et se défont de leurs scrupules comme un puceau enterre sa virginité. Pour passer de l’article 15 à l’article 35, il faut bien une société civile, des hommes et des femmes déterminés à ne pas se laisser corrompre par le système et résolus à sacrifier leurs intérêts les plus chers sur l’autel du bien commun. Il en existe très peu en Afrique. Or il nous en faut pour semer la graine de l’insurrection que récolte aujourd’hui le peuple à Tunis, au Caire, à Benghazi et dans le reste du « monde arabe ».
« Vous êtes un afropessimiste indécrottable, monsieur ! Vous oubliez quand même que l’Afrique a connu ses moments forts. Vous oubliez les conférences nationales souveraines, cette grande leçon de démocratie que l’Afrique a écrite sur la face du monde ». Et la montagne accoucha d’un crapaud. Les conférences nationales souveraines, voyez-vous, ont enfanté une hydre de l’Herne au Rwanda, au Congo et au Darfour. Qui aurait dit que c’est à l’issue de ces conférences que l’Afrique connaîtrait ses génocides ? Sacrées conférences ! Elles ont remis bien en selle la Françafrique en réduisant l’Afrique en un bal maudit où, dans un pré carré, quelques enfants gâtés succèdent à leurs pères gâteux au jeu des chaises musicales. L’Afrique-à-papa, telle que la France l’aime au Gabon, au Togo et au Congo.
Mais revenons sur cette grande tempête qui souffle au nord. On comprend d’autant mal que la « Révolution du Jasmin » ne franchisse pas les portes du Sahel pour pénétrer dans la forêt quand on songe à l’état de putréfaction avancée des sociétés africaines. Des morts-vivants déambulent dans les rues de Kinshasa et de Libreville. De Hararé à Ndjaména, les ogres au pouvoir ont zombifié les peuples des villes et des villages et transformé cinquante ans d’indépendance africaine en « cinqhontenaire ». Le peuple a bien voulu fêter, se réjouir de cet âge de maturité, mais lorsqu’il s’est regardé dans le miroir de la mémoire pour se souvenir des cinquante ans passés et scruter ce qu’il est devenu, il a vu quelque chose de terrifiant. Il a vu le passé et le présent copulant comme le yin et le yang, comme deux monstres apocalyptiques, hideux et pâles comme la mort. De leurs ébats est sorti un monstre à sept têtes, les langues gorgées de venin et les gueules répandant le soufre de l’enfer. Alors, le peuple s’est recroquevillé dans la nostalgie du futur. Qui sait si ce n’est pas dans le futur que gît l’âge d’or ? Que vienne l’Harmattan, et qu’il ramène sous ses ailes rendues légères par la sécheresse du désert le souffle de la liberté. En attendant l’Harmattan, le peuple croupit dans ses taudis sans oser regarder le pouvoir dans les yeux.
Mais laissez-moi vous expliquer pourquoi l’Harmattan ne vient pas : parce que le Noir possède un dos d’airain, un dos que rien ne brise, un dos qui absorbe la peine telle une éponge l’eau. La meilleure métaphore de la condition de l’Homme noir apparaît dans une photo prise le 2 avril 1863 à Baton Rouge, en Louisiane, par un photographe inconnu. Elle montre un esclave, simplement nommé Peter, le dos tourné vers le photographe, exhibant des cicatrices tellement saillantes qu’on croirait qu’une charrue a labouré sa chair ou que des crêtes d’un massif ont poussé sur son dos. Flagellé à Baton Rouge, par un contremaître blanc, Peter a passé deux mois alité à guérir son dos en 3D. Ensuite, il est reparti au labeur. A l’image de Peter, le Noir est l’Homme qui a le plus haut seuil de tolérance à la douleur. L’Africain est l’espèce taillable et corvéable à merci par excellence. Comment autrement comprendre que les descendants de Kunta Kinte aient passé trois siècles dans les goulags de la Louisiane, de la Virginie, de Saint-Domingue et de Bahia ? Serrez-lui la ceinture d’un cran et vous le verrez se plier, non pas pour accuser la douleur, mais pour négocier avec elle. De Léopold II à Kabila et de Cecil Rhodes à Mugabe, ceux qui dominent sur lui ont bien compris sa psychologie et son physique tolérants. Voilà pourquoi le Maghreb, qui a su bien mieux gérer sa trajectoire postcoloniale que la Nigritie et créer un semblant de développement avec son or noir, s’embrase alors que la Nigritie, réduite en jachère par l’impéritie de ses dirigeants, se vautre dans l’apathie. A Bangui comme à Lomé, le ciel s’assombrit et le tonnerre gronde sans jamais qu’il ne pleuve. Par une sorte de scotomisation, les images de la place Tahrir et l’intifada de Benghazi gisent dans les ténèbres poussiéreuses de Kinshasa (où je vous rappelle que seulement 7% de la population éclaire sa nuit alors que le pays est doté de barrages hydroélectriques qui peuvent fournir l’électricité à toute l’Afrique centrale !). C’est là où le peuple des faubourgs a refoulé et enfoui les images de l’intifada.
Sans compter que le peuple des villes a peur de mêler le sang à la poussière des rues. Le peuple se cabre à l’idée de voir des torrents de sang sourdre et cascader dans les rues pour emporter dans leurs furies les têtes des ogres. A Kinshasa, le pouvoir a torturé et assassiné Floribert Chebeya, la voix des sans voix, et la rue est restée muette, osant à peine murmurer quelques vagues rumeurs. A Dakar, Oumar Bocoum et Tidiane Ba ont voulu émuler Mohamed Bouazizi en s’immolant eux aussi, devant le palais présidentiel, à une semaine d’intervalle. Mais à Pikine et à Treichville, les pelvis des danseurs de mbalax n’ont pas arrêté de tournoyer comme les hélices d’un hélicoptère. Le peuple africain préfère la danse à la révolution. Quand il acceptera de laisser le sang des patriotes et des tyrans abreuver l’arbre de la liberté, c’est peut-être là que les fruits du développement et de la justice pourront enfin pousser et murir sous le soleil de notre vraie indépendance. Mais voilà, il faudrait d’abord commencer par planter l’arbre de la liberté dans le jardin d’ébène, le plus riche et le plus fertile sur la terre, où pourtant l’arbre de la vie n’est visible nulle part. Peuple couard, qui s’accroche à une vie qui ne vaut pas la peine d’être vécue, qui a peur de mourir, mais qui meurt tous les jours. Le peuple dit : « mais le sang a déjà été versé ici. Souvenez-vous de Ruben Um Nyobé, des 89 000 patriotes de l’Ile Rouge massacrés par la République, de Simon Kimbangu, d’André Matswa Grenard, des soldats du camp Thiaroye, de Lumumba et de ses compagnons, des mains coupées de Léopold II, de Thomas Sankara, et de tous ces Africains anonymes, femmes et hommes, jeunes et vieux, qui ont bravé les baïonnettes et les kalachnikovs et dont les corps ont été jetés en pâture aux bêtes sauvages ».
Je vois. Il existe donc une dernière raison pour laquelle la forêt attend en vain que l’Harmattan surgisse des franges du désert et annonce l’aube de l’An I. Nous sommes la parente pauvre de l’humanité, les damnés de la terre. Pour que la communauté internationale lève le moindre doigt il faut que la mort en Afrique soit exponentielle. L’Occident a conçu une algèbre à dimension variable où le mort blanc se compte par unité et le mort noir par million. Un petit village de Bosnie où des milices serbes violent quelques jeunes filles fait la Une de toute la presse internationale. Il faut attendre que l’est du Congo devienne, selon la formule d’un fieffé rond-de-cuir de l’ONU, la « capitale mondiale du viol », « l’endroit de la terre le plus dangereux pour être femme » pour que Hillary Clinton, montée sur ses talons, esquive plusieurs tirs au Bazooka et à la roquette, des orgues de Staline et des missiles anti-char, pour enfin daigner se rendre à Goma consoler les victimes et leur promettre 17 millions de dollars aussitôt raflés par deux grosses ONG internationales pour payer les salaires mirobolants de leurs experts. Entretemps les femmes, les filles, les grands-mères, et on nous dit maintenant les pères de famille aussi, continuent à être violés et mutilés au Kivu. Ah, J’oubliais ! Ces viols et ces mutilations n’arrivent pas à cause de la prétendue libido démesurée du nègre, de son envie de copuler à tout va. Nenni. En fait, il y a une guerre qui, en gros, perdure à cause des ressources minières immenses de l’est congolais et qui a causé plus de 6 millions de morts depuis 1997, reléguant le génocide du Rwanda en bas de l’échelle algorithmique de la mort. C’est le conflit le plus meurtrier depuis la seconde guerre mondiale. Quoi ? Et la communauté internationale n’y met pas fin ! Qui douterait encore de cette humanité deux poids deux mesures à l’aune de l’hécatombe rwandais où le mot « génocide » était devenu un dirty word à Washington et où à l’Elysée François Mitterrand pouvait confier à un proche un mot calamiteux, « Dans ce pays-là, un génocide c’est pas trop important », qui résume l’humanité à double standard vue d’Occident.
Voilà pourquoi dans la forêt on ne se fait pas trop d’illusions. On ne sait plus distinguer l’ombre de la réalité. Quand la diplomatie cowboy que Sarkostar semble avoir hérité de Dubya délivre un ultimatum à Gbagbo de quitter la forêt avant le coucher du soleil, « Dead or Alive« , les Africains se grattent la tête d’un air dubitatif. Il doit respecter les règles démocratiques et céder le fauteuil branlant du vieux Houphouët à son Némésis mossi, sermonne l’Occident. Mais ce même Occident a joué un petit tour de passe-passe malin au Gabon, renversant le diktat des urnes pour pérenniser Alain Bongo Ondimba au pouvoir aux dépens du vainqueur véritable des élections, André Mba Obame. Le pauvre Obame qui a découvert le pot aux roses a beau vitupérer, alerter l’opinion internationale, implorer Ban Ki-moon, que rien n’y fait. La démocratie, c’est quand on gagne. Laurent Gbagbo qui a fait ses premières armes en Occident l’a bien compris, lui qui avait adopté comme slogan électoral : « on gagne ou on gagne ». D’ailleurs interrogez les Africains qui soutiennent Gbagbo et la plupart vous diront que c’est parce que l’Occident a fait trop de tapage sur cette affaire ivoirienne. « Much Ado about nothing ». Au lieu de laisser l’énième dictateur africain bourrer les urnes et y aller en force, comme de coutume, l’Occident nous pontifie sur la démocratie, la transparence électorale, et menace même de déloger Gbagbo manu militari. Il doit y avoir anguille sous roche. Il doit y avoir du pétrole quelque part, au large de Grand-Bassam ou, peut-être, à la frontière maritime qui sépare la Côte-d’Ivoire de la Côte-de-l’Or. Pourtant Gbagbo a sacrifié le pays à la troïka françafricaine, TotalFina, Bouygues et Bolloré. Ado, lui aussi, est prêt à donner, mais sans frasque et grabuge. En bon nègre, il saura abandonner les vautours à leur sale besogne en affichant un grand sourire « Banania » aux lèvres.
Mais finalement toutes ces explications se rejoignent. L’Occident n’a cure de nous. Et même si l’on a du pétrole comme les Arabes, il sait bien que nous sommes des non-violents, des bons bougres quoi. Il ne nous viendrait pas à l’esprit de nous bourrer d’explosifs et de les faire détonner dans la foule, même si l’on y mettait le prix : « allez, disons, dix vierges, toutes à vous, au paradis des terroristes ». Mais voilà, le nègre n’a que des rêves et pas de bombes. « I have a dream !« . Et ça, l’Occident le sait. Le nègre est un homme de palabres et non d’actions. Ça aussi, l’Occident le sait. Le nègre est un grand innocent qui embrasse son bourreau après avoir reçu une raclée. « Et toi, docile esclave, rendu d’ébène à l’image du jardin qui t’héberge, rends-toi maître de tes oppresseurs, sort du néant politique dans lequel ta lâcheté t’a confiné. Bats-toi, mon vieux ! ». Et le nègre de répondre : « I am a lover, not a fighter ». Musique à mon oreille, fredonne l’Occident. Le nègre croit littéralement qu’il faut tendre la joue gauche. « Prions, mes frères noirs », dit le père blanc. Et lorsque ses ouailles ouvrent les yeux, toutes leurs terres ont disparu et, au milieu du jardin d’ébène, trône un Christ noir en croix. « Occident, Occident, pourquoi m’as-tu abandonné ! », soupire le messie nègre, pendu à un baobab au milieu du jardin. Voilà pourquoi même si le vent de l’Harmattan pénétrait dans la forêt, nous réveillait des torpeurs de l’antifada en soufflant sur nous l’esprit d’intifada, il y aurait des « morts pour rien ». Je lis déjà quelques entrefilets dans Le Monde : « Guerre ethnique en Centrafrique », « Emeutes de la faim au Cameroun », « Des bandes isolées de pilleurs installent des barricades et attaquent les Européens au Tchad », « Des milices cannibales terrorisent les civils en Guinée », « Tintouin au Congo »
L’Afrique est taraudée d’occidentalisme. Son paysage est devenu un cimetière criblé de partout par les détritus venus d’Occident, des sachets plastiques, des « school bus » jaunes et poussifs, de la friperie maculée de sang et de cambouis, et d’autres « occasions d’Europe ». Quelle ironie ! Quel destin tragique que de passer du berceau de l’humanité à la poubelle du monde ! Chaque cinq secondes un enfant meurt en Afrique : un, deux, trois, quatre, cinq, et un de moins ; un, deux, trois, quatre, cinq, et hop. Mais nous expliquera-t-on jamais ce jeunocide africain ? Un matin typique d’Afrique, un môme s’éveille au premier cri du coq, le corps fébrile, tuméfié, lacéré et contaminé par tous les rebuts de l’Occident déchargés dans cette poubelle qui lui a servi de couche pendant la nuit. Avant que le soleil n’atteigne son zénith, l’enfant noir a quitté ce monde.
L’occidentalisme hante nos esprits, cette propension à toujours attribuer à l’Autre, à l’Ouest, la faute. L’Occident par-ci, l’Occident par-là. L’Occident fait la pluie et le beau temps. L’Occident empêche l’Afrique de se développer. L’Occident est devenu un croquemitaine, un diable en costume Dior, armé d’un attaché-case et d’un Mont-Blanc et qui, les dents jaunies à force de marier la Gauloise à l’express, vient en première classe nous faire signer notre arrêt de mort. J’ai grandi, bercé par les contes de la forêt où ne manquait jamais la figure du mundele ngulu, ce méchant blanc qui se transformait en cochon pour venir croquer les petits nègres en commençant par les orteils. Il suffisait aux parents de brandir l’épouvantail du mundele ngulu pour nous faire disparaître sous les draps et blottir de terreur. L’Occident est devenu à la fois notre opium et notre peur, notre exutoire et notre répertoire, un nud gordien qui nous empêche de quitter le lit et nous fait mouiller nos draps. C’est cela aussi que l’Harmattan que nous attendons doit emporter comme s’envole la balle de l’aire du battage.
En attendant l’Harmattan, le peuple de la forêt titube dans les ténèbres, sous une canopée qui laisse à peine percer quelques minces filets de lumière, les membres endoloris par des travaux de Sisyphe. Tout cela ne durera pas toujours. Le peuple domine en nombre parmi les hôtes de la forêt. Tapi sous le manteau brunâtre qui recouvre le sol de la forêt, on le croirait en bas de la chaîne alimentaire. Mais le peuple s’appelle magnan ; il fourmille en légions qui peuvent former chacune des colonies de plus de 20 millions d’ouvriers. Les fourmis légionnaires sont connues pour semer la zizanie dans les termitières. D’une résistance titanesque, « elles peuvent survivre onze mois à l’irradiation par du césium radioactif ; elles supportent de nombreuses pollutions d’origine industrielle et peuvent résister quatorze jours à l’immersion dans l’eau ». Parfois, lorsque je ne sais quelle frénésie agite la colonie, les magnans s’ébranlent et traquent le jeune python sur plusieurs kilomètres et malgré son agilité, sa vigueur et la terreur qu’il inspire aux hôtes de la forêt, les magnans l’enveloppent pareil au brûlis qui réduit la savane en cendre. Une fois leur besogne terminée, du formidable Léviathan il ne reste que la trace sinueuse sur le sol périlleux de la forêt.
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