« La nuit, vers le plein milieu de la nuit, quand la nuit n’est pas divisée comme une boisson douce en petites gorgées, quand il n’y a pas de juste avant minuit, de minuit, ou de juste après minuit, quand la nuit est ronde par endroits, plate par endroits, et par endroits comme un trou profond, bleu au bord, noir à l’intérieur, les vidangeurs de la nuit arrivent. »
Jamaica Kincaid cherche la précision par la répétition, en cultivant les ambiguïtés et les contradictions : « Comme la noirceur est douce quand elle tombe. Elle tombe en silence et pourtant elle est assourdissante, car nul autre son que celui de la noirceur quand elle tombe ne se fait entendre. (
) La noirceur est visible et pourtant elle est invisible, car je vois que je ne peux pas la voir. »
Le style de Kincaid donne naissance à des textes très différents dans le recueil Au fond de la rivière, compilation de deux volumes publiés en anglais en 1992 et 1997. Le premier volume comprend une dizaine de nouvelles sur l’enfance passée à Antigua. Entre descriptions minutieuses du quotidien et visions oniriques, ces textes ressemblent souvent à des voyages dans l’esprit de l’enfant, hanté par des rêves où la mère est tantôt sorcière, tantôt un « immense giron » protecteur.
Le monde visionnaire de ces récits contraste avec la deuxième partie de l’ouvrage. « Petite Ile » est une description d’Antigua, destinée au touriste, pour lui faire voir tout ce qu’il ne verra jamais. Kincaid joue avec l’ironie en faisant des parallèles inattendus entre l’esclavage et le tourisme : «
une institution que l’on célèbre souvent à Antigua est l’école hôtelière, école qui enseigne aux Antiguais à être de bons domestiques, à être personne, car voilà ce qu’est un domestique. »
Au fond de la rivière, suivi de Petite île
de Jamaica Kincaid, Traduit de l’anglais par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso, Ed. de l’Olivier, 2001, 176 p., 110 FF, 16,77 .///Article N° : 2104