Du 17 au 24 novembre dernier s’est déroulée dans la capitale malienne la cinquième édition du Festival du théâtre des Réalités. Organisé par l’association Acte Sept, ce rendez-vous pluridisciplinaire innove tant dans sa démarche que dans sa programmation.
Théâtre des Réalités… Quelle démarche se cache derrière ce nom intriguant, aux multiples échos ? Les festivals de théâtre ne cessent de se multiplier en Afrique francophone. De l’incontournable Fitheb béninois, devenu une institution, au nouveau Fatej (Festival africain de théâtre pour l’enfance et la jeunesse) camerounais en passant par le décentralisé Festhef (Festival de théâtre de la fraternité) togolais, aujourd’hui quasiment chaque pays possède une, voire plusieurs plate-formes théâtrales à vocation internationale. Secteur étonnamment dynamique, en comparaison du peu de festivals consacrés aux autres formes artistiques. Dans un contexte de plus en plus concurrentiel, chaque rencontre théâtrale se doit donc d’affirmer sa spécificité pour espérer perdurer
En cinq ans, grâce à la détermination de son fondateur, le comédien et metteur en scène Adama Traoré, le Festival du théâtre des Réalités de Bamako a réussi à se créer une forte identité. Autour d’une idée-force : populariser le théâtre contemporain en inversant la démarche habituelle qui consiste à vouloir attirer le grand public dans les théâtres. « Notre festival veut uvrer en faveur d’un théâtre de création auquel le public malien n’a malheureusement pas toujours accès, explique Adama Traoré, professeur à L’INA (Institut national des Arts) de Bamako et président d’Acte Sept. La plupart des spectacles sont généralement présentés hors de leur continent d’origine ou bien dans des lieux institutionnels. Ils sont donc éloignés des réalités du plus grand nombre. Notre objectif est de ramener ce théâtre auprès du public. La création reste minoritaire face au théâtre de sensibilisation qui dispose de moyens beaucoup plus importants, notamment grâce aux ONG. Nous voulons montrer qu’il peut aussi exister un théâtre de création contemporain et populaire. »
Amener des spectacles de qualité dans des lieux populaires, c’est sans doute l’objectif fondamental du Festival du théâtre des Réalités. Pour y parvenir, Acte sept a mis en place pour la première fois cette année, un partenariat avec cinq des six communes de Bamako, afin que des spectacles puissent investir chaque jour un quartier différent. Innovation de taille lorsqu’on mesure la gageure que cela représente. Car rien n’est moins simple que de présenter dans de bonnes conditions des spectacles sur les terrains de football de Koulouba, de Laflabougou ou encore dans une cour du village de Dogodouman. Parvenir à assurer le minimum d’exigences techniques relève à chaque fois de la prouesse. D’autant que les municipalités, qui s’étaient engagées à offrir un lieu, à garantir la sécurité des spectacles et à mobiliser leurs habitants, ont parfois décidé au dernier moment de ne pas respecter les protocoles d’accord qu’elles avaient pourtant signés. Bref, amener les spectacles aux populations et non le contraire n’est pas une mince affaire. Adama Traoré y tient pourtant plus que tout. Dans la droite ligne de cet objectif, il a d’ailleurs tenu à ce que des spectacles du festival partent pour la première fois en tournée à travers le Mali, notamment à Ségou, Mopti et Sikasso.
La volonté d’innover se retrouve aussi au cur de la programmation du cru 2000. Après la musique, le festival s’est ouvert cette année à la danse contemporaine avec le spectacle fort intéressant de la Jeune Compagnie de Danse Malienne « Kana Kasi« , chorégraphié par la danseuse haïtienne Ketty Noël (cf. interview de cette artiste et critique du spectacle dans le prochain numéro d’Africultures). La seconde compagnie programmée, Kongo Ba Teria du Burkina Faso, n’avait pu finalement se rendre à Bamako.
Côté musique, des concerts organisés chaque jour dans la très populaire Maison des Jeunes, centre névralgique du festival, et dans les communes, ont aussi joué la carte de la diversité, en accordant une large place au rap avec, entre autres, la présence du groupe guinéen Kill Point.
Enfin, bien sûr, c’est dans la programmation théâtrale foisonnante du festival que se sont illustrées les innovations de cette cinquième édition. Notamment avec la présentation de plusieurs co-productions entre le Sud et le Nord. Tel le spectacle inaugural du festival, « Le Fripon divin ou dans l’ensemble ça va« , co-produit par le Théâtre du Versant (France), la compagnie Chamates (Maroc) et Acte Sept (Mali) et la très réussie co-production franco-béninoise « Les Nouraanes » par le Théâtre Vert. « Ces co-productions ne nous sont pas imposées ou commandées par des institutions, rappelle Adama Traoré. Elles reflètent un engagement, par intérêt réciproque, où priment les qualités humaines et culturelles. Ce sont avant tout des échanges fructueux. »
Pour la première fois, deux troupes venues d’Afrique centrale étaient aussi présentes : le N’Zonzi Théâtre du Congo Brazzaville et les Intrigants du Congo Kinshasa.
Si cette cinquième édition était placée sous le thème « De l’Afrique à l’Afrique », la programmation du cru 2000 a cependant marqué une indéniable volonté de s’ouvrir toujours plus au monde. Avec l’étonnante présence d’une troupe italienne Koron Tlé, dont le travail expérimental s’inspire beaucoup du mime.
Autour du théâtre, de la danse, de la musique, mais aussi des lectures et des tables-rondes, la cinquième, édition du Festival du théâtre des Réalités n’a donc pas hésité à prendre des risques pour que s’opèrent de nouvelles rencontres entre le public bamakois et le théâtre contemporain.
Le chef d’uvre de Moussa Diagana
L’un des temps fort du festival fut sans aucun doute la lecture de la dernière pièce du dramaturge mauritanien Moussa Diagana. Après « La légende du Wagadu vue par Sia Yatabéré » (parue aux Editions Lansmann en Belgique), déjà saluée par la critique et le public, la dernière pièce de l’auteur « Targuiya ou l’amour aux temps des guerres » est remarquable. Mêlant souffle politique et épique, elle narre les tourments d’une jeune Touarègue de 17 ans confrontée conjointement à l’amour et à la guerre. ///Article N° : 1752