Banningsville : L’album de Kapaya

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Retour sur une galette sortie chez Buda Musique en France, en provenance directe des Studio Kabako, à Kisangani. Retour sur le premier opus solo d’un guitariste congolais connu pour ses audaces sur scène. Flamme Kapaya écrit pour la danse, mais pas seulement. Sa rumba dépote, s’invite dans l’ailleurs, et raconte la terre des aïeux.

Une pop raffinée d’Afrique centrale. C’est le moins qu’on puisse dire. S’y trouve emmêlé le son apaisé d’un ndombolo, presque tenu en apesanteur. S’y promènent aussi quelques riffs de guitare surplombés d’une rage toute contenue, appelant à d’autres influences que celle de la rumba congolaise. On pense à l’ange Hendrix, notamment. Ne jamais oublier que l’artiste Kapaya a reçu un prix, le « Bessie Awards » 2012 de la meilleure composition, pour la bande-son rock du More more more… future de Faustin Linyekula, son camarade de combat. Faustin, génie chorégraphe des temps nouveaux, pour qui il a composé la musique de deux Bérénice, l’un pour la Comédie-Française en 2009, et l’autre pour le festival d’Avignon en 2010. Faustin, avec qui il a beaucoup tourné dans les festivals de danse, en Europe, en Amérique et en Afrique. Rien à voir avec les raouts pour sapeurs en mal de reconnaissance. Faustin, qui veille, pour les Studio Kabako, sur ce projet, en arrière-plan, aux côtés de Virginie Dupray, sa complice de Kisangani.
Ne pas s’étonner de l’alchimie de cet album, qui ramène, par moments, à l’épopée burlesque des Maison Mère, avec Werrason à l’avant-scène. Kapaya, en bon thuriféraire, y a forgé, dix années durant, ses galons de glorieux capitaine, en signant les arrangements de quelques-uns des plus beaux succès de la scène festive kinoise. C’est dans ce groupe qu’on lui aurait offert ce p’tit nom de légende, « Flamme », en référence au vaillant Capitaine Flam, héros de bande dessinée, toujours sur le pont, à qui le gouvernement intersidéral fait appel, quand il n’est plus capable de trouver une solution à ses problèmes, et quand il ne reste plus aucun espoir, à l’horizon. C’est vous dire qui est l’homme Kapaya pour ses camarades de scène. Une sorte de pilier en puissance ! L’artiste a quitté le navire Werrason, depuis bien longtemps, maintenant. Avec le besoin d’éprouver ses limites sur d’autres fronts. Au passage, il en a profité pour gagner en pulsions posées.
Tordant le sebene à sa guise, sans trahir l’esprit chauffé-chauffé du big Franco, il sait aussi s’affranchir de certaines pratiques laudatrices, très à la mode en pays Congo. Le fait d’avoir à satisfaire l’ego des « ambianceurs » en pôle position, en alignant pêle-mêle, tel un mauvais griot, des noms et des titres à vide dans les morceaux, lui parle assez peu. Une tendance pourtant en hausse, qui paie bien son homme, 2 000 euros au moins par personne citée sur une chanson, raconte-t-on. Certains artistes arrivent même à financer leurs disques grâce à ce marketing des noms et des titres, habilement négocié. Flamme Kapaya, lui, préfère raconter une histoire, à la place. Celle d’un pays où les spéculations sur le prix du sang versé, au nom du peuple, peuvent dérouter, parfois. « Parler du pays fait peur, c’est peut-être pour cela qu’il y a à Kinshasa toute cette distraction, ce bruit, cette musique en permanence, pour ne pas affronter le silence et les fantômes, pour ne pas parler du pays ». Lui, il choisit, bien sûr, d’en causer. Dans un album, qui, certes, peut s’écouter au casque, mais qui demande, sur certains titres, à résonner, pleinement, dans une salle bondée, avec du son qui tâche les murs, en réponse au monde qui vacille. Envie d’en découdre, probablement, contre le génie mauvais des forces parallèles, sans aucun doute ! L’album parle notamment de sorcellerie, mais pas que…
Sur ce projet, Kapaya n’est pas seul à se mouiller la chemise. Une fine équipe l’entoure : le frère Zing à la seconde guitare, Tonino Massamba à la basse, « Tempête » Kayembe aux drums, et surtout, Kolo Kwanga au puita sur Fungola mboka et Makwa ndungu, deux titres rappelant la force d’une inspiration venue du pays Bandudu, ex-Banningsville, à qui l’opus emprunte son titre. Le puita est un instrument traditionnel, qui viendrait du terroir du père et de la mère. Car cet album est aussi l’hommage rendu par le fils aux parents, fantômes et autres masques d’un passé récent. C’est le père et la mère qui viennent de Banningsville, au départ, et qui, donc, expliquent la ferveur, avec laquelle, ces 12 morceaux se sont laissés mettre en boîte. « Cet album », explique l’artiste, « a débuté avec mon retour dans le village de mes parents en février 2010. Je parle de retour, car même si je n’y étais jamais allé – je suis né et ai grandi à Kinshasa – les noms des villages du Bandudu ont baigné mon enfance, des noms de lieux, des noms de personnes, le grand-père Louison un peu sorcier, grand musicien, qui m’a peut-être transmis la musique par-delà les forêts jusqu’à Kinshasa, Mama Jacqueline, ma mère et mon père »Un projet, qui semble nourri au feu du souvenir, sinon des origines, pour notre plus grand bonheur.

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Flamme Kapaya © DR





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