Bilan Cannes 2025 : l’affirmation d’un jeune cinéma

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Les films d’Afrique ou de la diaspora, et ici quelques autres, ont en commun d’oser des sujets délicats, actuels, dérangeants. Ils prennent parfois des risques dans leur propre pays. Ils sont réalisés par des cinéastes souvent jeunes qui tablent sur l’intime, brisent les tabous et regardent avec lucidité l’état du monde. C’est une dominante de ce festival, confirmation d’une tendance qui s’affirme depuis quelques temps, d’accorder aux jeunes cinéastes l’extraordinaire visibilité de ce festival.

Le monde en crise rattrape la culture

Cannes ne déroge jamais aux paillettes, stars en smokings et robes de soirée pour l’inauguration dans le grand auditorium Lumière de 2300 places. Cela n’a pas empêché les guerres et la politique de s’y inviter plus que jamais.

Déjà, avant le festival, deux événements de taille en France : d’une part la condamnation de Gérard Depardieu pour abus sexuels durant un tournage qui constitue une victoire du mouvement metoo qui cherche à combattre l’impunité dans le monde du cinéma, et d’autre part la tribune signée par 380 personnalités du cinéma mondial qui indiquent «  qu’ils ne peuvent rester silencieux tandis qu’un génocide est en cours à Gaza « .

De fait, la présidente du jury longs métrages, l’actrice française Juliette Binoche, rendit hommage à la photojournaliste Fatima Hassouna, tuée par l’armée israélienne alors qu’elle devait venir à Cannes participer à la présentation du film que lui a consacré la réalisatrice iranienne Sepideh Farsi.

Alors que Leonardo DiCaprio a remis à Robert De Niro une Palme d’or d’honneur (Spike Lee en remettra une à Denzel Washington le 19 mai), ces deux monstres sacrés du cinéma hollywoodien se sont accordés pour dénoncer directement Donald Trump :  » une menace contre la démocratie, qui ne concerne pas que l’Amérique « .

De fait, le président américain avait ajouté à ses nombreuses menaces et décrets la volonté une semaine avant le festival d’imposer des droits de douane de 100 % sur tous les films tournés à l’étranger. Il s’est récusé ensuite après avoir déclenché une tempête, indiquant qu’il allait en discuter avec les sommités d’Hollywood, lesquelles lui ont rappelé que les deux-tiers des revenus de leurs films sont engrangés en dehors des Etats-Unis.

Notons que les Américains représentent la plus grosse délégation à Cannes, notamment au marché du film où sont accrédités plus de 15 000 professionnels de 140 pays, ce qui en fait le plus important au monde, devant Berlin notamment. Toronto prévoit d’en ouvrir un en 2026. Celui de Cannes ne se résout pas seulement à l’achat des droits de distribution des films par territoires : il se veut sans cesse innovant. On parle beaucoup d’intelligence artificielle dans les multiples rencontres professionnelles. L’AI permet de réduire les coûts mais pose la question sociale des emplois concernés ainsi que des droits. Mais au-delà, il s’agit de savoir si la technologie se mettra au service des créateurs ou le contraire ! Nombre de de ministres de la Culture sont présents pour attirer les productions et les tournages.

En dehors des très nombreuses projections du marché, ce sont 110 films qui sont montrés aux festivaliers, dont 22 concourent pour la prestigieuse palme d’or. Sont présents environ 4 000 journalistes issus de plus de 2 000 médias et représentant près de 90 pays. C’est cinq fois plus que de capacité dans les salles, si bien que malgré l’efficacité du nouveau système de réservations en ligne, il est très difficile d’arriver à déterminer son agenda et de prévoir ses interviews, de nombreuses séances étant rapidement complètes.

Un tel engouement résulte de l’alchimie d’un festival qui sait montrer le nouveau Mission : impossible dans une salle et en même temps un film indépendant et sans gros budget dans la salle d’à côté. Car c’est ça le cinéma : à la fois une distraction et une proposition de réflexion, avec la ferme conviction qu’il ne changera pas le monde mais qu’il peut contribuer à le repenser.

Un cinéma politique

Tarik Saleh, né en Suède de père égyptien, a connu le succès international avec  » Le Caire confidentiel  » (2017) qui lui valut de réaliser un film très hollywoodien,  » The Contractor « , pour Netflix, et a reçu un prix du scénario en compétition officielle à Cannes pour  » La Conspiration du Caire  » en 2022. Il revient avec  » Les Aigles de la République « , également en compétition. Perçu comme critiquant la police égyptienne, il avait été interdit de séjour et son équipe déclarée « indésirable » dans le pays trois jours avant le tournage du premier film de sa « trilogie du Caire ». Il a dû le réaliser au Maroc, et s’est rabattu sur la Turquie pour les deux suivants. Les aigles, qui fait référence au drapeau égyptien, ce sont les autorités. Elles sollicitent l’acteur le plus adulé du pays pour tenir le rôle du président actuel Abdel Fattah al-Sissi dans une hagiographie qu’il ne peut refuser car en même temps, ils menacent son fils. Un film dans le film donc tandis que ces autorités sont directement dénoncées comme tyrannique, corrompues et violentes. De facture grand spectacle avec de gros moyens, le film est habilement construit autour du cas de conscience de cet acteur dragueur et indépendant. Cela permet à Tarik Saleh d’éviter un discours militant tout en enfonçant le clou contre le régime, et donc de revenir par ce biais fictionnel à la politique.

Repolitiser le temps, c’est le projet qui articule tout le cinéma du célèbre cinéaste haïtien Raoul Peck. Il s’empare de la biographie de Georges Orwell, non pour faire un biopic passéiste mais pour la faire résonner dans le temps présent. Le film était présenté hors compétition dans la section Cannes première qui groupe les films de réalisateurs confirmés que le festival sélectionne pour tenir son rang sans pour autant les faire concourir. Peck prend des éléments biographiques de l’auteur engagé de  » 1984 « , œuvre visionnaire publiée en 1949 sur le danger totalitaire, pour interroger ce qui nous arrive. Le titre inattendu du film est  » Orwell : 2+2=5 « . Cette curieuse addition est reprise durant tout le film : Orwell a montré combien les discours politiques nous font croire n’importe quoi. Cette discrépance entre les mots et les faits est à la source de la grande manipulation des régimes autocratiques et fascisants, ceux qui brûlent les livres ou les interdisent dans les écoles comme aujourd’hui aux États-Unis. Comme à son habitude, Peck multiplie les références avec une voix-off très personnelle dans un impressionnant et convaincant appel à ne pas abandonner les valeurs morales.

Eternels immigrés

Au cinéma, l’émotion n’est pas issue d’une tension mais d’une proximité nous permettant de sentir la vitalité des personnages. Cette subtilité ne ressort pas des ficelles du récit mais d’une approche humaine, ouverte aux faiblesses comme aux beautés de chacun. Cela demande dès lors une longue préparation sur le terrain pour en saisir les composantes et les contradictions. A cet égard,  » Promis le ciel  » de la Tunisienne Erige Sehiri est un bijou. Trois femmes ivoiriennes entourent une petite fille de 4 ans rescapée d’un naufrage. Elle porte le nom de Kenza qui veut dire à la fois le trésor et le cadeau : les immigrés donnent souvent des prénoms locaux à leurs enfants pour mieux s’intégrer. Marie (la toujours excellente Aïssa Maïga) est une prédicatrice installée en Tunisie depuis dix ans, qui accueille Jolie, une étudiante, et Naney, dont le passeport a été confisqué par son employeur. Tout va tourner autour de la relation de chaque femme avec cet enfant et rien n’est simple. Choisi pour la séance d’ouverture de la sélection officielle  » Un certain regard « , le film a bénéficié d’une belle visibilité et a été très apprécié. Erige Sehiri l’a présenté comme un film qui  » cherche à promouvoir l’empathie pour que la déshumanisation de l’Autre cesse « . Le contexte est en effet le harcèlement policier clairement raciste que subissent les immigrés après que le président tunisien ait appelé à les chasser. Cela n’empêcha pas de tourner en Tunisie mais en privilégiant les scènes d’intérieur pour ne mettre personne en danger, tout en respectant la méthode de travail d’Erige Sehiri, basée sur une élaboration permanente du scénario en fonction des improvisations des acteurs et actrices.

Très différent mais non moins percutant,  » Aïsha ne peut pas s’envoler  » de Morad Mostafa. Il avait été doublement primé à la Semaine de la critique en 2022 pour son magnifique court  » Je te promets le paradis « . Son premier long métrage le prolonge : il porte sur le mépris et les préjugés envers les immigrés noirs à travers le parcours d’une jeune soudanaise de 26 ans placée comme aide à domicile chez des personnes âgées, comme tant d’autres en Egypte, par une de ces nombreuses agences qui exploitent les immigrées en gardant leur passeport pour les empêcher de se plaindre. Sous-payée, esclave à qui on ne dit jamais merci, elle est également supposée répondre à leurs besoins sexuels. Pour ne pas être expulsée de son logement, elle s’acoquine avec des truands qui vont voler les vieux. Cette situation provoquée par les imaginaires racistes est traitée de façon onirique dans le film jusqu’à des images difficilement soutenables mais très évocatrices. L’affrontement entre les gangs arabes et africains du quartier complète cet édifiant tableau dans un film plastiquement très fort, à même de déclencher des débats.

La mémoire intime

La mémoire n’est pas l’Histoire. Parce qu’il est un art, le cinéma, même historique, fait plutôt œuvre de mémoire, parfaitement subjective, volontiers personnelle. Se souvenir de son père, c’est le situer dans son époque, son environnement. Et c’est l’imaginer, le reconstruire à partir des souvenirs marquants mais incomplets. C’est ce que font en écho des films présentés à Cannes.

Dans la section officielle Un certain regard, le Nigérian Akinola Davis Jr. connu pour ses courts métrages a présenté son premier long partiellement autobiographique, co-écrit et coproduit avec son frère,  » L’Ombre de mon père « . Un film nigérian en sélection officielle à Cannes, c’est un événement, d’autant plus important que le film est assez fascinant et d’une grande beauté. La grande ‘Histoire est certes présente avec une ambiance de guerre civile due à l’annulation par les militaires des élections de 1993 qui avaient laissé espérer la démocratie. Cependant, le récit débute et se termine par une adresse du réalisateur à son père : «  cher père, je te verrai dans mes rêves « . Folarin (joué par l’acteur britannique Ṣọpẹ Dìrísù), ne voit jamais ses fils, deux pré-adolescents, car il travaille loin à Lagos pour nourrir la famille. Pour se rattraper, il emmène Olaremi et Akinola dans la grande ville. Ce sera à la fois une joie et une épreuve, l’annonce des militaires provoquant des émeutes… Akinola Davis Jr., qui est aussi DJ et animateur de radio, impulse un rythme musical à tout le film, fragmentant le récit en images impressives, avec une grande maîtrise et une belle originalité. Cette poésie onirique ouvre à l’émotion car les souvenirs des enfants ne sont pas les mêmes que ceux des adultes : des détails comme les insectes et animaux sont aussi importants que les visages et les gestes.

Cette approche intimiste, l’Egyptien Namir Abdel Messeeh la développe à merveille dans «  La Vie après Siham  » (sélection ACID). Son approche kaléidoscopique avait déjà marqué avec «  La Vierge, les Coptes et moi « . On retrouve ici cette façon très intime de filmer sa famille. Siham, sa mère, est décédée. Ne reste plus que son père Waguih pour convoquer les souvenirs. Son art est de trouver les images et les sons qui permettent de faire vivre les émotions et les sensations. Il puise autant dans de vieux films de Youssef Chahine que dans ce que finit par raconter son père et tous les documents laissés par sa mère. Cette histoire familiale est dès lors une histoire du siècle.

Même l’humoriste camerounais Thomas Ngijol fait de son film une thérapie pour apaiser sa relation à son père dans «  Indomptables « , présenté à la Quinzaine des cinéastes. Il se met en scène en commissaire de la section criminelle qui gueule sur les malfrats comme il gueule sur ses enfants. Un homme antipathique et violent donc, mais qui le fait au nom de la défense de l’ordre et des valeurs traditionnelles. Il s’avère être honnête, contrairement aux autres policiers. Ngijol interprète remarquablement ce personnage complexe dont on suit l’enquête qu’il mène de main de maître dans un Cameroun marqué par les précarités. Il va peu à peu prendre conscience et évoluer. Un film d’anti-héros mené tambour battant et très réussi.

La mémoire intime, c’est aussi ce documentaire-hommage au cinéaste brésilien Carlos Diegues mort en février 2025 : «  Para Vigo me voy !  » (A Vigo je vais!) de Lirio Ferreira et Karen Harley, présenté dans la section Cannes Classics. Diegues est connu pour avoir mis en avant la mémoire noire au Brésil, notamment les quilombos : les communautés d’esclaves marrons dont certaines ont perduré jusqu’à aujourd’hui. On y voit Paulin Soumanou Vieyra faire une brillante analyse du film durant la conférence de presse à Cannes en 1984 : il dit qu’il  » avait l’impression de se retrouver en Afrique « . Le film est à la fois familial et historique et cette combinaison donne une grande force à la biographie du cinéaste. Car la force du cinéma n’est-elle pas, au-delà des discours, de convoquer l’intime autant que l’Histoire pour donner force à une mémoire politique face aux tremblements de notre monde ?

Quelle place pour le spectateur ?

Dans un festival comme Cannes où l’on consomme tant de films qu’on finit par les confondre, les films-choc ont plus de chance de sortir du lot. Ce n’est pas forcément les meilleurs. Prenons l’exemple de «  Sirat « , sélectionné en compétition officielle. Son réalisateur, l’Espagnol Oliver Laxe, a longtemps vécu au Maroc et y fait ses films. Il plonge dans une rave-party regroupant une grand nombre de punks ou marginaux, le plus souvent venus d’Europe, dans le désert. Les hauts-parleurs sont au maximum et la transe est générale. Luis (l’acteur Sergi Lopez) y cherche sa fille aînée dont il n’a plus de nouvelles depuis des mois. Son fils Esteban le seconde, avec l’aide de photos, mais personne ne la reconnaît. Une autre rave est organisée plus au Sud, et ils se joignent à un groupe assez amoché par la vie qui s’y rend avec des camions style  » Mad Max «  par des voies très escarpées. C’est alors qu’une série de drames vont se produire, en accord avec le titre du film qui évoque le passage entre le paradis et l’enfer.

Laxe choisit de tabler sur le suspense face à des risques mortels, donc d’introduire du spectaculaire dans ce qui jusque là était plutôt une réflexion esthétique un peu creuse sur la marginalité face à un monde qui s’embrase (les radios parlent de troisième guerre mondiale). L’ambiguïté s’installe qui divise les spectateurs : ils n’apprécient pas toujours de recevoir ainsi des claques manipulatrices. En tout cas pas moi.

Beaucoup moins ambigu mais quand même coup de poing, «  L’Intérêt d’Adam  » de la Belge Laura Wandel a fait l’ouverture de la Semaine de la critique. Il s’attache à une infirmière cheffe dans un service hospitalier de pédiatrie, remarquablement interprétée par Léa Drucker. Très engagée, elle essaye de dénouer la relation trop possessive d’une mère avec son enfant de 4 ans Adam qui, du coup, est atteint de malnutrition. Mais elle le fait avec une insistance elle aussi problématique… Dans le cadre chaotique d’un hôpital submergé, comment protéger et soigner à la fois la mère et l’enfant : qu’aurions-nous fait à sa place ? Le film suit en permanence sa croisade sur un rythme haletant qui laisse peu de place à la réflexion du spectateur mais celle-ci s’enclenche après le film, une fois la tension retombée.

Homosexualité

Le film d’ouverture de la Quinzaine des cinéastes était  » Enzo « . Robin Campillo (réalisateur de 120 Battements par minute, grand prix à Cannes en 2017) a poursuivi le projet développé avec son ami Laurent Cantet (palme d’or à Cannes pour  » Entre les murs «  en 2008), décédé d’un cancer en 2024. Le jeune Enzo, de famille très bourgeoise, préfère faire un apprentissage de maçon à ses études. Il s’entiche d’un travailleur ukrainien. On devine dans ce trouble adolescent les contradictions à l’œuvre…

Hafsia Herzi, Marseillaise d’origine algéro-tunisienne, a mené une remarquable carrière d’actrice marquée par son engagement tant physique qu’affectif. Elle est passée à la réalisation avec « Tu mérites un amour« , présenté à la Semaine de la Critique en 2019. Elle avait osé s’y mettre en scène dans la complexité et les contradictions de ses méandres amoureux. Avec «  La Petite dernière « , présenté cette fois en compétition officielle, elle filme l’éveil amoureux d’une jeune Arabe, Fatima (Nadia Melliti, remarquablement présente), qui se découvre davantage attirée par les femmes et tente de naviguer entre ses attaches culturelles et un monde qui s’ouvre à elle. Le film aborde un sujet délicat sinon tabou, et le replace dans la quête d’amour. Émouvant, il le fait avec autant de délicatesse que de détermination.

L’homosexualité est illégale dans de nombreux pays, un crime passible d’emprisonnement dans 33 des 55 pays africains. Et pourtant, si c’est un sujet que le cinéma mondial aborde largement, et peu à peu aussi les cinémas d’Afrique, c’est qu’il touche à la différence et donc aux relations avec « ce qui n’est pas moi ». Car habiter le monde, comme le rappelle Felwine Sarr, c’est habiter avec tous ceux qui le peuplent.

Le Sud-Africain Oliver Hermanus n’est pas un inconnu à Cannes.  » Beauty « , présenté à la section officielle Un certain regard en 2011, avait remporté la Queer Palm. Ses autres films ont été à Locarno ou Venise et son 6ème long métrage est en compétition officielle à Cannes avec son premier film américain : » The History of Sound « . Ici encore, une relation homosexuelle entre les deux héros, interprétés par des célébrités, l’Irlandais Paul Mescal et le Britannique Josh O’Connor. Ils s’aiment comme ils aiment la musique et reportent cette sensualité sur les ballades populaires en voie d’extinction qu’ils récoltent dans des régions reculées des États-Unis. Nous sommes en 1919 et les deux compères les enregistrent sur des cylindres en cire. Pour eux, la musique n’est pas seulement des sons, mais aussi des couleurs ou ce que l’on voit dans la nature. Ici encore, beaucoup de délicatesse, une façon d’exprimer les sensations autrement que par les mots. Comme dans son impressionnant remake de «  Vivre  » de Kurosawa en 2022, Hermanus trouve dans un style classique bourré de fulgurances la subtilité nécessaire pour nous faire ressentir la beauté d’êtres qui luttent contre l’oubli.

Joyeuse diversité

On le sait, les Africains font les sales boulots un peu partout dans le monde mais leurs enfants s’intègrent et revendiquent leur place à égalité dans la société d’accueil tout en conservant les richesses de leurs origines. Cette joyeuse diversité est célébrée dans de nombreux films comme le très drôle mais aussi touchant «  Ma frère  » de Lise Akoka et Romande Gueret, présenté hors compétition. Un centre aéré de quartier déboule en colonie de vacances dans un camping et fait l’ambiance ! Y compris dans la salle Debussy du festival (1000 places) où les proches des acteurs de ce film choral étaient nombreux à le soutenir.

Même chose d’ailleurs à la projection de «  Les Filles désir  » de Princia Car à la Quinzaine des cinéastes, où la majorité des spectateurs étaient venus des quartiers Nord de Marseille. Rien d’étonnant : elle a fondé une école de cinéma alternative dans la cité phocéenne et a mis en place un système d’écriture collaborative. C’est un groupe soudé qui fait le film, avec beaucoup de répétitions pour le mettre au point. Ici aussi un centre d’animation de quartier spontané où une jeune femme revient après sept ans de tapin et vient tout bouleverser. Ce genre de films rythmés par l’inépuisable logorrhée des jeunes de quartiers populaires met en scène quelques aventures individuelles mais c’est le collectif qui domine car il structure ce groupe éclaté.

Beaucoup moins joyeux et même plutôt sombre, «  Météors  » d’Hubert Charuel met en scène des jeunes qui ont du mal à s’en sortir, entre espoirs et désillusions. Tony (Salif Cissé, révélé par  » A l’abordage  » de Guillaume Brac, 2021), devenu entrepreneur dans le bâtiment, tente d’aider ses potes Mika (Paul Kircher) et Daniel (Idir Azougly, révélé par  » Shéhérazade  » de Jean-Bernard Marlin, 2018) mais rien ne sera simple : une diversité qui peine à trouver ses marques.

Des acteurs se sont imposés comme l’inénarrable Ramzy Bedia, né à Paris de parents algériens. Dans «  Classe moyenne « , une comédie d’Antony Cordier présentée à la Quinzaine des cinéastes, il est le gardien de la riche résidence de vacances d’un couple qui ne mesure ni son mépris ni sa condescendance à travers ses actes et ses expressions. Le petit ami de leur fille est joué par Sami Oultabali, star montante du cinéma français d’origine marocaine : apprenti avocat, il tentera de régler les différends, à ses risques et périls. C’est drôle mais l’humour est un tragique vu de dos…

Cette joyeuse diversité remet en cause une société qui se replie dans sa peur de l’Autre. Les 24 marches du tapis rouge du palais des festivals représentent les 24 images par seconde du cinéma. 12 suffiraient pour l’image mais il en faut 24 pour le son. Plus large, la 12ème marche permet de se retourner pour une pause photo à mi-chemin. Cette fameuse montée des marches fait partie de l’immuable rituel cannois qui inscrit le cinéma comme célébration de l’unité d’une société et même d’un monde dans sa diversité. L’Afrique y taille peu à peu sa place, et bouscule les conservatismes, réalisant le vieux rêve de Paulin Soumanou Vieyra pour une harmonie des cultures dans leurs différences.


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