La poésie de cette Marocaine de Tanger allie beauté, force et désespoir dans des textes qui ressemblent aux mélopées tragiques où la reprise d’une phrase, d’une expression scande les étapes d’un récit riche en décrochements et variations. Les expressions font ricochet » nous avons toutes attendu / en vain / et en larmes » (49), « je vois rouge la mer / qui vers moi s’avance » (97). La parole personnelle et souffrante déplore l’état du pays : « je hurle un pays qui me transperce » (46) et cherche dans la poésie francophone une liberté nouvelle: « quelque chose de plus fort que l’arabe / qui m’enterra s’enterre / et m’impose un nouveau langage » (30) qui hélas ne saura que scier « l’aorte des chimères » (31). Ce volume reprend deux recueils écrits à 20 ans d’intervalle : « Femme je suis », court texte brûlant publié en France en 1981 et « Contes d’une tête tranchée » publié à Rabat en 2001 et structuré en trois « contes » qui sont plutôt des poèmes ardents sur le thème de la ville, de l’enfermement, du départ, de la mort : « ce fut le conte-sanglot d’une femme déchirée / le conte-sanglant d’une tête tranchée / sur le chemin de l’émeute » (113). Seule l’eau ouvre à l’immensité avant de ramener le cortège d’images obsédantes : « la nuit descend sur l’océan / et les noyés nous guident / Combien êtes-vous morts pour / avoir rêvé d’une autre rive / d’une autre aube / d’une autre justice ? « (108). On l’aura compris, cette poésie en vers libres, au lexique simple, est construite comme une complainte, reprenant sans cesse la même douleur qui alimente la rébellion après « des siècles de silence / dans le palais de Shahrayar » (113), tente de soulever « la trappe des cités souterraines » et de rendre compte d’un Maroc où il faut « déchirer le marbre » (97).
Rachida Madani, Blessures au vent, Paris, La Différence, 2006.///Article N° : 4373