L’archétype du logement dit « immigré », c’est le foyer de travailleurs migrants, cette spécificité française construite pour héberger les travailleurs du Maghreb et d’Afrique noire dans les années 1960-1970. Pour introduire ce numéro par quelques ressentis du quotidien dans cet habitat en 2013, Afriscope et Sekou Diallo ont tendu le micro aux habitants d’un foyer rue Bisson, dans le 20e arrondissement de Paris.
De père en fils
Les foyers ont été construits dans les années 1970 pour nos grands-pères et nos pères. Je suis en France depuis 2006 et je n’ai toujours pas trouvé un bon travail. Dans le foyer, tu peux rester deux ans sans salaire et vivre comme tout le monde parce que la famille ne te laissera jamais tomber. Chacun cotise pour aider celui qui n’a pas les moyens de payer le loyer. Sinon, on se retrouverait dans la rue. J’ai repris la chambre de mon père. Lui vit avec mon oncle, et moi avec deux cousins. Il va repartir au Mali dans quelques jours parce qu’il ne supporte plus de voir comment nous vivons. À son époque ils avaient un peu de moyens quand même et ils étaient moins nombreux. Aujourd’hui, nous sommes les uns sur les autres et avec la crise la vie est très difficile. /// Seydou, 29 ans
Promiscuité
Le foyer, c’est moins cher qu’un autre logement, mais la vie y est difficile. On a peu d’espace pour dormir. Nous sommes trois dans 20m², il y a un seul lit mais on installe des couvertures par terre. Le week-end, je voudrais me reposer mais c’est impossible, la porte d’entrée s’ouvre en permanence et les couloirs sont remplis de monde. Après c’est aussi agréable parce tu trouves toujours quelqu’un avec qui discuter. Mais si j’avais la possibilité de partir, je le ferais. /// Moussa, 35 ans
Être jeune en foyer
J’habite ici depuis 2006. Je suis venu à l’âge de 12 ans pour rejoindre mon père et je vis toujours avec lui dans sa chambre. Être jeune dans un foyer, c’est vraiment difficile. Tu n’as aucune liberté. Avec le respect des anciens, tu dois faire attention à tous tes faits et gestes. Je voudrais partir et habiter seul. Mon logement idéal, ce serait un studio dont j’ai la clef, je pourrais sortir quand je veux. Nous sommes les uns sur les autres ici. Et puis en ce moment avec les travaux il faut attendre quatre heures pour aller aux toilettes, il y a mieux quand même ! /// Lassana, 19 ans
Vie collective
Je ne vis pas dans ce foyer, j’habite en appartement avec mon oncle et mon père qui m’ont hébergé en arrivant en France. Je viens ici pour manger et je donne un coup de main à un ami qui travaille à la cuisine. Tous mes potes vivent ici. On se retrouve le soir pour discuter. Souvent je ne pars qu’à deux ou trois heures du matin. Même si tu n’as pas de potes au foyer tu rencontres toujours des gens avec qui tu peux partager beaucoup de choses. En fait, j’aimerais vivre dans un foyer parce qu’on a plus de libertés. Bien sûr il faut être responsable, marcher dans le droit chemin, travailler, mais le reste ne regarde que toi. /// Issa, 29 ans
Solidarité
J’habite depuis cinq ans ici. C’est très dur, je me sens en prison mais je n’ai pas le choix ; ma famille m’héberge. Je ne trouve pas de travail, ou juste pour un ou deux mois, alors comment pourrais-je me payer un loyer de 500 euros ? J’ai un petit boulot à la cuisine du foyer, c’est ce qui me fait tenir mais c’est vraiment compliqué, je regrette d’être venu en France. Tu es jeune, tu n’as pas de papiers, tu sors à peine de la cuisine du foyer, mais tu n’as pas d’autres choix./// Abdoulaye, 31 ans
Lieu culturel
Je suis arrivé en 1990 dans ce foyer et j’y ai habité 14 ans. Aujourd’hui je partage un appartement dans le 15e arrondissement mais j’ai laissé mes affaires ici. Beaucoup de personnes, comme moi, n’habitent plus au foyer mais continuent de venir parce que dans notre culture, le foyer est le lieu de la communauté. On partage les mêmes problèmes, on a besoin d’être ensemble. Par contre, les logements sont trop petits. En ce moment il y a des travaux pour que toutes les chambres soient individuelles mais le loyer risque d’augmenter. Ça nous inquiète. /// Moussa, 45 ans
La Nuit, Leslie Riss
Leslie est voisine d’un foyer de travailleurs migrants emblématique de Montreuil (93), le foyer Bara. Depuis plusieurs années, cette jeune femme observe ces hommes qui vont, viennent et rythment ainsi la vie du quartier. Ils lui ont inspiré plusieurs poèmes, dont La Nuit :
« La pluie leur crache au visage.
Je passe.
La pluie souille le paysage.
Je passe.
La pluie reflète le message.
Je m’lasse.
Les mitaines cachent les entailles, les rainures. Mets ton bonnet couvres les blessures.
La soupe est servie, ils patientent, bien gentils loin des débats, la gauche et l’amiante, salam alikoum et ses planques.
Cette nuit c’est l’ombre du fou curieux, l’hommage à l’enfant disparu.
Assise sur le trottoir, je n’ai pas vu, rien entendu.
La rue oublie un détail.
Ça fâche. Les années leur mâchent le travail.
Qu’elles fassent !
Moi je « pare » la pluie, je marche, fille pathétique les cheveux lianes, je ne serai pas reconnue, pas assez instruite, je force le barrage.
Je passe. »///Article N° : 12449