La traditionnelle programmation « Regards d’Afrique » du 38ème festival du court-métrage de Clermon-Ferrand (5-13 février 2016) ainsi que quelques courts de sa sélection internationale, mais aussi quelques courts vus au festival du film court francophone de Vaulx-en-Velin (15-23 janvier 2016) et aux 26èmes Journées cinématographiques de Carthage (21-28 novembre 2015), permettent d’opérer un tour d’horizon des courts métrages d’Afrique sous l’angle de leurs tendances et perspectives.
Lmuja, d’Omar Belkacemi (Algérie) est le portrait sensible d’une impasse, celle d’un ouvrier au chômage suite à la fermeture de son usine durant la décennie noire et qui ne peut nourrir sa famille, celle d’un pays qui ne rêve plus et se meurt en picolant dans les bistrots tandis que les femmes doivent rester au foyer, soumises et enfermées, qui sinon risqueraient d’atteindre la dignité de ces hommes humiliés dans leur travail et qui ne savent comment réagir
Faut-il se fondre dans la mondialisation ou se démarquer ? Accentuer le poids de l’arabe algérien pour renforcer son identité ? Dans ce bar où les discussions politiques vont bon train, on écoute Lounès Matoub, chanteur kabyle assassiné en 1998, militant de la cause amazigh, ce mot qui veut dire « homme libre ». « Est-ce qu’il y a une solution ? », demande-t-on face au FMI comme nouveau colonialisme, la loi du plus fort par une minorité, les hommes de l’ombre du libéralisme qui régit le commerce, les produits des containers du port de Bejaïa. Cette ombre envahit tout : Lmuja est sombre, nocturne, en extérieur comme en intérieur, dans les maisons, dans les bistrots, dans les têtes. Redouane, le journaliste qui revient enquêter au pays, voudrait secouer cette désespérance mais ne sait que donner des conseils
Le cinéma y arrivera-t-il ? Sensibiliser, donner des nouvelles de chez soi, est-ce seulement documenter le réel ? Le danger du naturalisme est de se pétrifier dans la sidération, de se figer dans le désarroi. Si Lmuja échappe à ce danger, malgré sa démarche frontale et son indéniable noirceur, c’est qu’il n’est pas résigné : il dépasse le constat, et convoque ce qui est sans appel, la mort. Et a fortiori la vie, le désir de vie de l’enfant, de la mère, mais aussi la réflexion politique, qui ne peuvent que s’opposer à la résignation par l’espoir qu’un autre monde est possible. C’est cette énergie que filme aussi Omar Belkacemi, qui commence par la confiance qu’on y arrivera (« Avec l’aide de Dieu », répond la femme). Cet espoir coûte que coûte fait sortir de l’assignation et ouvre, hors-champ, la voie à des espaces de liberté.
Anay ny lalana (la rue est à moi), de Nantenaina Fifaliana (Madagascar) fait partie de ces documentaires sur les gens simples, les gens francs comme disait Djibril Diop Mambety, dont la vie de labeur et de pauvreté au quotidien témoigne à la fois de l’état du pays et du courage du peuple. Nantenaina Fifaliana donne la parole à ce vieux porteur d’eau qui a fait ça toute sa vie et veut continuer jusqu’à son dernier souffle. Proche mais sans jamais être intrusif, il le filme en dignité, suivant ses pieds nus dans les ruelles, lourdement chargé. Ce type de témoignage est essentiel pour rappeler ce courage et appeler à plus de considération. Qu’est-ce qui dans ce film tout simple mais édifiant fait que cela nous importe ? Quel lien établir avec nos vies de privilégiés ? C’est en rendant à ceux qui en sont privés la dignité de leur image que l’on fait avancer l’humanité car, si le cinéma montre les exclus dans tout leur éclat, l’éclat de leur courage, le spectateur est confronté à cette intolérable exclusion et réalise qu’elle menace sa propre appartenance à l’humanité. Le cinéma ne résout pas le réel mais travaille les consciences.
Lazy Susan, de Stephen Abbott (Afrique du Sud) est un clin d’il plein d’humour et bien rythmé. Susan est une serveuse dans un bistrot du Cap qui met beaucoup d’énergie pour servir les clients d’une table ronde qui tourne sur elle-même (Lazy Susan veut aussi dire « plateau tournant » en anglais). Tout est filmé à la hauteur de la table et on ne la verra donc que lorsqu’elle s’y assoit. Une histoire de pourboire va changer la soirée. Le clin d’il tient dans la description ludique et cruelle de la diversité sud-africaine annoncée par le titre, mais aussi dans un final paradoxal qui donne une conclusion ironique à cette sociologie.
La sociologie, c’est à la fois la base et ce que ne fait pas Farid Bentoumi dans Un métier bien primé à Vaulx-en-Velin par le jury des Grandes écoles. Déjà, dans son remarquable Brûleurs (2011), il évitait l’énonciation en prenant radicalement distance avec le récit tout en restant entièrement ancré dans le réel des jeunes Algériens qui cherchent à passer la Méditerranée. Ici, il s’attache à un petit trafiquant ordinaire à qui sa mère demande avant de mourir de trouver un « métier bien ». Devenu vendeur dans un magasin d’habits religieux, il se trouve en contradiction avec ce qu’il est : intégré dans la société française et certainement pas intégriste. Mais il saura retourner la balance avec talent. Tourné à Aubervilliers, le film est remarquablement écrit, filmé et interprété. Ambiances et attitudes sonnent juste. Un personnage positif s’affirme à l’écran, élan vers une nouvelle inscription dans la société, à l’image du long métrage de Farid Bentoumi, Good Luck Algeria, comédie en sortie le 30 mars 2016 sur les écrans français.
Nous avions déjà évoqué le très beau Père de Lotfi Achour (Tunisie), également primé à Vaulx-en-Velin (prix de la presse et meilleur scénario). Il serait à rapprocher du long métrage La Preuve de l’Algérien Amor Hakkar : dans les deux films, un chauffeur de taxi est accusé par sa cliente d’être le père de son bébé. Les deux films naviguent entre l’infertilité et l’infidélité, mais de fort différente façon. Alors que La Preuve évoquait l’infamie culturelle et l’impossible aveu, Père ramène de subtile façon la question à l’incertitude de la paternité. Brillamment interprété par Noomen Hamda, le père est un personnage très convaincant et porteur d’une véritable interrogation sur la tolérance et le pardon.
Cette tolérance, c’est aussi l’enjeu de D’homme à homme, de Maïa Descamps (Belgique) où l’Arabe Malik doit se faire accepter par le fils de sa compagne qui attend un enfant de lui. Comment dépasser l’agressivité du gamin ? En puisant dans sa culture ! Un film positif, simple et sans prétention, fait de petites touches pour une multiculturalité assumée.
La Perruque, de Karim Boukhari (Maroc) aborde de subtile façon un sujet tabou : la prostitution masculine qui se pratique dans les salles de cinéma. Un homme s’habille en femme, mais sa perruque sera l’objet d’une remise en cause du rôle qu’il se donne. Le film qui passe à l’écran et ne cesse de résonner par son intensité dramatique avec ce qui se passe dans la salle est Un homme dans ma vie, un mélodrame de Youssef Chahine. C’est cette résonance et cette déstabilisation du sujet qui fait tout l’intérêt de cet excellent court métrage dont l’enjeu est non de condamner ou d’excuser mais de ramener à l’essentiel de la relation humaine.
Dans une dynamique proche, N’Sibi (le beau-frère), le troisième court métrage d’Hassene Belaïd (Algérie) n’hésite pas non plus à mettre les pieds dans le plat de la différence, mais insiste aussi sur le fait que dans l’Autre, il y a toujours un peu de soi. Un transsexuel algérien de plus en plus rejeté par tous rend visite à sa sur qui se sent délaissée par son mari. Celui-ci rentre à la maison après son travail, est d’abord agressif envers son beau-frère, puis se résout à l’accompagner à la gare. Ce sera l’occasion d’un rapprochement. Ici encore, la complexité s’inscrit peu à peu, travaillant au corps le spectateur dans ses éventuels préjugés.
Rod Zegwi dan Pikan, d’Azim Moollan (Maurice) se situe sur le terrain expérimental : sur une succession de photos d’une grande beauté qu’une légère mobilité de la caméra rend mouvantes, moments flous saisis dans les souvenirs, une femme dit son impression de vertige. Evocation enfumée d’une fille sans père qui ramène à l’essentiel, cauchemar virtuel
Le film se veut énonciation plutôt que dénonciation, impression plutôt que certitude, et pourtant référence à la cruelle réalité. A la dimension d’un court métrage de quatre minutes, le procédé des photos filmées trouve sa nécessité pour faire sentir le temps, ce vertige sur la durée qui dépasse largement le temps du film.
Diaspora, d’Alaeddin Abou Taleb (Tunisie), qui a obtenu le Tanit d’or à Carthage, est tourné en stop motion (animation en volume) : les objets sont légèrement déplacés entre chaque photogramme pour obtenir un dessin animé. Six mois pour construire le plateau, sept mois pour tourner image par image
Une tête sur une chaise roulante ingurgite les médias sur fond d’émeutes et de répression policière, jusqu’à ce qu’elle tombe sur une offre d’emploi qui l’engage à se reconstituer. En costume cravate, on dirait le président Bouteflika. Evoquant la soif de pouvoir qui atteint tous les individus, le film se tient loin de la représentation, dans l’étonnant et fécond imaginaire de son créateur. C’est dans ce décalage inattendu que se loge sa réussite.
Avec Behemoth, or the Name of God, Lemohang Jeremiah Mosese (Lesotho) reprend le titre d’un ouvrage de Thomas Hobbes qu’il cite au départ : « Je m’apprête à faire mon dernier voyage, un grand saut dans l’obscurité ». Un prédicateur harangue la foule : « Etes-vous prêts à mourir pour votre Dieu ? », signifiant que ce dieu est à l’intérieur d’un cercueil qu’il traîne avec lui à travers champs et dans les rues de la ville. Des gens le suivent, intrigués, tandis que dans une cellule, un rasta fait de la musique en soufflant dans une canne. Sur le mode expérimental et une orchestration chaotique, l’enjeu de ce film en noir et blanc est de rappeler quel dieu réel on suit, ce Béhémot du livre de Job, force animale qu’on ne peut maîtriser, source de violence. Le film, dérangeant dans sa forme, cherche à marquer cette idée simple, à la manière de Césaire : « ma parole béhémot entre les grands fûts blancs du silence ou du mensonge ».
Lorsqu’Eva veut couper court à une dispute avec son petit ami flamand, elle se réfugie dans un salon de coiffure de son quartier congolais de Matonge à Bruxelles. En passant la porte, elle change de culture. Solidaires et joyeusement indiscrètes, les coiffeuses la prennent en charge mais lorsqu’elles apprennent la raison de la dispute, elles sont déstabilisées. Excellente plongée dans l’univers féminin, Nkosi Coiffure, troisième court de Frederike Migom (Belgique) explore subtilement la relation interculturelle en même temps que l’évolution des mentalités.
Excellent court métrage renouant avec la simplicité qui a fait les heures de gloire du cinéma d’animation malgache, Rough Life, de Sitraka Randriamahaly (Madagascar) est un seul et même traveling sur la vie d’un homme qui de la naissance à la mort amasse puis tire son fardeau. De belles idées font de ce dur parcours une série de pointes d’humour et une méditation sans pathos sur la vie. Sans dialogues, remarquablement accompagné à l’accordéon, cela donne un petit bijou.
Le Caïman de Boromo, de Fabien Dao (France /Burkina Faso), film de fin d’étude à la Fémis, table sur l’humour pour décrire la relation entre deux jeunes qui tentent de séduire deux jeunes filles en prétendant être les meilleurs DJs du village. Leur rival DJ Poutine ayant été choisi pour faire la musique du mariage qui doit se dérouler le lendemain, ils trouvent une solution pour l’écarter, à leurs risques et périls… Le ton est à la rigolade, un coupé-décalé a été spécialement composé pour le film qui baigne dans l’ambiance des bars, mais la mise en scène peine à dynamiser un récit qui ne mène pas bien loin, si ce n’est de ramener le héros à la simplicité et rendre compte d’une atmosphère…
Une collaboration née il y a sept ans relie la Compagnie béninoise de danse Walô et la Fondation néerlandaise « Le Grand Cru », actuellement axée sur les questions de la santé sexuelle et reproductive, qui a abouti, entre autres, à la création de Touch my body, don’t touch my body, spectacle de prévention des violences basées sur le genre. Son du serpent, né dans ce cadre, réunit le chorégraphe néerlandais Feri de Geus et le réalisateur béninois Tami Ravid. Une femme prise dans un filet se retrouve sur une plage, accueillie par une troupe de danseurs au visage blanchi. Son mari, homme de modernité, est confronté à des danseurs qui l’attirent dans leur énergie traditionnelle. Il retrouve sa femme sans savoir s’il est dans le réel ou le monde des esprits. Leur fille, à qui elle apprenait à danser, les regardent improviser une approche relationnelle égalitaire
Film de danse, forcément énigmatique, Son du serpent n’est pas dénué d’une certaine beauté.
L’intention dévore parfois le récit, les dialogues, le rythme même du film. Depuis qu’il a envoyé en octobre 2011 son armée combattre les insurgés islamistes shebab, liés à Al-Qaïda, dans le sud de la Somalie voisine, le Kenya a été touché par une série d’attaques islamistes meurtrières. La police kenyane a a l’habitude de procéder à des rafles massives après ce genre d’attaques. En avril 2014, la police kenyane avait ainsi arrêté 650 personnes en 24 h après un triple attentat dans le quartier somali de Nairobi, qui répondait à l’attaque par des hommes armés contre une église d’une localité en périphérie de Mombasa, capitale de la côte kényane à majorité musulmane. C’est ce contexte qu’aborde Asha, de Meena Nanji (Kenya) en suivant une domestique qui va se faire arrêter dans la rue car elle ne porte pas le nom qu’il faudrait (Asha veut dire « espoir » en tant que prénom musulman). Mais elle saura répondre au danger en chantant une chanson faisant référence aux mêmes types de contrôles contre les Kikuyu lors de la colonisation, comme un bégaiement de l’Histoire. Sommaire dans son récit comme dans sa mise en scène, le film peine à apporter davantage que cette simple idée.
Leilat Hob (Nuit d’amour), d’Helmy Nouh (Egypte) alterne phase de dialogue entre un homme et une femme, et phases de méditation où il s’allume une cigarette. L’homme insiste sur sa désespérance, la femme essaye de lui redonner vie. « Tu es là mais tu ne me vois pas », lui dit-elle. Elle s’éloigne mais revient, tolérante et présente. Tourné en noir et blanc, le film table sur les effets de lumière et une certaine poésie des dialogues pour installer une atmosphère. Mais ce cinéma d’atmosphère manque terriblement de mise en scène pour masquer le vide de son propos.
This Migrant Business, de Ng’endo Mukii (Kenya) dénonce le juteux trafic des migrants africains et la cruauté de leur traitement : l’animation est originale mais très démonstrative. Cette façon d’enfoncer le clou cherche à encourager le développement de lois internationales protégeant les migrants.
(article en cours d’être complété avec d’autres courts, notamment des JCC)
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