Des artistes à chaque coin de rue

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Mon pays, six millions d’habitants, 2.345.409 km² de superficie, est, me dit-on, un scandale géologique, minier, etc., tant il est riche ! Mais c’est ici une expérience humaine, une expérience d’hommes avec leur sensibilité, avec les mots du quotidien, avec les expériences qu’on a le plus chères que je voudrais conter…
Car la réalité criante d’aujourd’hui, c’est que la République démocratique du Congo, la RDC, est un pays déchiré par la guerre, dont l’or et le diamant ne valent plus grand chose, où l’économie est plus que chancelante, mais dont la prolifération artistique fait aussi de ce pays mien « un scandale culturel ».
Malgré les tergiversations politiques de l’heure, dans un pays où il fait pauvre comme il fait nuit, où l’absurde épie tout le monde à chaque instant, la capitale, Kinshasa, ville-spectacle, devient une énorme scène théâtrale, afin d’échapper à la folie d’une société qui n’est là que pour vous saigner.
Ici tout le monde est artiste sans effort ! Pas besoin de passer par les Beaux Arts… La peinture est jetée sur les toiles par milliers. La BD et la caricature de même. La musique est omniprésente à Kin et les musiciens font désormais rêver les jeunes. Les orchestres se font et se défont tous les jours par dizaines, les danses se créent selon l’inspiration du moment. Nouvel’Ecrita de Papa Wemba, Quartier Latin de Koffi Olomidé, Zaïko Langa Langa, Wenge BCBG, Wenge Maison Mère ainsi que tous les transfuges de ces groupes se retrouvent limités dans leurs recrutements, la demande étant de plus en plus forte. Tout le monde chante, tout le monde danse, les boss, les’shégués’ et les’phaseurs’ (enfants de la rue, délinquants), les’shayeurs’ (vendeurs ambulants), les fous, les étudiants, les élèves. Les troupes de théâtre possèdent presque toutes un espace culturel et font des projets qui les font bouger. Les couturiers excellent en créations’tropicales’.
Chaque fois que la RDC fait parler d’elle favorablement à l’échelle internationale, c’est grâce à ses artistes qui, à eux seuls, parviennent à relayer cuivre, diamant et or.
Ville-paradoxe, ville-spectacle, Kinshasa c’est la prolifération de sectes religieuses maniant la surenchère et le clientélisme, c’est le règne de la sape, du mouve, de l’ambiance avec une commune comme Bandal (Bandalungwa) qui depuis un certain temps, dame en permanence le pion à Matonge grâce à son’bloc’, sorte de maquis ivoirien desservant en plus de la bouffe une musique tonitruante, à son’Maisaf’, boîte de nuit dont l’entrée est gratuite et tout le reste payant… Bandal c’est surtout le réservoir sans conteste d’artistes de la jeune génération. Il a donné naissance au groupe musical jeune le plus connu du pays, le Wenge Musica Bcbg Maison Mère Tout Terrain 4X4, il a servi de pied à terre à Koffi à une époque, les théâtreux de l’Ecurie Maloba y résident…
Kin c’est aussi « radio-trottoir » qui foisonne d’anecdotes, c’est une civilisation urbaine de partage et de convivialités sans artifices, sans simulacres, sans fausse dévotion, sans épouvantails. C’est des jeunes gens qui rackettent, cherchent, bougent, violemment, gentiment, à travers une expression musicale et surtout chorégraphique délibérément tapageuse dont le seul but est de contourner la crise. Kin c’est surtout le’lingala’ ou plutôt l’ « indou-bill », argot kinois, qui rajoute cette note poétique que tout le monde connaît et ne retrouve que dans les chansons congolaises. Kin c’est également l’invasion des portables, des chaînes de télévision privées, des Mercedes 600 des musiciens et des pasteurs qui fréquentent les mêmes grands couturiers… C’est finalement beaucoup de choses à dire, à faire voir, à faire connaître ! Ce dossier ne pourra que l’effleurer. Bien souvent, des accents se retrouvent, des points de vue se recoupent, malgré les sensibilités différentes des artistes, des professeurs, des journalistes, des femmes, des jeunes. Et je continue de penser que l’on ne fait pas de l’art pour un groupe restreint. L’art n’est vraiment complet que quand il arrive à briser les frontières de l’élite et des spécialistes. Il doit pouvoir atteindre tout ce qui est humain, sa première vertu étant de parvenir effectivement à l’universel.

Bibish Mumbu est une jeune journaliste culturelle kinoise, collaboratrice régulière et correspondante d’Africultures à Kinshasa. Elle est également manager de la Compagnie de danse contemporaine Kabayo de Faustin Linyekula.///Article N° : 2696

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