Douala-Brazza

De Rido Bayonne

Coup de cœur
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Rido Bayonne fête ses soixante ans – nous allons les fêter avec lui par un « portrait-entretien ». Il est sans doute le plus ambitieux (artistiquement) des musiciens congolais contemporains. On ne sait d’ailleurs par quel miracle il réussit depuis vingt ans à faire vivre un grand orchestre, d’un niveau si exceptionnel dans le paysage actuel.
Dédié à Brazzaville (où il est né) et à Douala (où il a grandi ensuite), cet album est, dans la lignée du précédent « A cœurs et âmes », une œuvre de grande ampleur : une sorte d’oratorio autobiographique auquel ont participé près d’une centaine de musiciens. La plupart sont bien plus que des « invités » : ses « enfants » comme il dit, même si par leur âge beaucoup pourraient être plutôt ses petits-enfants.
Rido Bayonne est en effet ce que les jazzmen appellent un « musician’s musician ». S’il n’est malheureusement pas encore connu du grand public à l’aune de son talent, il jouit de l’admiration unanime de ses pairs, dans toutes les générations. Il suffira pour le comprendre de se laisser emporter par le tourbillon généreux de cette musique, d’une harmonie impressionnante dans son extrême diversité.
Compositeur totalement autodidacte – ce qui en fait une rare exception dans un monde où s’imposent partout banalité scolaire, vaine virtuosité et stars académiques – Rido a le don de peindre des paysages musicaux remarquablement « jardinés », mais à l’anglaise, pourrait-on dire, où le talent de chacun peut pousser en toute liberté.
Son écriture est fine et serrée, limpide et nerveuse. Elle traque sans pitié les clichés, les formules toutes faites et les redites inutiles.
Ses arrangements abondent en riffs aussi efficaces que pressés de s’effacer pour laisser place à de nouvelles trouvailles. Sa palette instrumentale est d’une richesse infinie, symphonique quand il le faut, mais aussi très contrastée, avec des combinaisons de timbres souvent inouïes entre bois, cordes, cuivres et percussion.
Enfin et surtout, Rido adore les voix – surtout celles des femmes qui le lui rendent bien. Elles sont presque omniprésentes, et il les valorise avec une délicatesse attendrissante. L’album s’achève d’ailleurs par une vraie suite d' »hommages à la femme », et bien avant on aura craqué plusieurs fois sur des voix féminines aussi inconnues que délicieuses, comme celle de Cathy Ageorges, qui chante la bossa « Vem ça » avec la grâce d’une Gal Costa.
On regrettera la discrétion de Rido Bayonne en tant que chanteur. Curieusement, il délègue à Dean Bowman le soin de chanter à sa place l’autobiographique « Born in Africa » (clin d’œil ultra-funky au « Living in America » de James Brown). Il se rattrape heureusement avec « Nassi Wedi », où sa belle voix de ténor de rumba en falsetto est éperonnée par le fabuleux tandem rythmique Étienne M’Bappé / Paco Séry. C’est aussi en compagnie de ce dernier (à la sanza) que Rido ouvre l’album par une sorte de « slam » à la gloire des grands aînés créateurs de la rumba. Plus loin, avec « Don Rémi », l’inimitable Sam Mangwana vient à son tour remettre les pendules à l’heure.
Quelles pendules ? Vous ne devinez pas ? Celles qui se contentent désormais de faire tic-tac dans un monde naguère si riche et de plus en plus dévasté, qui sombre dans la banalité et la vulgarité, entre ndombolo poussif et coupé-décalé copié-collé.
Ce pur chef-d’œuvre devrait claquer comme un coup de fouet aux oreilles de bien des stars fatiguées, surfaites et auto-satisfaites du côté de Brazza-Douala et de Kinshasa. Mais l’écouteront-elles ?

Douala-Brazza, de Rido Bayonne (X-Pol Music)///Article N° : 5891

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