« Du blanc des mots et du noir des signes »*

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Réunir  » artistes, entrepreneurs, écrivains, scientifiques, intellectuels, venus de tous les horizons « , mettre en valeur  » les réalités de la francophonie, la richesse et la vitalité des peuples qui la composent, illustrer les combats pour l’égale dignité des cultures « , tel est le credo des Francofffonies,  » le festival francophone en France  » qui se déroulera de mars à octobre 2006, par ailleurs année de la francophonie.
A la veille de cet événement qui se propose de  » rendre un hommage exceptionnel aux cultures du monde francophone « , Africultures met l’accent sur la création artistique en Afrique francophone face aux réalités locales et sur son évolution au cours de cette dernière décennie.
Mise au point non exhaustive, mais néanmoins nécessaire que nous avons articulé autour de trois axes majeurs : le développement culturel en Afrique, le positionnement des expressions artistiques, et le rapport à la langue française, vecteur d’une francophonie sublimée ou diabolisée, peu à peu dissoute dans une francophonie métissée.
Un bilan mitigé
Forte de son expérience sur le terrain auprès d’opérateurs africains, dans la mise en réseau Sud-Sud, Séverine Cappiello apporte un éclairage sur les enjeux du développement culturel en Afrique francophone, tels qu’ils se dessinent aujourd’hui dans le contexte de la mondialisation. Après avoir été  » ponctuellement investi  » au lendemain des indépendances par la majorité des Etats francophones, et malgré la mise en place de manifestations culturelles d’envergure – le plus souvent financées par les bailleurs internationaux, en grande partie francophones –, le champ culturel de l’Afrique francophone se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins.
A travers des exemples concrets, comme la redistribution des droits d’auteurs, Séverine Cappiello revient sur le  » bilan mitigé  » de l’implication des Etats francophones dans la sphère culturelle, mettant en avant le manque de moyens, mais aussi l’absence réelle de volonté politique. Volonté politique sans laquelle, malgré la multiplication des initiatives privées, notamment dans les domaines de la musique et de la danse, il n’y a pas de structuration possible de l’économie culturelle. L’enjeu : repenser la culture par rapport à l’environnement local, tant au niveau de ses créateurs que du public, avec pour objectif premier de la valoriser mais aussi d’en conserver les ressources, et ainsi de mieux contrôler les mécanismes de développement et de redistribution.
Vaste défi qui tend à se concrétiser dans certains secteurs, musicaux principalement, grâce à la formidable explosion, au cours de cette dernière décennie, des réseaux culturels initiés ça et là sur le continent. Ces réseaux seraient-ils un  » remède miracle du développement culturel « , interroge Ayoko Mensah. Les enjeux sont multiples, que ce soit au niveau des stratégies de développement local que de la nécessité d’une plus grande d’autonomie vis à vis des bailleurs occidentaux. Ces bailleurs, très impliqués dans les grands évènements artistiques de l’espace francophone, ont permis de dynamiser le champ culturel par des aides à la création. Mais ils ont aussi parfois conduit les créateurs à s’éloigner de leur public et de leur environnement.
Autre moyen de  » rapprocher les hommes  » : les festivals qui foisonnent, notamment dans le domaine du théâtre. Comme le montre François Campana, ils ont ouvert un espace de liberté favorisé une meilleure circulation des artistes et des œuvres et conduit à la professionnalisation de tout un secteur.
Des créations singulières
Quels que soient les domaines (théâtre, cinéma, danse, arts plastiques, photo, littérature), la créativité est foisonnante en Afrique. Même si elle est encore trop souvent étouffée par des carcans ghettoïsants, même si elle reste tributaire des circuits de fonctionnement et de diffusion occidentaux, même si les conditions de vie des artistes se sont parfois dégradées en dix ans, elle est bel et bien là, comme en témoignent le photographe Bruno Boudjelal, le cinéaste Balufu Bakupa-Kayinda ou le chorégraphe Faustin Linyekula. Tous aspirent à être reconnus pour leur singularité, bataillant contre une pré-supposée  » authenticité africaine « .
Dans tous les domaines de la création, les artistes sont contraints de composer avec le marché occidental – qui accrédite leur reconnaissance – et les palpitations internes de leur art. Dans un travail de ré-appropriation de l’espace culturel local, mais aussi de décentrement du regard, ils ont su imposer au fil de ces années une nouvelle prise de parole. Ils se donnent désormais le droit de s’inscrire dans l’universalité du monde contemporain, dont ils sont acteurs à part entière, mais aussi dans le particularisme de leur histoire.
Les écrivains francophones originaires du continent en sont bien conscients, confrontés à cette langue française déconstruite par les jeunes générations ou magnifiée par la figure tutélaire de leur père (rejeté ou sacralisé) Senghor, dont l’année 2006 fêtera le centenaire de naissance. Les paroles de Mongo Beti et de Sony Labou Tansi, toujours aussi vivantes et lucides, secouent les branches d’une francophonie pétrifiée dans ses clivages et ses manœuvres, une francophonie parfois réduite au  » regard de la différence  » qu’évoque l’écrivain Tanella Boni. Cultiver la différence, ne serait-ce pas avant tout une façon de lutter contre  » l’uniformisation culturelle « , demande Abdou Diouf, secrétaire général de l’organisation internationale de la francophonie.
Lutter, oui, mais encore faudrait-il en donner les moyens aux principaux concernés : les créateurs, les entrepreneurs culturels et les opérateurs de l’Afrique francophone. Ce n’est que lorsque les publics d’Afrique se sentiront véritablement impliqués dans le travail de reconquête de leur imaginaire et de reconstruction de leur image, qu’ils ne seront plus seulement des  » publics potentiels  » mais bien des publics actifs, délivrés de l’ombre de  » l’arbre anthropophage  » **.

*Ttitre d’un poème d’Edmond Jabès, in Le seuil Le sable, poésies complètes 1943-1998, nrf Gallimard, Paris 1990.
** Titre du dernier livre de l’auteur malgache Raharimanana, éd. Joëlle Losfeld, 2004.
Rédactrice en chef de la revue Africultures depuis janvier 2005, Virginie Andriamirado est responsable éditoriale pour les arts plastiques.///Article N° : 4115

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