» La rentabilité est humaine, mais il ne faut pas que cela nous mette à genoux. »
Aminata Sow Fall (dans ce dossier)
Des militants. C’est ce que sont les éditeurs africains et tous ceux qui se battent pour que le livre soit produit et diffusé en Afrique. Editer sur le Continent tient souvent non seulement de l’acte de foi mais parfois du miracle tant les obstacles s’accumulent.
Le livre est en cela emblématique de l’état et de la difficulté des produits culturels en Afrique : des intérêts économiques s’affrontent où les relents nauséabonds de l’ère coloniale perdurent, les politiques d’Etat s’opposent à l’intérêt général ou sont absentes, les ambiguïtés et anomalies des rapports linguistiques compliquent les choses, le manque généralisé s’est installé en norme
Il peut paraître rebutant de se pencher sur l’économie du livre plutôt que sur la littérature ou les essais. Et pourtant ! Ce dossier est passionnant parce qu’édifiant voire hallucinant dans certains exemples. Il nous parle gros sous et politique autant que paternalisme et limites des coopérations. Il nous parle de l’invasion du marché par les livres importés, de l’inaction des Etats, de dons de livres qui tout en cherchant charitablement à pallier le manque désorganisent la chaîne économique locale, d’une édition scolaire presqu’entièrement aux mains de l’étranger (imaginez les livres des écoles françaises produits aux Etats-Unis), de taxes aux effets pervers, de réseaux de diffusion inexistants
Dans une chaîne du livre en raccourci, l’éditeur est l’homme-orchestre : il doit tout faire lui-même – aussi bien produire et diffuser qu’assumer le rôle social de promotion de la lecture et essayer d’influer sur les politiques locales.
Dire qu’il n’y a pas de lectorat et donc pas de marché du livre possible en Afrique serait faire abstraction de ces réalités et se voiler la face : la demande est énorme mais c’est l’offre qui n’est pas adaptée. La soif de lecture ne peut faire abstraction du niveau de vie : une production aux conditions locales est essentielle.
Loin de se laisser abattre, les éditeurs africains imaginent des alternatives : coéditions, édition en langues nationales, tentatives de regroupements pour organiser la diffusion, nouvelles façons de promouvoir le livre
Mais conjuguer économie et culture n’est aisé nulle part, surtout quand pour financer ces alternatives, comble du paradoxe, on dépend encore des subventions étrangères ! Pourtant, ce dossier montre combien ils se battent et gardent confiance.
Les cinq passionnées du livre qui ont travaillé à ce dossier ont mené une enquête approfondie. Elles ont réuni de quoi faire un livre et davantage ! Le but est ici, comme dans tous les dossiers d’Africultures, de poser des problématiques sans complaisance ni peur de déplaire, donner des repères, laisser la parole aux acteurs du terrain, le tout pour, sans polémique inutile, poser les termes du débat et des perspectives constructives.
En novembre 2001, Africultures et ce qui allait devenir l’Alliance des éditeurs indépendants (soutenue par la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’homme), proposaient à des éditeurs de se réunir. Un comité de pilotage était né pour un projet de site internet sur l’édition africaine autour duquel une nouvelle association d’éditeurs s’est constituée : Afrilivres. Cette énergie conjuguée a permis le financement du projet par le ministère français des Affaires étrangères et l’Agence intergouvernementale de la Francophonie. Ce dossier est le prolongement de ce travail et rend compte de ce qui constitue une alternative d’avenir : réseau transnational sans exclusive, visibilité et diffusion au Nord, organisation de la diffusion Sud-Sud, groupage pour répondre aux appels d’offre internationaux
Le site www.afrilivres.com témoigne du professionnalisme de la démarche.
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