« Être artiste, c’est ouvrir une brèche ». Cette réplique, tirée du film Chocolat, s’adresse à Rafael Padilla, qui, au début du XXe siècle, connaît un grand succès populaire en incarnant le clown Chocolat. Considéré comme l’un des premiers artistes noirs de la scène française, quel sillon a-t-il creusé en plus d’un siècle ? Pour le réalisateur Roschdy Zem, qui s’est saisi du destin de ce personnage oublié, « l’histoire du clown Chocolat montre que l’on [peut]disparaître sans laisser de traces » (lire p. 17). Et si la fiction de 2016 s’éloigne à certains égards, et de manière problématique, de ce que l’on sait du vécu de ce personnage (lire p. 16) c’est bien la détermination de cet homme que Roschdy Zem a cherché à inscrire dans le récit national français.
Un homme qui, au temps des colonies et des Expositions universelles, était devenu un artiste noir reconnu, évoluant dans le milieu bourgeois majoritairement blanc du spectacle français et entretenant une relation amoureuse avec une femme de ce cercle fermé. Rafael Padilla faisait alors voler en éclat nombre de barrières sociales et raciales bien instituées. « Cette histoire est celle de quelqu’un qui cherche à se libérer » des carcans essentialisant, affirme aussi Yann Gaël qui a joué le clown Chocolat dans une mise en scène de Marcel Bozonnet (lire p. 10).
Briser les frontières racialisées
Si l’histoire de Chocolat, montrée au grand public aujourd’hui, nous interpelle, c’est bien parce qu’elle survient après un an de débats tumultueux. De la pièce Exhibit B du Sud-Africain Brett Bailey, au lancement de la formation Ier Acte en passant par la pièce Othello devant être jouée à l’Odéon par Philippe Torreton. Ces controverses n’ont pas forcément de liens entre elles, pourtant « elles ont en commun de soulever la question de la présence des artistes noirs de France et de leur image sur
les scènes contemporaines des théâtres subventionnés », nous rappelle Sylvie Chalaye (lire p. 10). « Le théâtre est encore dans un ghetto », « Sur les tréteaux ça manque de couleur », « le théâtre français est-il raciste ? » ont pu alors titrer, récemment, des
journaux quotidiens. « La France que je connais n’existe pas » dans les écrans et sur les planches, assène aussi Roschdy Zem. De fait, on constate encore aujourd’hui une faible représentation des minorités sur scène et l’entretien d’une essentialisation dans la distribution des rôles, cantonnant notamment les artistes noirs dans un imaginaire de la marge, de l’éternellement Autre. Bien sûr, des individualités contredisent cela mais c’est bien l’imaginaire persistant et qui s’abat comme un mur à la pleine ouverture du théâtre français que l’on questionne dans ce numéro d’Afriscope.
Et ce, à partir d’initiatives qui se battent contre ces logiques excluantes. Le label Jeunes textes en liberté (lire p. 12) propose des cycles de lecture de créations, dans et hors des théâtres, sur la thématique des frontières réelles ou fantasmées, en s’attachant à mettre en avant la diversité culturelle, sexuelle, sociale de leurs auteurs. Le collectif Décoloniser les imaginaires (lire p. 10), lui, interroge plus précisément la production, la diffusion et la reconnaissance des propos sur l’histoire de France intégrant pleinement son passé colonial et postcolonial. Nommer les frontières pour les déconstruire et rendre possible la rencontre, celle qui produit de « l’imprévisible » et peut renouveler, loin des exclusions et des crispations identitaires, les imaginaires
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