« Je viens d’un pays où le merveilleux n’est pas un élément savant »
René Depestre
Nous avions déjà été partenaires pour le dossier Acteurs noirs il y a un an. Cette année encore, en collaboration avec l’excellent Festival Racines noires (lui-même partenaire du festival du cinéma africain de Milan et du festival Black Movie à Genève), nous publions un dossier sur le thème du festival, reprenant certains articles parus dans son catalogue, y ajoutant les nôtres. Nous sommes ainsi heureux d’étendre les limites géographiques et éditoriales de ce travail essentiel, car la geste musicale au cinéma nous apparaît emblématique d’une tension présente dans nombre d’expressions culturelles noires.
Initialement prévu « les comédies musicales noires », ce dossier a viré de titre ! Le genre comédie musicale est trop typé pour embrasser cette spécificité des films d’Afrique de savoir intégrer l’humour, la musique et la danse au corps des films pour servir cette tension entre une veine populaire qui permet à leur public de s’y reconnaître et un message social qui fait de ce cinéma un cinéma d’auteur. Non pas un cinéma de l’art pour l’art dont on ne voit pas quelle légitimité il trouverait dans un contexte africain, mais un cinéma pénétré par la réalité, elle qui fait « le corps et le cur des films », comme le notait le cinéaste burkinabè Gaston Kaboré.
Cette année encore, le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, le fameux Fespaco, donnait à voir les films produits ces deux dernières années en Afrique et dans la diaspora. Ces films confirment malgré leur diversité la citation de Depestre : la magie des cinémas d’Afrique ne tient ni aux effets spéciaux ni au professionnalisme de commande dans le grand marketing de l’audiovisuel mondialisé. « Si tu veux à tout prix savoir, tu casses la magie le cinéma c’est de la magie« , écrivait le grand réalisateur sénégalais Djibril Diop Mambety (in Africultures 10) : la magie des cinémas d’Afrique tient dans leur extraordinaire capacité à puiser dans la réalité, dans les tourmentes du vécu du peuple noir, le socle d’une interrogation profonde où dans sa quête identitaire l’homme, sans cesse, se confronte à lui-même, jusque dans ses violentes dérives. Cette introspection a tourné le dos à la radicalité : elle n’assène aucune vérité, n’impose aucune manière de penser. En s’ouvrant à la part de mystère et de faille en chacun, elle laisse le spectateur libre d’aller chercher en lui-même les réponses. C’est là que se loge le merveilleux et c’est ce cinéma que nous défendons.
///Article N° : 1984