Hiototi ! Voilà un mot qui surprend certainement. Certains lui ont déjà trouvé une résonance japonaise, d’autres juste une fantaisie sensorielle, choisie pour flatter l’oreille. Si nous avons succombé au charme physique indéniable de ce mot, ce petit mot de rien du tout, c’était d’abord pour son insolente étrangeté. Quelque part dans le Centre du Cameroun, dans la jonction de la savane et de la forêt, là où le soleil frappe avec la violence d’une épée, dans le pays des Begunu, département du Mbam et Inoubou, lorsque tombe la nuit, les enfants comme les grandes personnes savent que le ciel n’est jamais totalement noir ni seul. Quand la lune a disparu, emportant avec elle toutes ses marrées hautes et ses diverses tensions, il y a toujours quelque part, dans la vaste et sombre voûte céleste, au-dessus de quelque regard méditatif et tendu, un hiototi, une étoile. Hiototi signifie étoile, au singulier, et mouototi, au pluriel. Nous sommes en plein dans une perspective stellaire. La relation avec la poésie en général et la poésie camerounaise est à la fois étroite et lointaine. L’histoire de l’humanité comme des religions est peuplée d’épopées d’inspiration stellaire. Le mot, de sa discrète luminosité, allume des textes poétiques depuis l’aube des temps. Les étoiles ont ceci de personnel qu’elles ont avec elles le nombre et contre elles le soleil et la lune, uniques et presque dictatoriaux. Une reproduction des schèmes et des schémas sociaux, ainsi que des termes et des thèmes cosmiques. Dans ce vaste monde qui nous dépasse et nous effraie, nos écrits sont des mouototi, de brins de lumière dans l’immensité ténébreuse, mais leur chance c’est qu’ils sont lumière, c’est-à-dire, perspective, chemin, route vers
C’est tout le projet qu’énonce cette revue qui se veut un espace de lumière collectivement offert et collectivement reçu. Le chemin avait déjà été tracé par Abbia de Bernard Fonlon et Peuples noirs peuples africains de Mongo Beti. La littérature trouve tout son prestige dans une revue, consignation éternelle d’une marque, d’une forme, d’une odeur, d’un refus du néant. Notre projet est cyclopéen : il s’agit de faire de la morte littérature camerounaise, selon l’orageuse expression du professeur Samuel Martin Eno Belinga, quelque chose de vivant, de bien vivant. Nous le faisons déjà. Mais il va désormais falloir en faire plus, montrer notre littérature actuelle, en indiquer les animateurs, en dévoiler l’esprit ; énoncer ses ambitions et délimiter ses territoires. C’est d’une exigence stellaire qu’il va s’agir, de la lutte du grand nombre face à l’envahissement de leur majesté les ténèbres. Nous parlerons des nouvelles écritures camerounaises ou de la nouvelle vague. Mais nous n’empêcherons pas les questions de fuser : la nouvelle vague, est-ce les textes ? Est-ce les âges ? Est-ce un esprit ? Peut-être découvrirons-nous que les nouveaux auteurs camerounais n’ont ni âge, ni statut propre encore moins même motivation scripturaire. Mais on verra qu’au-delà de toutes ces différences, il y a un élan presque mystique qui les arrime à la même source, comme si ce qui leur arriverait de plus tragique dans leur vie serait de ne pas ou ne plus écrire. Il y a une ruée vers la plume, presque une guerre contre le silence, le vide et le mutisme, comme si la survie de notre patrimoine commun dépendait de l’éjaculation sur la blancheur du papier de leurs gouttes d’encre. Il en est de l’écriture comme des autres arts, qu’ils soient visuels, figuratifs, décoratifs, auditifs ou tactiles, ils sont aussi en pleine renaissance. L’écroulement des pilonnes n’a pas décimé les bourgeons. La mort a soulevé la plume là où on craignait qu’elle ne dodeline de la tête comme un phallus flasque. Comme un champignon sortant de terre, bourgeonnant et gonflé de toute l’énergie cosmique tirée de l’humus, l’écriture se remet sur orbite. Il s’agit pour nous de rendre compte de cette nouvelle éruption qui a besoin de voies mais aussi de garde-fous, d’en remonter la source et de dire une totale levée de plume sur une époque qui voudrait refuser de passer à côté de son vrai cri.
Quelle est en effet la nature de notre cri aujourd’hui ? D’où vient-t-il ? Quels en sont les contours et les déterminations ? Quelles menaces pèsent sur ces nouvelles choses sorties du fond de nos tripes ? Quel est leur pouvoir ? Comment sauver nos plumes de l’esprit de décadence qui prévaut, du blocage de l’imaginaire dont se plaint Achille Mbembe ? Comment sortir de l’époque d’ensauvagement pur et simple et de la dictature du phallus ? Le nouveau paysage mondial garde nombre d’inflexions et d’infractions du vieil ordre, avec ses Nords et ses Suds, ses harmonieuses contradictions abolies, ses oppositions qui sont autant de lieux de douleur et de bonheur volé. Comment échapper à la dilution dans le global qu’un alter mondialisme encore mal perçu voudrait contenir ? Comment écrire quand vendre est la préoccupation du Nord et manger l’ambition du Sud, quand le culturel se folklorise ? Comment concilier l’éclectisme attaché à l’écriture et l’exigence contemporaine de démocratie ? Ecrire aujourd’hui pose le sujet écrivant sur du chaudron. Il va s’agir dans Hiototi d’être au centre de ce vaste questionnement ; il va s’agir de vivre la fatalité de l’ère du soupçon dont parle Nathalie Sarraute. Il va s’agir d’être nombreux et de briller.
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