Editorial

La leçon cubaine

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« Puisque tu es le plus petit de mes enfants, tu seras le plus grand sur la terre comme au ciel. Rien n’arrivera jusqu’à moi si ce n’est à travers toi. Tu seras donc toujours le premier servi »
Le dieu suprême Olofi au dieu-enfant Eleggua, selon la tradition orale de la santería.

Le touriste remarquera-t-il les bracelets et colliers multicolores que portent de nombreux hommes et femmes de La Havane ? Simple parure ? Ces bijoux représentent en réalité le degré d’initiation de leur propriétaire au culte de la santería (ou Regla de Ocha), religion héritée de l’animisme africain et pratiquée aujourd’hui par une grande partie de la population cubaine.
La lente initiation à la santería est un profond travail sur soi-même basé sur les récits allégoriques de la vie des divinités orichas retransmis oralement au cours des siècles. Ils débouchent sur un enseignement plaçant l’amour et le respect de la famille et d’autrui au centre du code de conduite de l’initié. Ces pratiques incantatoires véhiculent les rythmes, danses et chants des esclaves noirs et ont fusionné les éléments culturels espagnols et africains, ce qui explique le sentiment d’identification et d’appartenance à la santería de nombreux Cubains. Savoir d’où on vient aide à savoir où l’on va. Syncrétisme, religion, philosophie ou art de vivre, la santería contribue à la cohésion d’une société en pleine mutation.
Elle la remet aussi en cause, elle et les autres pratiques cultuelles ou culturelles, comme le montrent les différents articles de ce dossier. Mais pas comme entité séparée. Sans doute ce double mouvement est-il la leçon du métissage cubain : si les cultures africaines agissent comme partout où elles sont minoritaires mais présentes comme force de résistance et de subversion du système dominant, c’est par fusion et non par séparation. Autrement dit, ce n’est pas le repli identitaire qui fait bouger une société mais bien son aptitude au syncrétisme.
Belle leçon qui renvoie, malgré la douleur de la répression, la récente condamnation des dissidents du  » groupe des quatre  » à de lourdes peines de prison aux anecdotes de l’Histoire. Car comme l’écrivait magnifiquement en 1963 Pedro Perez-Sarduy dans son célèbre poème Liturgia après le dimanche noir où une bombe tua quatre écolières de Birmingham (Alabama) : Pero un día / El crecer del canto provocará una procesión / De sombras / Imantadas al continente / Buscando donde guarecer el sabor de un árbol / Donde dejar los eslabones de un pedazo de piel / Donde sangrar en paz (Mais un jour / le chant qui s’amplifie lèvera une procession / d’ombres / aimantées au continent / cherchant où abriter la saveur d’un arbre / où léguer les mailles d’un morceau de peau / où saigner en paix.)

///Article N° : 762

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