entretien d’Alexandre Mensah avec Sibiri Samaké

Print Friendly, PDF & Email

Sibiri Samaké incarne une nouvelle génération de sora, ambassadeurs de la culture des chasseurs à l’étranger. L’engouement populaire au Mali tire désormais cette musique vers l’industrie des produits culturels et la scène médiatique. Mais son exemple montre que satisfaire à cette nouvelle demande, tout en restant fidèle à l’esprit et à la conduite des chasseurs, n’est pas un problème insoluble.

Pouvez-vous m’expliquer ce que je vous ai entendu jouer ?
Le premier morceau est joué quand la cérémonie doit commencer. Il fait appel aux braves, aux vieux chasseurs. C’est un morceau que beaucoup d’artistes jouent. Ses paroles ont pour but d’encourager ceux qui n’ont pas accepté de devenir des chasseurs. Il s’appelle Dankuna. C’est comme un dieu pour les chasseurs. Le second morceau est très sacré. Que ce soit en pays mandingue, sénoufo, bambara, peul, dogon, tout le monde sait qu’il est uniquement dédié à ceux qui possèdent le kòmò. Cette société d’initiation concerne aussi plein de chasseurs. Il y a des gens, des Européens qui viennent jusqu’ici parce qu’ils s’y intéressent. J’y ai déjà initié plusieurs Français. Car en tout, je suis dans trois choses vu que je pratique aussi la géomancie. Le morceau suivant, c’est Koukouba, uniquement dédié aux forgerons. Chez nous, ici, avant la modernisation, quand tu voulais une chaise, c’était le forgeron. Quand tu voulais un conseil, c’était le forgeron. On peut même dire que pour manger, c’était le forgeron parce que c’était lui qui fabriquait le dabaléoun, les petites houes qui servaient pour cultiver. Donc ce morceau est uniquement pour eux, pour personne d’autre. Quand tu le joues, un garçon forgeron ou une fille forgeron peuvent danser à la place d’un père ou d’un frère. Personne d’autre, sauf les Peul, car il y une relation spéciale qui existe entre les Peul et les forgerons. Ils sont parents à plaisanterie, c’est juste entre eux : ils peuvent s’insulter père et mère, ils s’en fichent. C’est comme quand on dit que si tu es Diarra, un Traoré à le droit de te dire tout, ou si tu es Samaké, un Coulibaly à le droit de te dire tout. Ces choses-là sont fondées depuis très longtemps. Le morceau suivant est dédié aux gens qui ont tué une panthère. Tu peux tuer un lion, tu ne danseras pas Danané. Tu peux tuer un éléphant, tu ne danseras pas Danané. Tu peux tuer un tigre, tu ne danseras pas Danané. C’est uniquement pour celui qui a tué la panthère, et pas n’importe comment ou par hasard. Il faut l’avoir reconnue avant de la tuer. Autrement, si tu le danses, tu vas avoir des problèmes.
Est-ce parce que la panthère est considérée comme un animal particulier ?
Bien sûr. Chez nous, quand tu tues une panthère, tu fais appel aux gens. Les chasseurs te rejoignent en brousse et ils t’attachent les deux bras par derrière comme un voleur. Un vieux choisit un plus jeune qui ligote et porte la bête, et toi, tu le suis. Après ça, tu as le droit de te laver avec certaines feuilles d’arbre. C’est pour éviter qu’il ne survienne de malheurs sur toi ou tes enfants.
Peut-on nommer les instruments que vous utilisez ?
Ici, au Mali, on appelle ce genre d’instrument un ngòni. Il n’en existe que de trois sortes : le donso ngòni pour les chasseurs, le kamale ngòni pour les jeunes, et le djeli ngòni pour les griots. Chacun est utilisé pour un public précis. Les autres accessoires sont le karignan et le yaba. Il peut aussi y avoir le koussouba. Je dois te présenter mon groupe. Moi, c’est Massamba, je suis né le 10 mai 1962. Je n’ai pas eu de maître, bien que ma mère chantait. Adama, qui est là, est mon premier élève. On rentre d’une tournée très importante qui a bien marché. Il y a Aboubacar Samaké, le deuxième élève et mon premier garçon. Il y a aussi Souley Fofana, mon troisième élève et deuxième garçon et enfin Kandiatou Samaké, qui est ma fille.
Le sora porte-t-il un costume particulier ?
Oui, nous avons un costume différent de celui des chasseurs, mais nous avons le même que les féticheurs, les guérisseurs ou les possesseurs du kòmò. Les chasseurs s’habillent beaucoup plus simplement. Le nôtre sert à nous protéger parce que chaque gri-gri contient un talisman. Ils ne proviennent pas d’une seule personne. Dis-toi que j’ai chanté pour autant de personnalités que tu peux compter de gris-gris sur ma veste. Les cauris, eux, servent à embellir, comme pour les danseurs. C’était la première monnaie en Afrique et on les retrouve sur nos billets de banque. Quand aux miroirs, ils servent à attirer les génies.
Comment devient-on sora ?
Les jeunes que tu vois sont mes élèves. Je leur apprends à jouer, à répondre, à chanter. Ils sont tout le temps là et ne font pas autre chose. Le matin, tout le monde se lève et vient me donner le bonjour. S’il y a besoin, je demande à Adama d’aller me chercher une plante, il le fait. Bouakan, Souley, la même chose. Kandiatou, en tant que fille, ramasse les feuilles et les racines. Quand tu veux apprendre notre instrument, il faut te soumettre. Entre nous, on ne s’appelle que « karamòkò, karamòkò » c’est tout : « maître, maître ». C’est pourquoi il est un peu difficile de reconnaître dans notre société qui est le maître. Moi, je n’ai appris que par mon père.
Quelle est votre marge de liberté dans le répertoire que vous jouez ?
On a beaucoup de liberté. Tu inventes en même temps que tu répètes. Il y a des chansons que j’ai inventé moi-même. Dans l’une d’elles, je dis : « Celui qui n’est pas un chasseur n’est pas un homme. Un paresseux ne peux pas être un chasseur. Un peureux ne peut pas être un chasseur… » Si tu te maries, que la mariée est là, le beau-père est là et la belle-mère est là ; si les autres ont tué des lions et que tu n’as même pas tué un lapin, je viens tout de suite et je te dis : « Avec toi, ce n’est pas la peine ; tes semblables sont en train d’égorger, toi tu ne fais que dépouiller… » Je fais des chansons comme ça. Tu sais que, devant un beau-père et une belle-mère, toute la foule, tu vas me répondre de ne pas bouger, que tu vas me ramener un gibier, un lion ou une panthère, comme ça. Moi, mes chansons sont révolutionnaires. Il y a différents types de chansons : certaines ont des temps d’interruptions où je parle, d’autres sont constantes ; elles ont des rythmes rapides ou lents. Adama, mon témoin, doit toujours me donner la réplique : « nâmou », qui veut dire « oui, bien sûr, c’est vrai ». Parce que, quand je sabote quelqu’un, lui est obligé de dire oui. Si je dis que toi, tu es un mauvais chasseur, lui, il dit « oui ». Et je continue : « Pourquoi il n’est pas un bon chasseur ? Parce qu’il a peur de la brousse. » Lui, il dit « oui ». « Pourquoi il a peur de la brousse ? Parce qu’il ne veut pas quitter sa femme pour aller en brousse ! » Lui, il dit « oui ! » Ça excite beaucoup les gens.
Qu’est-ce que le Djandjon ?
C’est le plus sacré des morceaux. Il n’est pas seulement dédié à celui qui a tué l’éléphant mais il peut appeler beaucoup de personnalités. Djandjon peut appeler Modibo Keïta, Fili Dabo, Seckou Touré, Almamy Samory Touré, les Babemba (les rois) de Sikasso, Faidherbe… les braves. Djandjon peut aussi t’appeler toi, quand tu auras le courage de faire face à un lion, de l’abattre à mains nues. Tu vas danser le Djandjon. Tu peux ? Djandjon peut aussi appeler quelqu’un qui a eu un accident de fusil, qui a perdu un bras. Donc, ce n’est pas un bon morceau, ce n’est pas un morceau souhaité par les gens. Parce que tu ne peux jamais le danser sans avoir été victime de quelque chose.

///Article N° : 1626

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire