EXIT/EXIST ou La quête d’une Histoire confisquée

Print Friendly, PDF & Email

Dans la pièce transdisciplinaire chorégraphiée de Grégory Maqoma, il n’y a qu’un seul corps qui s’anime sur la scène : lui seul fait le lien entre le présent et le passé. Exit /Exist raconte l’histoire d’un homme évincé de la mémoire collective sud africaine alors que son rôle dans la lutte contre l’asservissement a été essentiel. Jongumsobomvu Maqoma, est l’ancêtre du chorégraphe et danseur éponyme. Ce Chef Xhosa oublié, ressuscite près de deux siècles après sa mort, grâce à la danse de son descendant qui lui prête son corps. Ce spectacle envoûtant nous emmène dans une quête historique et spirituelle au cœur de l’Afrique du Sud.

La salle est plongée dans l’obscurité quand le spectacle démarre sur un solo de dos du danseur en costume satiné gris. La lumière qui éclaire légèrement la scène semble jouer dans les plis de cette tenue moderne alors que le corps de Gregory Maqoma est sous tension. Si renouer avec les ancêtres grâce à la transe est un rite répandu dans de nombreuses cultures, le Sud-Africain nous offre un spectacle contemporain sans tomber dans le cliché anthropologique. Tout au long de sa performance, il se rapproche corporellement de son ancêtre, recule dans le passé et nous propulse en 1834 dans les plaines du Cap oriental. Le chef xhosa se bat pour conserver son bétail et ses terres face aux colons anglais. Cette histoire, le danseur l’a écoutée toute son enfance comme un mythe : « Ma grand-mère avait l’habitude de nous raconter cette histoire mais pendant longtemps je pensais que c’était un mythe parce qu’elle est tellement chargée de drames. Mais en 1978, ils sont allés à la prison de Robben Island chercher les restes de sa dépouille. Les autorités avaient dit aux familles que Maqoma s’était noyé en mer en essayant de s’échapper. Mais un marabout est venu nous dire que c’était faux et que ses os étaient toujours à Robben island. Maqoma avait été tué par une arme à feu… J’ai alors fait des recherches, je suis allé consulter les archives, et j’ai retrouvé toutes ces informations. C’est à ce moment-là que j’ai cru en l’histoire« .
Au fur et à mesure que le danseur se projette dans le passé sur scène, il quitte ses vêtements et revêt une tenue traditionnelle de combat exhibant la corne d’un animal. La scène se transforme peu à peu alors que quatre chanteurs sud-africains, Bubele Mgele, Happy Motha, Linda Thobela et Bonginkosi, installés dans le fond, entonnent a cappella ou sur un solo de guitare des chants traditionnels en zulu ou en xhosa, apportant une magie supplémentaire à ce spectacle dont la composition musicale est de Simphiwe Dana. Au-dessus d’eux défilent sur un écran des images d’archives de cette époque lointaine et des informations factuelles. Emportés par cette musique et ces voix, nous plongeons dans ce passé. Cette immersion est la particularité de cette création pensée par Grégory Makoma : « La musique a été le point de départ de mon travail. Elle est l’authenticité qui raconte l’histoire. La vidéo et l’image racontent aussi, informent sur cette époque, sur le mode de vie, sur les outils utilisés alors et les vêtements que nous portions en ce temps-là.« .
Gregory Makoma fait parler son ancêtre grâce à son spectacle. Renouant avec cette histoire, il renoue sur scène avec ces gestes traditionnels qu’il incorpore dans sa danse alors que les claquements de langue propres au xhosa retentissent fièrement. Le danseur consacre ainsi cet homme du passé qui a tant œuvré pour la nation sud africaine et qui a été plongé volontairement par les autorités de l’apartheid dans l’oubli : « Mon ancêtre Maqoma, a été l’un des premiers prisonniers à Robben Island au 19eme siècle, il est mort en 1873. Il possédait une terre et du bétail, pour lesquels il s’est battu et il en est mort. Je ne peux m’empêcher de me poser des questions sur la façon dont on reconnaît toutes ces personnes qui se sont battues pour la liberté des Noirs en Afrique du Sud. » Le chorégraphe offre ainsi une réhabilitation de l’histoire grâce à son art. Plus que cela, il prend la relève de sa grand-mère et devient à son tour le vecteur de transmission d’une tradition orale : « C’était important pour moi de travailler sur cet ancêtre et de lui rendre hommage. Il a créé un énorme espoir pour la nation xhosa. Il a poussé chacun à croire en soi, à avoir confiance et à se battre pour ce en quoi l’on croit. L’histoire de notre pays n’est pas uniquement ce que nous connaissons de Nelson Mandela. C’est une histoire beaucoup plus grande, qui a commencé bien avant. Je voulais montrer que la lutte pour la liberté n’a pas commencé il y a 20 ans mais il y a des siècles. » Grégory Makoma met ainsi son art au service de l’Histoire. Exit/Exist est un spectacle vivant magistral qui mobilise tous les sens des spectateurs pour un voyage dans le temps à la quête des racines sud-africaines. Comme le souligne Gregory Makoma : « Les leçons que nous tirons de l’histoire nous guident sur la façon dont nous pouvons rendre notre société meilleure pour ne pas laisser l’histoire se répéter. »

Ce spectacle a été présenté au théâtre des Abesses (Paris) du 23 avril au 4 mai 2013.
Il sera présenté dans le cadre de la saison croisée France – Afrique du Sud lors du festival Transcendance du 20 au 30 novembre 2013 (Exit/ Exist sera à Nantes les 26 et 27 nov. au grand T).
Un autre spectacle de Gregory Makoma, « Beautiful me« , sera présenté le 29 novembre 2013 au Carré d’argent à Pont Château.
Il sera en outre à Marseille le 11 juillet 2013 au Silo avec une création dénommée Kudu, un projet conjointement porté par le musicien Erik Truffaz et le chorégraphe sud-africain Gregory Maqoma.///Article N° : 11490


Laisser un commentaire