Fadimata dite Disco, la passionaria de la musique touarègue publie un récit-témoignage. Paru en juin dernier il s’ancre dans le village de Gargando, dans le Cercle de Goundam et la région de Tombouctou. C’est aussi un pan de l’histoire des populations touarègues qui est ici documenté, des pages d’exil et de lutte, notamment à travers la musique.
Lors d’un mythique duel avec la lune, le soleil perd ses belles dents qui fusent pour embellir un petit îlot où fut créé le village de Gargando réputé comme vivier intellectuel du monde touareg et célèbre par sa fille Fadimata tan Timbuktu. Née Fadimata walet Oumar elle est la fondatrice et leader du groupe Tartit. Devenue à partir des années quatre-vingt-dix une icône de la musique touarègue, elle a su fusionner sonorités traditionnelles et modernes. Le texte sur son parcours, ponctué de photos en noir et blanc, choisies avec soins par Catherine et Bernard Desjeux, photographes-éditeurs et fins connaisseurs de l’Afrique, nous raconte « sa vie pleine de contrastes » : à la fois fille nomade, villageoise, citadine-étudiante, femme-battante-engagée et passionnée par la musique.
Une enfance nomade
Fadimata est la fille de Oumar ag Attaher, un notable des Kel Ansar qui a servi comme vétérinaire dans la région de Tombouctou. Sa mère la lie à la tribu Kel Ulli du Gourma sur la rive droite du fleuve Niger, entre Gao et Tombouctou. Née le 25 décembre 1962, Fadimata passe son enfance entre son village de Gargando et le campement nomade situé non loin. Jadis, ce campement comptait une quinzaine de famille issues d’une même fratrie. Une cinquantaine de personnes y vivaient. Mohamed El-Maouloud ag Attaher en était le chef, avant de passer le relai à son jeune frère Oumar, le père de Fadimata.
Dans ce campement, la vie repose essentiellement sur l’élevage et le nomadisme, selon les différentes périodes de l’année ; l’hivernage (de juin à septembre) est synonyme de bonheur pour ses populations, car, grâce aux pluies, les pâturages sont abondants. C’est alors le moment de toutes les réjouissances : mariages et fêtes traditionnelles. L’hiver c’est l’attente ! Le campement se fixe en un seul lieu précis, alors que la saison chaude « Ewelen » est la période la plus rude de l’année : rareté de l’eau, les animaux ne boivent qu’un jour sur deux ; le campement est sans cesse obligé de nomadiser à la recherche des pâturages.
Dans son texte, Fadimata dépeint la vie nomade avec l’idéalisme caractéristique des nostalgiques de cette vie perdue. « Je suis triste de ne pouvoir montrer cette vie à mes enfants », écrit-elle, avec une certaine fatalité. La solidarité est une valeur cardinale dans le campement où tout le monde se lève tôt, car « dormir le matin est synonyme de malheurs, empêche d’avoir longue vie, rend gourmand, empêche la fortune, la chance, rend vilain et méchant » précise l’auteure. Très tôt, le jeune garçon apprend ce qui attrait à l’élevage, à la vie nomade et au maniement des armes blanches (sabre, lance, glaive) tandis que la jeune fille passe par plusieurs cycles initiatiques. Son éducation se fait notamment à travers les contes et la poésie pour apprendre l’art d’être une femme touarègue. Noblesse, dignité et grâce sont les traits d’acquisition de ce statut privilégié. Ainsi, dans le campement chacun a son rôle à jouer à l’image d’une société touarègue bien structurée jusqu’à la pénétration coloniale française au Sahara à la fin du XIXème siècle. Les bergers gardent les animaux, tandis que les serviteurs (anciens esclaves ou affranchis) se consacrent à des tâches domestiques. Les forgerons fabriquent tout ce qui est utile au quotidien (abris, mobiliers, ustensiles, etc.). Les griots gardiens de la mémoire orale qu’ils transmettent par leur luth, ont aussi une fonction d’émissaires (diplomates) auprès des chefs-suzerains. Ces derniers ont pour responsabilité la protection de l’ensemble de la communauté au sein d’une principauté, tribu, fraction, clan ou à l’échelle d’un campement.
Sur le dos de sa nounou Tanfo, Fadimata est prématurément initiée à la musique. Ensemble, elles passent tous les soir par des «Teghargharen», ces veillées nocturnes où jeunes filles et garçons des campements se rassemblent pour jouer de la musique et dire des poèmes d’amour. Puis pendant l’hiver, période où la famille se sédentarise un temps, avant d’y être inscrite Fadimata commence à aller à l’école. Sur son trajet quotidien elle ramasse de belles coquilles de turritelles que les habitants de Gargando appellent dents du soleil. Elle les collectionne pour en faire des jolis colliers. Mais son zèle pour l’école n’est pas du goût de sa mère qui la ramène toujours à la maison, jusqu’au jour où Mohamed El-Mehdi ag Attaher el Ansari, le cousin de son père et Aménokal (Souverain, chef suprême) des Kel Ansar la trouve dans une classe avec d’autres enfants. « Il m’a caressé les cheveux, m’a félicité et m’a dit : c’est bien ma fille, l’école c’est l’avenir ». Son père finit par l’inscrire l’année suivante, malgré le mécontentement de la mère de Fadimata.
Le monde extra-bédouin voisin
À partir de la fin des années soixante, le père fonctionnaire est envoyé tour à tour dans diverses localités voisines : Gourma Rharous, Bambara Maoudé, puis à Tonka. Ce qui fait connaître à Fadimata d’autres communautés de la région : songhoy, peulh et bozos. Ainsi, elle encode des sonorités linguistiques, mœurs et cultures différentes de celles des Touaregs. Dans son livre, elle raconte sa rencontre de petite fille bédouine avec le monde sédentaire, celui du fleuve synonyme de « marre hantée ». « Que Dieu transforme l’eau en sable », priait sa maman, lors d’une énième traversée en pirogue transportant gens, bagages et animaux pour passer d’une rive à l’autre.
En 1973, dans le village de Bambara Maoudé, se souvient-elle avec tristesse, elle voit arriver des nomades par dizaines, amaigris, démunis, refoulés par la grande sécheresse. L’attaque de la nature était foudroyante : une année sans pluie et le bétail de la région décimé en grande partie. C’était l’année qualifié « d’année noire » par les nomades de la région, dont la vie basculera définitivement à partir de ce moment ! À cette époque Fadimata refuse toutes les initiations qui incombent à une jeune fille de son rang, à commencer par le gavage traditionnel qui s’impose pour une petite fille de moyenne corpulence : « tu n’es pas une femme », s’indigne sa mère. Elle reste finalement mince et élancée. À 12 ans, elle est beaucoup trop agitée pour porter le voile traditionnel et lui préfère les boubous ou robes en tissus locaux. Puis, en rentrant chaque jour de l’école, elle revient avec des bouts de chansons sur les lèvres. Dans ce village de Tonka, localité voisine à Niafunké d’où est originaire le célèbre musicien malien Ali Farka Touré, Fadimata et sa copine Fady walet Mohamed-Lamine dit René fréquentent un camarade de classe qui avait un électrophone, ce lecteur de disques vinyles 33 tours. Ce qui lui permet de faire ses premiers pas de danse sur le genre « typique », musique afro-cubaine en vogue dans les années postindépendances. Son horizon est alors résolument tourné vers un ailleurs. Avec son brevet en poche, en fin des années soixante-dix, Fadimata s’apprête alors à vivre cette expérience qui l’attire et l’inquiète autant « l’épreuve la plus dure de ma vie », note-t-elle. Ainsi, elle quitte sa famille pour aller vers l’inconnue grande ville. Son père lui remet un courrier pour un ami, directeur d’école dans la capitale régionale : Tombouctou.
Tombouctou, la rupture
Pour se rendre dans la mythique ville située non loin du fleuve Niger, Fadimata embarque sur un bateau en « petite sauvageonne qui ne connait rien ni aux voyages, ni au bateau ! », s’exclame-t-elle. Elle y monte grâce à l’aide de deux citadins qui les invitent (elle et un compagnon) naturellement à aller « au bar » du bateau, Disco a été « plus intelligente » que son compagnon, quand leurs nouveaux amis leur ont demandés ce qu’ils souhaitent prendre à boire, en bon bédouin, le dernier demanda « du lait !», boisson qu’on ne sert évidemment pas dans ce type d’endroit, tandis que Disco eut la repartie de dire : « n’importe quoi, sauf l’alcool », se souvenant des histoires ‘’ou fantasmes nomades’’ où « la débauche » des villes était surtout due aux excès parmi lesquels la ‘’satanique’’ consommation de l’alcool est citée en premier lieu.
À peine arrivée à Tombouctou, c’est la déception et les pleurs pour Fadimata. En effet, l’ami de son père qui devait la loger « n’a plus de place ». Elle hésite à rentrer à Tonka, dans sa famille, mais se désiste très vite de crainte «de se voir marier à un inconnu » par sa mère. Elle tient coûte que coûte à poursuivre ses études au Lycée. Elle apprend la présence dans la ville d’un certain Omar ag Telfi, directeur de la statistique à Tombouctou, un membre de sa tribu, marié à une voisine de sa famille à Tonka. Elle leur rend immédiatement « une visite de courtoisie ». « Ils m’ont traité comme leur propre enfant », se souvient Fadimata qui raconte que « cette famille avaient accueilli plus d’une vingtaine d’enfants des campements nomades », lesquels -comme elle- n’avaient aucun pied-à-terre dans la ville des 333 saints. Les conditions de vie pour eux étaient si dures que « la moitié s’est vue obligée d’abandonner l’école et repartir dans son désert natal ». Elle souligne la difficulté pour les enfants nomades de poursuivre leur scolarité après le primaire, aller jusqu’au collège relève de l’exploit tandis que terminer son lycée est un miracle. C’est pourquoi « 80 % d’entre eux, abandonnent les études », par manque d’infrastructures d’accueil pour eux dans les grandes villes maliennes. Mais, Fadimata est une battante, elle résiste et reste à Tombouctou. La ville lui parait douce à vivre. Sa première année sur place, les cours n’étaient pas dispensés avec assiduité pour causes de grèves d’enseignants. Avec ses copains du lycée, ils créent le groupe Gitana, qui organise des soirées dansantes dans les quartiers de la ville. On est au début des années années quatre-vingt, et le disco était en vogue, même à Tombouctou « on entendait du disco partout, y compris dans les boutiques du marché ». De soirées aux concerts des groupes locaux, comme le fameux orchestre Mystère Jazz (en référence au qualificatif : ‘’Tombouctou la mystérieuse’’), elle participe à un concours de danse, qu’elle gagnera ! C’est à partir de ce moment précis et pour le reste de sa vie, qu’on la surnommera « Disco ». C’est aussi à cette époque qu’elle rencontre la diva-musicienne de Tombouctou : la regretté Khaïra Arby. Mais, jadis Fadimata était « très loin de penser qu’elle aura un jour son propre groupe de musique ».
Bamako
1983 : Au terme de ses études secondaires à Tombouctou, avec une amie de la ville, Disco s’éclipse discrètement vers Bamako. « Nous n’avions pas un sous », c’est en stop que les deux jeunes filles regagnent la capitale malienne où son cousin Ali ag Mohamed El-Maouloud, travaillait pour la société malienne de tabac. Il était marié à Mariama, celle qu’on surnommait jadis « La belle ». Celle dont le sourire rappelait plus que toute autre chose, à la fois l’immaculée dune blanche et l’incomparable pleine lune de Gargando. C’était la jeune sœur de Disco. Cette dernière s’établit chez eux, avec le projet non abouti de s’inscrire dans un centre de formation professionnel pour apprendre le métier d’institutrice. Ici, elle entre en contact pour la première fois avec le monde Bambara, dont elle ne parlait pas la langue. Cependant, « comme la plupart des gens parlaient français », elle s’en sort. Elle n’arrive pas à suivre autant qu’elle le souhaite les cours d’Institut Pédagogique d’Enseignement Général (IPEG). Un couple d’italiens (Lelia Pisani et Piero Coppo) se présente cherchant une jeune touarègue, pouvant servir d’interprète au compte d’un programme UNICEF dans la région de Tombouctou, suite à la deuxième grande sécheresse de 1984 qui signe la fin définitive du mode de vie et la mort de l’économie touaregs. Disco saute sur l’occasion. Elle est envoyée immédiatement en poste à Diré, non loin de son Gargando natal. Au contact des femmes et des enfants, elle s’est trouvée une passion pour le métier de l’humanitaire. Elle finit par évoluer devenant animatrice et responsable de programme. Au quotidien, son rôle consistait à gérer des centres de nutrition infantile. « Au contact des plus démunis », elle trouvait un sens à sa vie. « Je pleurais face à cette misère du monde, mais j’étais heureuse quand le gens s’en sortaient ». Trois ans après la situation s’améliore, l’UNICEF ferme son programme de Diré, mais Piero Coppo, ouvre un nouveau projet avec la coopération italienne, dans le pays Dogon. Il y engage Disco, comme assistante. Son rayon s’élargissait à la région de Mopti, lui permettant ainsi de faire la connaissance des Dogons qu’elle qualifie de « Peuple de paix et de culture ». C’est également à cette occasion qu’elle rencontre son amie Barbara Fiore (auteure de la préface de ce livre) qui deviendra sa complice de plusieurs décennies. Après trois ans de programme « les italiens étaient devenus ma deuxième famille », écrit l’auteure de « Fadima tan Timbuktu ».
L’Italie et l’ailleurs
Disco perd sa sœur la regretté « La belle» « qui n’était pas seulement une soeur, mais aussi une conseillère, un repère» écrit-t-elle. La fatidique date du 03 septembre 1990 la plonge dans une dépression, sans précédent : « Je n’ai plus goût à quoi que ce soit, ni à la fête ni à autre chose », ajoute Disco. Ce malheur coïncide avec l’éclatement de la rébellion touarègue du début des années quatre-vingt-dix, avec des conséquences directes pour les civiles nomades qui vivaient dans les villes maliennes au sud, mais aussi dans les campements et villes au nord du pays. À l’époque, ces populations étaient prises à partie, d’une part par des émeutiers accusant les Touaregs d’être de mèche avec les meneurs de la rébellion et d’autre part, par l’armée malienne qui exerçait une répression sur les civils dans des campements ou des villages Touaregs. Le Mali est alors plongé dans un conflit aux allures ethniques entre le nord (avec ses populations nomades arabo-touarègues) et le sud (à dominante sédentaires). Et là, encore ce sont les Italiens qui viennent à la rescousse pour Disco en lui octroyant un visa assorti d’un asile politique en Italie. Elle s’installe en Toscane, chez ses anciens collaborateurs et ami-e-s Lelia Pisani et Piero Coppo. Cet exil lointain réveille en elle l’inconsolable nostalgie saharienne : elle se remémore la quiétude de son campement, la beauté des pleines lunes et les dents de soleil à Gargando. Pour apaiser son mal du pays, elle écoute en boucle les chansons du groupe Tinariwen, dont les premières cassettes commencent à arriver de Libye et d’Algérie, alimentant jadis la rébellion touarègue du Nord-Mali et Nord-Niger.
En Italie, Disco séjourne un certain temps à Rome chez son amie Barbara Fiore qui organise des conférences et rencontres dans lesquelles Fadimata venait « parler de la situation des Touaregs au Mali ». L’italienne prend aussi contact avec le Folk Studio, un label musical réputé en Italie où Disco donnera un cours de danse et de musique touarègue. Elle rencontre des gens intéressés par la culture et le monde nomade. Un jour, un Italien lui offre le livre Les quatre portes du désert, qui met en scène une histoire d’amour entre le chef touareg du Hoggar Moussa ag Amastane et sa cousine la réputée poétesse Dassine. Le jour même où elle en termine la lecture, coup de destin : seule dans sa famille d’accueil de Toscane, elle reçoit l’appel téléphonique d’un metteur en scène Italien qui cherchait un conseiller artistique pour une adaptation de cette histoire au théâtre. « Quelqu’un m’a dit que vous hébergiez une touarègue… », « c’est moi-même » répond Disco ! Ils prennent rendez-vous et se rencontrent. Après quelques essais, le metteur en scène Salvo Tessitore l’engage dans le rôle principal de la pièce. La préparation du spectacle est planifiée pour quelques semaines plus tard, Disco en profite pour rendre visite à sa cousine Oumi walet Muphtah, mariée à un français. « Deux filles de Gargando ensemble à Paris : On voulait tout voir ! ». Elles font le tour de Paris et tombent sur une affiche dans le métro : « Sauvez le peuple Touaregs », conférence assortie d’une exposition. Elles se rendent à l’événement organisé au Musée de l’Homme, rencontre le fameux Mano Dayak qui les prendra d’abord pour des européennes, vues leurs allures et silhouettes (fines) très modernes pour des femmes sahariennes à l’époque. Grace à deux autres Touaregs maliens présents dans la salle qui reconnaissent Disco, les présentations se font. Mano Dayak, leader politique de la rébellion touarègue au Niger invite Disco sur le présidium pour venir parler de son expérience et de la situation de son peuple au Mali. Une jeune femme touarègue qui prend la parole pour la première fois à Paris, ça ne manquera pas de faire sensation au sein des milieux d’experts : anthropologues, ethnologues, journalistes et autres spécialistes présents. On est en1992, la rébellion au Mali et au Niger avait toujours cours et les médias manquaient d’images de terrain.
De retour en Italie, Disco apprend l’Italien pour préparer le spectacle. Mais la nostalgie des siens et de son désert natal ne fait que s’accentuer de jour en jour. Heureusement, elle pouvait communiquer tous les soirs au téléphone avec ses cousins présents en Europe : Oumi walet Muphtah à Paris ; le fameux Manny Ansar – mélomane, producteur de musique depuis les années quatre-vingt et fondateur du festival au Désert de Tombouctou – jadis de passage en Angleterre ; et la nièce de Disco Mariama walet Mohamed-Indekhma qui était alors étudiante en Irlande. Ces communications permettent à Disco de tenir bon. Pour la première du spectacle, elle invite Mano Dayak qui vient donner une conférence, en Italie, avec elle. « Il restera 10 jours et c’était comme si tous les Touaregs étaient avec moi » se souvient Disco.
Avril 1992, la signature du pacte national, entre le gouvernement malien et la rébellion touarègue, permet le retour à une certaine accalmie au Mali. Son pays et les siens lui manquaient terriblement, Disco saisit l’occasion pour aller à Bamako, se disant qu’elle pourrait toujours revenir en Italie, avec son visa valable encore une année. C’est à cette date qu’elle découvrira également, – comme bon nombre de Touaregs de Bamako – les principales figures de la rébellion touarègue qui vinrent à Bamako à la suite des accords de paix signés entre les deux parties en Algérie. Parmi eux, elle rencontre celui qui partagera ensuite sa vie : Hassan ag Mehdi, connu sous le sous-briquet de « Jimmy le rebelle ». Ils se marièrent, en 1993 et eurent des enfants.
L’exil qui se répète
En 1994, les accords de paix ne tiennent pas leurs promesses : les hostilités reprennent entre les groupes rebelles et l’armée dans le nord. Conséquences dans le sud malien : « Un beau matin, des croix étaient dessinées en rouge sur bon nombres de maisons des Touaregs à Bamako», raconte Disco. Ces familles sont de nouveau les cibles des casseurs et émeutiers dans la capitale malienne. C’est de nouveau la débandade. Et Disco parvint à regagner le Burkina Faso, où il y a encore (depuis 1991) un camp des réfugiés Touaregs maliens. En arrivant sur place Disco est sous le choc, face aux conditions de vie. Avec son amie Ajidu walet Amassara, elles avaient leur l’associationTahanint (compassion, empathie, ou pitié en Tamasheq), qu’elles engagent au camp au profit des veuves et leurs enfants réfugiées à 25 kilomètres de Ouagadougou. Disco met à profit son expérience humanitaire passée avec l’UNICEF et la coopération Italienne. Et elle conscientise les femmes pour prendre leurs responsabilités dans cette nouvelle situation et ne pas baisser les bras face aux drames « qui arrivent et passent comme tout dans la vie », dira-t-elle. Disco repart en Europe, en Italie, non pas pour y vivre mais, ponctuellement pour alerter et sensibiliser aux cours des conférences qu’elle donne, partout y compris dans des écoles, sur la situation des Touaregs, réfugiés au Burkina Faso, mais aussi en Mauritanie où la majorité de sa famille est exilée. Elle récolte de l’argent et des soutiens qui sont reversés au profit des femmes réfugiées. Cependant, pour Disco, cette épreuve a l’avantage de sédentariser les Touaregs, qui se voient désormais obliger d’apprendre d’autres métiers (en rapport avec ce nouveau mode de vie) pour mieux envisager leur avenir autrement que par le nomadisme et l’élevage qui s’évanouissent depuis les sécheresses de 1973 et 1984.
En 1995, retour des réfugiés Touaregs au Mali. Mais, Fadimata n’est pas au bout de ses peines, car début 2012 c’est l’histoire se répète. En effet, la chute de Kadhafi de 2011 aura pour conséquence une nouvelle rébellion qui éclate dans le nord du Mali, provoquant un coup d’état militaire à Bamako, et – de nouveau – la prise à partie des populations civiles touarègues (et maures) qui vivent dans les villes par des milliers de manifestants qui s’en prennent aux maisons et aux personnes de teints clairs (Touaregs et Maures) en particulier dans la capitale malienne et dans la ville garnison de Kati où des biens des Touaregs furent saccagés et pillés. Alors, Fadimata et sa famille repartent sur les routes de l’exil. Là encore, elle s’engage personnellement – bénévolement – et met ses réseaux internationaux à profit pour venir en aide à des centaines de réfugiés, en montant au profit des femmes des activités génératrices de revenus (teinture, couture, artisanat, commerce, etc) de la formation…
Encore aujourd’hui, une bonne majorité des habitants du nord sont toujours réfugiés, majoritairement en Mauritanie, d’autres au Burkina Faso et au Niger. En 2015, Disco décide de rentrer à Bamako: «Ce départ fut une catastrophe, je pleurais et les femmes aussi », car après elle, « plus personne ne s’était occupé de ces femmes ». Elle est rentrée seule avec son mari cependant, sa famille élargie est réfugiée particulièrement en Mauritanie. Et pour elle visiter son père resté auparavant « cloitrée » dans le nord du Mali (décédé en 2019) relève du parcours du combattant : « On ne peut pas aller dans le nord du Mali, tu serais tué », écrira-t-elle ! Encore aujourd’hui, l’avenir est incertain pour la région qui est depuis janvier 2012 sous la coupole des groupes Jihadistes d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique et de l’Etat Islamique. Même la musique y était interdite, lorsque ces groupuscules occupaient les principales villes du nord du pays : Tombouctou, Gao et Kidal.
La musique dans le cœur
« La musique est entrée dans mon cœur et dans mon corps. Depuis toute petite, elle a toujours fait partie de moi », note Disco. Présente tout au long de son parcours, depuis toute petite notamment sur le dos de sa nounou, puis au contact des villages sédentaires voisins et à Tombouctou, c’est dans le dernier chapitre de son livre que Disco évoque son rapport à la musique. Particulièrement les trente dernières années. Elle raconte la création de son groupe Tartit au milieu des années 90 dans les camps des réfugiés Touaregs de Mauritanie et du Burkina Faso. Au commencement, une humanitaire du nom de Maniela Verasu qui se présente pour demander à Disco, s’il y a un groupe de musique. « Chez nous, tout le campement est ensemble pour une fête », répond-elle. Quand il y a une fête, des femmes jouent le violon monocorde ou la Tachidialt, cette double percussion produisant un son lourd et léger, tandis que les hommes chantent et les griots jouent de leur luth, etc. « La musique est utilisée comme thérapie pour soigner les malades », précise Disco. Cet art est également un vecteur d’éducation qui touche à tous les thèmes de la vie quotidienne : les chansons enseignent aux jeunes le comportement à avoir en société ; puis la poésie instrument de censure sociale est également bonne alliée dans la solitude, pour le berger loin du campement mais aussi pour l’amoureux, le guerrier ou le mystique.
En résumé, bien qu’elle fasse partie de la vie quotidienne, jusqu’aux années quatre-vingt-dix – à la formation du groupe Tartit -, la musique touarègue ne s’était pas professionnalisée. Disco explique à son interlocutrice l’exception de la musique des Touaregs de la région de Tombouctou. À la différence des autres régions, celle-ci est basée sur une forme orchestrale écrite incorporant toutes les dimensions : instrumentale, percussionniste et vocale. Pour aller plus loin, Disco parvient à créer une fusion tradi-moderne inédite, en intégrant le son de la guitare moderne jouée par son jeune frère Mohamed Issa ag Oumar, disposant également de son propre groupe Imarhan-Timbuktu. Alors, l’ensemble se forme autour du légendaire griot des Kel Ansar : Amano ag Issa, qui a baptiser le groupe du nom de « Tartit », pour véhiculer un message « d’Union des Touaregs ». Disco réunit l’ensemble comme un orchestre, composé de dix à vingt personnes, à ses débuts, majoritairement des femmes. Celui-ci fait son premier voyage à partir du 25 décembre (ce même jour que le destin avait choisi à Disco pour venir au monde) 1995 en Belgique. Disco a tout juste « l’âge du Christ » et son groupe vient de naître. Il se produit à Liège dans le cadre du Festival Voix de Femmes. Une première pour des musiciens touaregs en Europe. La révélation ! Et, c’est aussi le commencement de l’exportation de la musique touarègue hors d’Afrique. Tartit ouvre le chemin emprunté ensuite par plusieurs groupes, notamment les Tinariwen. Dans la foulée, le groupe de Disco enregistre son premier disque Amazagh (le campement, en tamasheq). Depuis, Tartit n’a cessé de tourner partout, en Europe, aux Etat-Unis, au Canada, en Asie, en Afrique. Le groupe a produit quatre albums et a été le sujet de quelques films documentaires mettant en lumière l’exceptionnel et atypique parcours d’une femme prodige qui a le mérite de porter depuis trente ans la culture touarègue aux quatre coins du monde.
Dans son livre, Fadimata walet Oumar nous livre un récit autobiographique à l’état brut, elle le fait avec sincérité en montrant qu’il est possible s’intéresser aux autres, s’en inspirer même, tout en gardant l’authenticité, l’originalité de son Être, sans jamais se trahir ni se métamorphoser pour devenir ce que nous ne serons de toute évidence pas ! Que serait donc notre monde, sans ses singularités ? « Ce qui est frappant avec elle, c’est son enracinement évident dans sa culture, tout en étant curieuse du monde ! » observe Barbara Fiore dans sa préface au sujet de son amie Disco. Par son itinéraire et ce livre qui en fait le récit, Fadimata-Disco laisse un exemple-clé pour ne pas dire une boussole pour les jeunes générations touarègues, en l’occurrence citadines, héritières de l’imaginaire du monde nomade qui s’éteint et qu’elles ne connaitront probablement plus jamais.
Intagrist el Ansari.
Fadimata tan Timbuktu de Fadimata Walett Oumar
Aux Editions Grandvaux
http://editionsgrandvaux.free.fr/spip.php?article654