Fatou l’espoir

Téléfilm de Daniel Vigne

(France 2, le 16 avril 2003)
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Fatou, le retour ! Trois ans après avoir été séquestrée et violée lors de son mariage forcé, Fatou revient à Paris pour un défilé. Car après s’être enfouie, elle a réalisé son rêve à Londres : être coiffeuse chez les grands couturiers. Elle voudrait en profiter pour renouer avec ses parents mais constate que sa famille est brisée. Elle s’emploiera à recoller les morceaux…
Au niveau traitement, cette suite de Fatou la Malienne est la copie conforme du premier téléfilm. Pourquoi changer une équipe qui gagne ? Après son succès imprévu, Daniel Vigne a aussitôt proposé à France 2 une suite qui serait moins axée sur la communauté malienne et davantage sur le personnage blessé de Fatou. On y retrouve avec plaisir les excellents acteurs du premier épisode, à commencer par Fatou Ndiaye qui crève l’écran, mais aussi Mariam Kaba, Pascal Nzonzi, etc. Même montage efficace, même caméra épaule baladeuse, même style enjoué, mais en se recentrant ainsi sur Fatou, Vigne donne du corps à son propos. Alors qu’il s’était vu reprocher une description réductrice de la communauté malienne, Vigne délaisse la peinture du milieu pour mieux fouiller son personnage. Côté clichés, il ne résiste certes pas à l’envie de faire habiter le frère Sidi au milieu d’un harem qui ne cesse de jacasser, mais cela reste relativement limité.
Fatou est décidée, téméraire, sans concession. Elle refuse de se plier au patriarcat qui réduit et exploite les femmes. Retrouvant sa mère, elle lui dira :  » Ta patience est un rebus, un rejet « . Son père reconnaîtra le mal qu’il lui a fait en ne la laissant pas se déterminer. Fatou est ainsi un personnage positif, qui campe ses choix et a raison de s’affirmer contre les coutumes identitaires qui l’ont tragiquement blessée.
Le problème de Fatou l’espoir est pourtant le même que celui de Fatou la Malienne : celui d’opposer de façon aussi machiavélique modernité et tradition. Il se situe ainsi dans un âge de pierre de la pensée sur l’Afrique, en dénonçant ce que Vigne appelle  » une coutume qui vise à en faire une citoyenne de deuxième ordre « . Non qu’il ne faille pas mettre en cause des pratiques coercitives comme l’excision ou le mariage forcé. Mais parce que ce discours dualiste renforce le bon vieux cliché d’une Afrique sous-développée qu’il faudrait civiliser.
Fatou l’espoir offre à cet égard un intéressant développement : traumatisée par la blessure du viol, Fatou ne supporte pas qu’un homme la touche. Le film sera à cet égard l’histoire d’une guérison orchestrée par un docteur qui passera par une initiation : en comprenant que c’est le viol qu’elle a subi et non sa part africaine qu’elle rejette, elle peut l’assumer… et carrément en profiter au sens propre du terme puisque le contrat que lui demande de signer son agent consiste à afficher son image éventuellement dénudée sur une ligne de produits de beauté et accepter ainsi de se vendre comme  » un fantasme de désir black « , ce qu’elle rejetait catégoriquement au départ. Alors qu’on se demande comment le scénario pourra contourner le piège tendu par l’agent de mèche avec la police (signer le contrat pour que son père ne soit pas jeté en prison), sa signature finale sera paradoxalement présentée comme une résolution de son trouble (ce qui fait fondre comme beurre de karité au soleil la positivité de sa position radicale contre l’utilisation mercantile de sa négrité).
Le  » docteur  » Iyassou lui dira même :  » L’Afrique est en toi, qui t’a donné ta sensibilité, ta beauté, ta grâce, ton talent « . Il y aurait ainsi une bonne Afrique source de pureté et une mauvaise aux traditions obsolètes. Comment un Africain ou une Africaine peuvent-ils se retrouver dans un tel discours ? Charmez-nous mais imitez-nous, puisque votre culture est d’un autre âge ! La part africaine de Fatou ne serait pas son appartenance culturelle mais certains caractères bien délimités, voire le charme qu’elle dégage grâce au fantasme du corps noir.
Son origine la hante comme tout un chacun, comme en témoigne la phrase en langue africaine de son rêve, mais son personnage est construit sur la mise en valeur d’une affirmation individuelle face aux lois du groupe. On en revient à l’opposition violemment conflictualisée aujourd’hui dans un débat politique piégé qui, comme le dit Tobie Nathan, se pose comme  » communautés ou République ; culturalisme ou universalisme « .
Si l’on accepte l’idée que les groupes culturels ont leurs propres moyens de faire évoluer leurs pratiques obsolètes, le problème n’est pas de sortir du groupe pour adopter la culture de l’autre (la société française et ses lois posées comme étant de valeur universelle) mais bien de lutter en s’affirmant comme sujet à l’intérieur de son propre groupe pour que les choses évoluent (une tradition n’étant que la résultante de modernités qui ne cessent de se remplacer). A l’heure de la mondialisation qui met en cause la notion de groupe et dans une société française où l’assimilation reste l’idéologie dominante de l’intégration, cela n’est pas sans poser problème. Fatou s’y emploie mais sans jamais puiser dans son origine, toujours en opposition. L’appel du docteur à  » aller vers l’Afrique  » pour ne plus se fuir ne sera jamais explicité, si ce n’est en acceptant de coiffer dans un défilé de mode communautaire. Fatou l’espoir n’échappe ainsi pas au discours dominant.
Après la caricature d’ethnopsychiatrie montrée dans le film, le docteur précise, après avoir donné à une patiente des gris-gris avec lesquels se soigner, que  » c’est le seul moyen de soigner les Africains « . Dans le cas de personnes encore fortement ancrées dans la communauté culturelle, on ne saurait lui donner tort : c’est en faisant confiance au système des objets auxquels leur culture accorde un pouvoir de guérison que celle-ci peut être atteinte. Mais en sous-entendant que ce n’est que parce qu’ils y croient, il retombe dans la condescendance : il parle de croyance en l’action des fétiches alors que leur culture ne parle que de l’action des fétiches. Il parle de représentation alors que leur culture parle d’objets. C’est-à-dire qu’il dénie à cette culture la capacité d’élaborer une théorie thérapeutique qui soit autre chose que de la superstition.
Fatou l’espoir est ainsi sans arrêt contradictoire : il appelle à ne pas isoler l’Afrique dans des clichés ( » le mariage forcé est dans toutes les cultures « , explique par exemple le docteur), mais il en revient sans cesse au discours de la différence : les coutumes, la magie, les comportements communautaristes fondent un fossé que seule l’émancipation individuelle peut franchir. Comme dans le cinéma colonial (par exemple les deux versions de La Maison du Maltais où l’assimilation efface la mixité), sortir de sa culture pour imiter le civilisé y est le seul salut possible.

///Article N° : 2839

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