Quand toute l’année a été ponctuée de débats, de colloques et autres commémorations de l’abolition de l’esclavage, si important le sujet soit-il, arrivé le mois de novembre on se sent un peu las quand un festival annonce comme thème Traite négrière et marronnage. Et pourtant, avec sa sixième édition, Fest’Africa a réussi à gagner le pari : aborder pour la énième fois un sujet complexe sans tomber dans du déjà-vu et du déjà-dit. Pour cela, les organisateurs ont su choisir les bons intervenants, dont Maryse Condé qui marqua par sa présence l’ensemble du l’évènement.
Ainsi, le festival fut ouvert avec une conférence sur la traite et le marronnage avec les historiens Elikia M’Bokolo, Katia de Quéiros Mattoso et Oruno Lara en compagnie de Maryse Condé qui apporta sa parole d’écrivain au débat. Il ne s’agissait pas de parler une fois de plus de l’abolition mais de la traite elle-même, passée sous silence dans bien des cérémonies de commémoration. Comme l’observait Maryse Condé, » on nous annonce que »à cause de » la traite, nous avons une société pluriculturelle aux Antilles, et il se passe un glissement sémantique insidieux qui fait que le »à cause de » devient synonyme de »grâce à » « . Dans d’autres débats, on posa la question du crime contre l’humanité et d’éventuelles réparations, et le projet de la Route de l’esclave de l’UNESCO fut présenté en détail par Doudou Diène. Tout au long du festival, la responsabilité des Africains dans la traite suscita de nombreuses prises de parole
la question semble loin d’être résolue dans beaucoup d’esprits.
Mais on ne parla pas que de traite à Lille. Entre concert et expos, les cafés littéraires s’enchaînèrent durant tout le week-end, avec des auteurs comme Ken Bugul, Patrice Nganang, Jérôme Carlos, Babacar Sall, Abdourahman Waberi, Raharimanana, Alain Mabanckou, Daniel Biyaoula, Kossi Efoui, pour n’en citer que quelques uns. Chaque auteur avait cette année un lecteur qui livrait ses impressions de l’uvre – pratique que l’on trouva plutôt rafraîchissante face à des rencontres littéraires souvent au goût universitaire. Olympe Bhêly-Quénum et Maryse Condé eurent chacun droit à une heure avec le public.
Aux côtés de » classiques » de la littérature africaine, souvent militants déçus d’une indépendance qui tourne au vinaigre, une jeune génération d’écrivains se profile et revendique sa place – les débats de Fest’Africa en furent encore une preuve. Ici, les éternelles questions de tradition et de modernité, d’influence occidentale et de littérature orale n’ont plus de sens : » Mon oralité à moi, c’est celle des villes, toutes ces histoires que l’on se raconte, qui se passent dans la rue « , dit Alain Patrice Nganang. Ces auteurs, » nés après les indépendances « comme certains se définissent, revendiquent leur(s) identité(s) d’Africain, de citadin, d’immigré, de rêveur, d’écrivain sans se soucier de savoir s’ils doivent tenir un rôle quelconque face à une société en délabrement. On sent chez certains une terrible urgence de dire et chez d’autres une volonté farouche de se démarquer de l’image de l’écrivain noir comme témoin d’une quelconque réalité africaine. Mais l’attente semble toujours être là – l’on trouvera le public presque déçu quand Waberi parle du nomadisme comme fantasme littéraire
Un bilan plutôt intéressant donc pour cette édition de Fest’Africa. On ne peut cependant s’empêcher de regretter l’absence chronique d’auteurs anglophones et lusophones dans ce genre de manifestation. A quand un festival de la littérature africaine, dans son intégralité ?
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