Francesca Hadija Sanneh : Résolument Afroitalienne

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Née d’une mère italienne et d’un père sénégalais, Francesca Hadija Sanneh, 24 ans, a grandi à Brescia, ville du nord de l’Italie, connue pour ses mouvements xénophobes.  C’est là que Francesca fonde avec des ami.e.s, en ce mois de mai 2020, suite à l’assassinat de George Floyd à Minneapolis, UNO : « collectif antiraciste artistique pour le changement ». Portrait d’une activiste.

Pour rejoindre Francesca Hadija Sanneh, qui m’attend de l’autre côté de la gare de Brescia, je marche le long d’une rue délaissée, une rue je connais très bien, car plusieurs fois des insultes racistes dirigées contre moi sont sortis des fenêtres ouvertes des voitures. Cette fois-ci, je la parcours avec joie. Générations 80, nous ne sommes plus isolés, dans cette ville connue pour sa droite xénophobe : les afrodescendants, aujourd’hui, s’expriment. Nombreux et motivés. À l’image de Francesca Hadjia Sanneh : « Nos existences sont ignorées, réifiées, stéréotypées, aliénées, soumises à la grande condition de l’intégration, parole magique qui apparemment résoudrait et éteindrait tout instinct raciste chez les italiens« . La cofondatrice de UNO, « collectif antiraciste artistique pour le changement », a déjà pensé aux mots, à leur poids, à leurs pièges. Bien avant sa formation en droit, elle a réfléchi aux instruments d’émancipation des minorités afrodescendantes d’Italie. Quand je la rencontre elle me parle tout de suite, avec fougue, les yeux étincelants, de la nuit blanche passée à se tresser, seule, devant sa dernière découverte : la chaîne Youtube d’une sociologue brésilienne drag-queen, Rita von Hunty, universitaire dont elle a absorbé des notions sur le libéralisme et le néolibéralisme. Notions qu’elle n’hésite pas à déployer le long des conversations avec moi ou d’autres membres du collectif UNO dans la même journée. Une des participantes me dit, les yeux pleins d’admiration « Hadija c’est une force, parfois ce n’est pas évident de la suivre, elle va tellement vite ! « . Avant de créer ce rassemblement et d’attirer l’attention des médias régionaux, le parcours de cette jeune à l’énergie débordante a été intense.

La Musique comme medium culturel

À la sortie de l’enfance, elle décide que chanter avec son père aux mariages « No woman no cry » n’est pas suffisant et elle étudie le chant et le piano pour s’inscrire à un lycée musical avant de rejoindre un lycée linguistique. Aujourd’hui, Francesca Hadija séjourne souvent à Londres, où elle poursuit le rêve de devenir une DJ éclectique et indépendante comme la coréenne Pegghy Gou, puis sortir un album. La jeune Sanneh donne l’impression de pouvoir transformer toute bribe culturelle rencontrée sur son chemin, en une pierre pour bâtir sa maison de connaissances. Et on comprend vite que la musique est la pièce principale de cette maison. Que ce soit le hip-hop des années 1990 à l’actuel, la samba, la bossanova brésilienne, ou l’afro-house,  » c’est la musique dit-elle qui m’a amenée dans tous les lieux où j’ai été« . Pour Francesca c’est clairement la manifestation la plus immédiate et marquée de la culture d’un peuple, « le critère-pont pour traverser un pays inconnu« . Passionnée de culture africaine-américaine, c’est par la musique qu’elle nourrit son érudition. Mais, à propos des États-Unis, elle n’est pas naïve : « Les États-Unis sont un mythe occidental dont la culture est exportée et donc disponible« . Sa clé d’entrée de la « conscience noire » ? À seize ans, avec Kendrick Lamar, artiste qui a explicité des pensées qu’elle avait depuis longtemps, brisé sa solitude, et surtout nourri son émancipation ; « Il m’a sortie du ghetto mental dans lequel je me trouvais. À l’époque je rejetais le rap pour ne pas adhérer au cliché de la personne noire qui écoute du rap !« . Dialoguant incessamment avec elle-même, elle se remet en question, si besoin, sans hésiter. Lors de nos échanges, je remarque une grande maturité, une envie d’aller à l’essentiel des choses. Une soif intacte de connaissance.  » Même enfant elle s’intéressait à tout ce qui pouvait l’enrichir, elle regardait plein de documentaires tout le temps » raconte une de ses sœurs.

Engagement, le moteur

Francesca Hadija Sanneh parle italien, anglais, français, allemand, espagnol, portugais. Elle poursuit des études en droit, a vécu dans différents pays européens, toujours en travaillant (restauration, secrétariat, événementiel), a aussi voyagé sur d’autres continents. Elle est végétalienne, et ce choix, selon ses mots, est possible en tant que femme noire privilégiée :  » Je n’ai personne à ma charge, je n’ai pas de problèmes économiques et c’est donc un effort que je peux faire. Au début ce n’était que pour des raisons écologiques. Aujourd’hui être végétalienne découle de ma lutte antiraciste « . Elle argumente que pour déconstruire les choses il est nécessaire d’analyser comment elles se sont construites.  » Le racisme naît de l’exigence capitaliste, et le capitalisme fonctionne sur la base de la relation entre la demande et l’offre, donc si la demande est différente par rapport à l’offre, on fait changer les choses. Non seulement au niveau productif mais aussi politique. Détruire le capitalisme signifie détruire son patriarcat, son homophobie, sa transphobie, son racisme, et bâtir une nouvelle société « . Cette envie d’incarner ses idéaux lui vient de l’enfance. Petite fille, elle pleure déjà à chaudes larmes face aux injustices côtoyées. Sa sœur confie que « son empathie la rend assez exceptionnelle, et ce depuis toujours« . Elle vit dans sa chair les reportages télévisés sur les guerres, les famines, et à l’adolescence s’engage aussitôt dans des collectifs lycéens. Au début, elle pointe surtout les contradictions socio-politiques classiques avec la grille de lecture : prolétariat, bourgeoisie, exploitation. Ce n’est que plus tard qu’elle aborde le racisme, initiée par son cousin Adama qui lui fait découvrir James Baldwin. « L’engagement politique est un engagement humain, la conséquence directe, dans une prospective existentialiste, de l’existence » nous dit celle qui valorise internet et les réseaux sociaux pour s’informer en insistant que ça ne peut être qu’une étape : « L’information juste contemplative n’est pas utile si elle n’est pas suivie de l’action« . Effectivement, si l’on regarde la page Instagram de UNO on peut apprécier différentes fiches et rubriques souvent suivies de proposition de rassemblements, manifestations et réunions collectives.

Afroitalien.ne.s

S’opposant, comme le mouvement G2 (Deuxièmes générations) aux lois italiennes qui considèrent le  » Ius sanguinis  » (Droit du sang) [1] comme étant la condition nécessaire de la citoyenneté, au détriment du « Ius soli » (Droit du sol), Francesca Hadija Sanneh et les membres du collectif UNO sont bien conscients que la blancheur est encore une « condition sine qua non  » de l’italianité et comptent bien faire bouger les lignes. L’immigration et ses enfants n’étant pas un phénomène transitoire, mais nécessitant un cadre juridique les intégrant sur le sol italien, la jeune Sanneh souligne la nécessité de porter toujours un regard non seulement humain et personnel, mais aussi légal : « Le Ius soli est le couronnement du Principe d’égalité décrit par le troisième article de notre constitution, considérée, à raison, la plus belle du monde. L’article 3 interdit toute discrimination à cause de la race, mais la narration et le discours autour du Ius Soli rendent clair l’obstacle majeur à son accomplissement : la race même« . Elle souligne le fait que son pays de naissance s’auto-absout de tout lien avec le suprémacisme blanc, très vite associé aux Etats Unis avec le credo « Italiens, braves gens ». C’est-à-dire l’idée selon laquelle les Italien.e.s seraient structurellement incapables de concevoir, projeter et accomplir des actes volontairement méchants à l’égard des autres populations. Cette maxime est effectivement très répandue, mais, nous dit la co-fondatrice de UNO, il suffirait d’un cours d’histoire non empreint de négationnisme révisionniste pour démonter cette narration. « Il faut résister, quand le climat général dédouane la chasse aux noirs et quand les institutions, avec un langage inapproprié, laissent la place à des violences interpersonnelles où le corps des Noir.e.s devient cible de haine et de violence !« . Cette résistance, pour elle, est représentée par des syndicalistes  comme Aboubakar Soumahoro, ou des activistes, journalistes et écrivain.e.s comme Djarah Kan, Espérance Hakuzwimana Ripanti, Oiza Q. Obasuyi, Pape Diaw, Andi Ngasco et Soumalia Diawara, qu’elle suit de près, en s’inscrivant dans une tradition d’activistes afrodescendant.e.s italien.ne.s aux débuts de son histoire. Elle souligne aussi (maintenant qu’on la connaît un peu ça nous étonne pas !) l’apport d’artistes dans le champ musical : Tommy Kuti, FULA et Slim Gong unis à travers le label Equipe 54 : « Ils portent la cause de notre émancipation en chantant en italien mais sur des bases fièrement afrobeat« . Sur son identité, l’activiste a les idées très claires : « Mon italianité est une affirmation nécessaire dans un pays qui voudrait la nier, je dois donc l’exprimer avec force et fermeté« . Et elle se définit aussi comme afrodescendante, en vertu de son lien avec le Brésil, endroit où par ailleurs elle se sent chez elle. Elle parle alors de résilience pour évoquer la culture afro brésilienne. Et puis de fait, au Brésil « au niveau inconscient se sentir enfin partie de la majorité est une sensation reposante« . Avec le Sénégal elle a un lien spirituel fort : c’est le pays, elle nous confie, qui était en elle avant qu’elle naisse. «  Je suis Africaine, non pas parce que je suis née en Afriquemais parce que l’Afrique est née en moi« , affirme-t-elle finalement, en citant le panafricaniste ghanéen Kwame Nkrumah. Pour Francesca Hadija  » le monde est à toutes et tous« . Pendant qu’elle prononce cette phrase, un sourire lui illumine le visage et accompagne son aveu : « Je sais, c’est une phrase cliché« , ce qui ne lui empêche pas de se désigner comme preuve vivante de cet espoir étique.  Elle conclut que face à l’urgence contemporaine et au besoin d’affirmation et de résistance politique, elle est avant tout et résolument, Afroitalienne.

[1] La loi actuelle garantit la citoyenneté italienne à ceux qui sont nés de parents italiens. Ainsi, les enfants de migrants, qu’ils soient nés sur le sol italien ou qu’ils soient arrivés mineurs avec leurs parents, n’obtiennent pas automatiquement un passeport italien à leurs 18 ans. Selon la campagne « Italiani senza cittadinanza » (Italiens sans citoyenneté), près d’un million de personnes se trouvent désormais dans cette position. https://www.infomigrants.net/fr/post/25345/italie-le-debat-sur-l-acces-a-la-citoyennete-relance

 


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