François Laobé-Rieux, le premier pilote noir… de fiction

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Si l’histoire de l’aviation ne connaît pas encore le nom du premier pilote noir, il a déjà un ancêtre dans la littérature. Dès 1928, Louise Faure-Favier met en scène, dans son roman Blanche et Noir, un personnage métis passionné des airs.

François Laobé-Rieux a-t-il été le premier pilote noir ? C’est une question ouverte, une question dont je ne connais pas la réponse, je vous prie de m’excuser. Et puis je triche, je l’avoue. Car ce qui a provoqué la question ne relève pas de l’histoire, mais de la lecture d’un roman relégué aujourd’hui aux oubliettes : Blanche et Noir, de Louise Faure-Favier. Son unique édition, publiée chez Ferenczi et fils, date de 1928. Depuis des années, aucun exemplaire d’occasion n’est proposé sur internet (1). Pour expliquer qui est François Laobé-Rieux, il faut démêler la trame d’un récit compliqué dont les parts de fiction et de réalité ne sont pas clairement distinctes.
Dans la narration fictive, François Laobé-Rieux est le fruit d’un mariage entre Malvina Lortac-Rieux, veuve de son état, et Samba Laobé Thiam, représentant du Sénégal à l’Exposition universelle de 1889. Malvina est la grand-mère de Jeanne, la narratrice de Blanche et Noir, et elle échappe à l’étouffante ambiance bourgeoise de Monistrol-sur-Loire par le biais d’une visite à l’exposition. Une relation inattendue se noue entre elle et le beau Ouolof. Malvina part pour le Sénégal, se marie selon les rites indigènes et porte au monde en temps dû le futur pilote. Cette naissance coïncide au jour près avec celle de Jeanne qui, parvenue à l’âge de la conscience, s’étonne et s’amuse de se découvrir un oncle noir d’un âge identique.
Cette coïncidence amène la narratrice à poursuivre une enquête dont le roman retrace les étapes et fournit la conclusion logique : sa rencontre avec l’oncle en question. Il arrive dans sa machine volante, atterrissant dans un champ voisin d’une propriété du Velay dont il semble contester l’héritage à Jeanne. Leur différend, si différend il y a, est de courte durée : à la fin du roman, ils s’envolent tous deux vers la liberté des cieux africains. Au lecteur d’imaginer la suite, en l’occurrence très équivoque. L’important est le vol.
Ce thème est en effet cher à Louise Faure-Favier. Avant d’écrire Blanche et Noir, elle avait publié, en 1924, Les Chevaliers de l’air, roman consacré aux merveilleux aviateurs de la première époque, pilotes qu’elle avait parfois accompagnés pour détenir, à un moment donné, un record de hauteur pour une passagère. La ferveur de l’aviation avait également gagné un de ses proches amis, Guillaume Apollinaire, à qui elle a consacré des souvenirs, et qui évoque, dans  » Zone « , poème liminaire d’Alcools, non seulement  » les hangars de Port-Aviation  » mais encore  » le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs / Il détient le record du monde de la hauteur « .
Si l’auteur y investit cette passion réelle, qu’elle a poursuivie ailleurs en publiant les tout premiers guides des relais aériens entre Paris et plusieurs capitales européennes et autres, on découvre dans son roman des éléments autobiographiques et surtout des témoignages confirmant Samba Laobé Thiam était réellement un représentant du Sénégal à l’Exposition universelle.
Le vrai Samba Laobé
Voici ce que rapporte le journaliste Hugues Le Roux dans son article intitulé  » Psychologie exotique « , paru dans L’Exposition de Paris de 1889 : journal hebdomadaire du 27 juillet 1889. Le Roux transcrit le nom Laobé  » Lawbé « , mais c’est de toute évidence la même personne, plus désenchantée toutefois que son homologue romanesque :
 » Je laisse la parole à Samba Lawbé Thiam, chef bijoutier, Sénégalais, qui m’a exposé avec éloquence les doléances du peuple noir :
– Nous sommes très humiliés, Monsieur, m’a-t-il dit en fort bon français, d’être ainsi exhibés dans des huttes, comme des sauvages ; ces cases en nattes et en boue ne vous donnent aucune idée du Sénégal. Au Sénégal, Monsieur, nous avons des casernes, des gares, des chemins de fer ; nous nous éclairons à l’électricité. Le conseil d’hygiène ne tolère plus que l’on édifie des baraques dans ce genre-là. Aucune de celles qui tombent n’est relevée…
Je n’insiste pas sur ces regrets un peu comiques, touchants dans le fond. La souffrance de Samba Lawbé, qui ne veut pas être pris pour un sauvage, est un peu celle de la Parisienne à qui l’on dit que l’Angleterre, l’Allemagne, Buenos-Ayres et New-York la considèrent comme la « cocotte » idéale.
Mais voici qui est plus grave :
Les Sambas Lawbés [sic] de la place des Invalides trouvent que les Français manquent décidément de politesse, et ils s’en plaignent. On ne prend pas garde que presque tous entendent notre langue, assez pour comprendre des exclamations aussi discourtoises que celles-ci :
– Oh ! le singe !
– Le monstre !
– Dieu qu’il est laid !
– Où est son horloge ?
On oublie trop que ce sont des hommes et non des animaux exotiques que l’on regarde par-dessus les petites barrières.  »
On connaît les  » zoos humains  » (2), mais il a fallu attendre Didier Daeninckx et son Cannibale pour que le point de vue de l’indigène exposé soit exploré avec sympathie et une certaine profondeur dans la fiction. Cet entretien entre Thiam et Le Roux, outre qu’il anticipe sur des positions post-colonialistes, confirme du moins l’existence réelle du personnage.
Personnage réel devenu fictif
Il semble toutefois que Louise Faure-Favier ait trouvé ailleurs la source de son information sur Samba Laobé Thiam. L’ouvrage de Louis Rousselet qui a pour titre L’Exposition universelle de 1889, publié chez Hachette l’année suivante dans sa  » Bibliothèque des écoles et des familles « , se trouve dans la bibliothèque de l’auteur conservée par ses héritiers (3).
Annoté de la main de Louise Faure-Favier, cet exemplaire marque d’un trait dans la marge gauche l’évocation de  » Samba Laobé Tiam [sic], un vigoureux et intelligent Ouolof de Saint-Louis, qui dirige un atelier au village sénégalais de l’Esplanade en compagnie de son frère et de son jeune fils.  » Cet artisan est distingué par Rousselot, qui précise que c’est dans la case des Thiam surtout qu’est appréciable  » cette merveille de main-d’œuvre  » que sont  » des canons et chiens de fusils, des poignards et des couteaux, des sabres et des éperons, des chaînes de montres et des clefs, des pendants d’oreilles et des ciseaux ; tout cela avec un marteau et une lime ! « . En effet, comme le précise l’administrateur colonial Georges Hardy dans Une conquête morale, de 1917,  » tous les Thiam […] sont forgerons ou bijoutiers « .
Il ne semble pas possible de mettre une date sur ces traits notés dans la marge. Un ouvrage éducatif peut très bien être revisité dans le but d’une exploitation approfondie des souvenirs retenus d’une première lecture. Un nom et des circonstances empreints d’un certain exotisme sont ainsi fournis, mais rien ne nous autorise à supposer que la grand-mère de la narratrice (dont le prénom, Jeanne, correspond au dernier prénom de l’auteur) soit réellement partie avec le bijoutier pour fonder un foyer mixte au Sénégal, même si l’existence du fils Thiam n’y est nullement un obstacle dans la mentalité de gens libres. Si le mariage heureux de Malvina et de Samba Laobé Thiam ne relève donc que de l’imagination, certes osée pour l’époque, leur fils ne serait qu’un personnage de roman. C’est ce que suppose le descendant de l’auteur, qui ne connaît aucune branche sénégalaise à son arbre généalogique. L’absence de tout document qui prouverait le contraire n’est évidemment une preuve ni dans un sens ni dans l’autre, mais il est normal qu’à partir d’éléments vrais un auteur imagine une trame romanesque vraisemblable… ou même invraisemblable, qui entraîne à sa suite l’imagination du lecteur.
Le premier pilote noir… américain
Il n’est nullement exclu qu’il y a eu des pilotes noirs pendant la première guerre mondiale : on ignore trop souvent qu’un tirailleur sénégalais pouvait avoir le rang d’officier. Une récente monographie sur Kojo Tovalou Houénou le montre cependant sur la couverture portant képi et brassard de la Croix rouge indiquant son statut médical. Robert Randau fait allusion à la possibilité d’une telle promotion pour un personnage de son Chef des porte-plume.
Un cas précis, tiré toutefois du rang des Américains plutôt que de celui des tirailleurs, est porté à notre connaissance par le critique américain Tyler Stovall dans son ouvrage Paris noir (4). Eugène Jacques Bullard, dont le père était d’origine martiniquaise, naquit à Columbus, dans l’État de Géorgie, aux USA, en 1894. À dix ans, séduit par des histoires d’une France exempte de racisme, il embarqua clandestinement sur un navire à destination de l’Europe, arrivant enfin en France en 1913. Après un passage à la Légion étrangère, il servit avec une unité française, se distinguant à Verdun et recevant la Croix de guerre. S’entraînant ensuite comme pilote, il s’attacha en octobre 1916 au Service de l’air français. Stovall nous renseigne que par la suite Bullard devint un as avec le Corps aérien Lafayette, groupe de pilotes américains qui combattit pour la France avant même que, en 1917, les États-Unis n’entrent officiellement en guerre. Pour ses attaques fulgurantes, on le surnommait  » l’Hirondelle noire de la Mort « .
Nous ne savons pas si un tel exemple était connu de Louise Faure-Favier. Nous ne savons pas encore quel ressortissant français noir a été le premier à décrocher son brevet de pilote. Mais la romancière stimule la recherche pour le découvrir et il n’y a pas lieu de douter qu’un jour toute la lumière nécessaire se fera à ce sujet.

Notes
1. Une réédition est en préparation dans la collection  » Autrement mêmes « , éd. L’Harmattan.
2. Voir à ce sujet l’ouvrage collectif du même nom, paru en 2002 aux éditions de La Découverte.
3. Nous les remercions vivement d’avoir fourni l’information concernant ce livre.
4. Paris noir : African-Americans in the city of light, Houghton Mifflin Press, 1996.
Roger Little est professeur émérite de Trinity College Dublin, où il avait occupé la chaire de français la plus ancienne du monde (créée en 1776) de 1979 à 1998. Aujourd’hui, il partage sa vie entre la France et l’Irlande, et dirige chez l’Harmattan la collection  » Autrement Mêmes « , tout en poursuivant ses recherches sur la poésie française moderne et sur la représentation du Noir dans les littératures de langue française.///Article N° : 3908

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