Premier acteur noir à entrer au Français, Georges Aminel vient de disparaître à l’âge de 84 ans. Il faisait partie de ces comédiens sans visage que la télévision a fabriqué dans l’ombre du cinéma américain et de ses stars auxquelles il fallait bien donner des voix françaises. On a oublié les traits de l’acteur, mais le timbre de sa voix est resté dans l’oreille de nombreux spectateurs. Qui ne connaît les chuintements de Gros minet ou la magistrale inflexion de la voix française d’Orson Wells ou de Yule Bryner ? Georges Aminel avait du tempérament et une voix profonde qui traduisait parfaitement sa noblesse d’âme et sa hauteur. Fier et entier, il n’avait fait aucune concession à ce métier, où pendant longtemps les acteurs « basanés » étaient restés limités dans des emplois qui correspondaient à leur couleur, et il préféra, dans les années 70, tirer sa révérence et assumer dans l’ombre le jeu d’un acteur qui donne sa voix, mais dont on ne sait rien de la couleur. Il eut ainsi la carrière paradoxale d’un comédien qui connut les feux de la rampe de la Comédie-Française, mais qui eut le courage de démissionner, plutôt que d’être enfermé dans l’image de l’Autre qu’on voulait lui faire systématiquement jouer.
Né à Clichy en 1922, d’un père martiniquais et d’une mère parisienne, Georges Aminel connaît la notoriété en 1954, quand Yves Jamiaque lui confie le rôle de Bistouri dans Negro Spiritual, le médecin philosophe qui ramène ses frères à la raison, et les empêche de commettre un meurtre, et même si la pièce n’est pas un succès, la critique salue avec enthousiasme sa prestation d’acteur.
Jacques Maline, qui avait pris le nom de Georges Aminel, avait commencé sa carrière dix ans plus tôt en jouant d’abord de petits rôles : ici un Polynésien muet dans Faux jour de Closson au Théâtre de l’Oeuvre (1941), là un vieux nègre illuminé dans Sud de Julien Green au Théâtre de l’Athénée, ou un gentil sauvage dans une robinsonade (Robinson de Supervielle en 1952). Dès ces années-là, Aminel n’hésitera pas à dénoncer dans la presse la difficulté que rencontraient alors les acteurs noirs : « On rejette les gens de couleur parce qu’ils risquent de vous apporter des ennuis. Il n’y a pas de pièce pour eux. Celles qui ont été montées sont tombées à plat. ». (1)
En 1958, Jean Louis Barrault l’engage, il joue dans Le Soulier de satin, La Vie parisienne, Madame Sans-Gêne
En 1963 Pierre Debauche fait appel à lui pour le rôle d’Holopherne dans Judith de Hebbel, qu’il tournera ensuite pour la télévision avec Maurice Garrel, Pierre Arditi et Evelyne Istria, puis Raymond Rouleau lui donne le rôle d’Alexandre de Médicis dans son Lorenzzaccio. Enfin, ce sera le duc d’York dans Henri VI de Shakespeare que Jean-Louis Barrault monte à l’Odéon. Georges Aminel est alors remarqué par Jacques Charon et Maurice Escande qui l’engagent à la Comédie-Française en 1967, où il sera le premier acteur de couleur. Son premier rôle est celui de Picaluga dans L’Emigré de Brisbane de Georges Shéhadé. Il joua ensuite Pyrrhus dans Andromaque, Don Gormas dans Le Cid, Joad dans Athalie. Il fut un extraordinaire Malatesta, en 1970, dans la pièce de Montherlant.
Il tourna aussi au cinéma pour Claude Bernard-Aubert dans Les portes de feu en 1971, à côté d’Annie Cordy et Dany Carrel. Il participa à plusieurs feuilletons populaires à la télévision comme Le Temps des copains ou Comment ne pas épouser un milliardaire.
En 1972, Georges Aminel incarne Oedipe dans une mise en scène de Jean-Paul Roussillon. La pièce est fortement décriée par la critique et on remplace Aminel par Claude Giraud. Bien qu’il fût à quelques jours de devenir sociétaire de la Comédie-Française, George Aminel, démissionna. Déçu par les rôles qu’on lui proposait, il finit par quitter la scène une dizaine d’années plus tard et à se consacrer au doublage. En 1979, avant de renoncer au théâtre, il confiait à Marion Thébaud lors d’un entretien pour le Figaro : « Je suis trop blanc, trop noir, le cheveu trop crépu ou pas assez. Bref, des amis qui me veulent du bien me demandent pourquoi je ne joue pas Othello mais jamais pourquoi je n’interprète pas Macbeth. C’est bien simple, j’ai passé mon temps à me barbouiller et à prendre un accent. Les faits sont là : j’ai débuté dans un rôle de Polynésien muet et depuis je ne compte pas les personnages de chamelier juif, brésilien ou arabe que j’ai endossés. Alors, si parce que mon père est Antillais, je dois toute ma vie incarner des Sud-Américains explosifs ou des Indigènes fanatiques, je préfère arrêter. » (20/06/1979)
1. Le Figaro littéraire, 25 septembre 1967.///Article N° : 5939