André Schwarz Bart est mort le 30 septembre 2006 à Pointe-à-Pitre.
André Schwarz Bart ne sera jamais une étoile morte. Il a insufflé tant de vie dans son écriture, ses amitiés, son histoire et celle de la Guadeloupe que son souffle nous habitera encore et encore. Comment décrire cet homme discret et qui pourtant rayonnait d’une paix intime faite de lucidité, d’humour et d’amour pour les vivants ? Comment expliquer ce détachement apparent qui le reliait aux choses de la vie ? Comment expliquer que sous son front de sage vivait un oiseau philosophe dont le chant éveillait son interlocuteur à une conscience plus haute et à un devoir de générosité.
Sans doute, d’avoir soupesé la souffrance du monde, celle des juifs en particulier, celle des africains et des antillais, l’avait rendu perméable à l’absurdité des dogmes sans l’éloigner d’une sorte de foi en l’existence.
Mais il y avait autre chose : une saisie de l’histoire comme sujet même de nos errances, de nos quêtes impossibles, de notre besoin sauvage de croire en de vaines certitudes. Ainsi va l’humanité, remplaçant comme des vagues incessantes, les utopies meurtrières par de meurtrières utopies. Les guerres humaines ont ceci de particulier qu’elles ne finissent jamais. Elles endossent d’autres uniformes, d’autres cris de ralliement, d’autres drapeaux qu’elles maquillent toujours en bal des idéaux.
Cela André Schwarz Bart le savait et n’étant homme ni à tonner, ni à trompeter, il le murmurait d’une voix douce comme un bijoutier qui pèse des poussières d’or. Une voix qui, de fait, traverse toute son uvre à la manière d’une traînée de lumière tranchant dans l’ombre et le tragique pour accoucher d’une possible espérance.
Le dernier des justes, à juste titre considéré comme le monument qu’il lègue à l’humanité souffrante, témoigne du caractère total de sa vision. Epopée du cur multiplié du monde, spéculation pascalienne où l’infiniment petit côtoie l’immensité, tragédie des juifs, dénonciation des bourreaux, ode spirituelle, ce roman de mille ans ressemble à un conte à cette exception près qu’ici la fiction est la fille de l’histoire.
Tout semblait être dit, d’un seul tenant, avec cette force d’écriture qui fait des mots, des expressions, les serviteurs d’une poétique acérée et limpide et d’une mémoire en feu.
Il lui fallait encore, avec Simone, son épouse, sonder et magnifier les défaites et les fastes de l’identité antillaise. Ce fut Un plat de porc aux bananes vertes, puis La mulâtresse Solitude. Deux romans qui, dans la rareté de l’époque, créaient la légende littéraire de nos siècles. Toujours cette » blessure sacrée » qu’Aimé Césaire nomma, mais sans la racine unique de la négritude. Tournant dos au cri des cales, André et Simone Schwarz-Bart firent se lever le soleil d’une créolité qui n’avait pas encore de nom. Simone allait seule – mais comment être seule aux côtés d’André ? parachever l’innovation en un somptueux Pluie et Vent sur Télumée-Miracle. Une âme collective s’énonçait en revendiquant sa noblesse au moyen d’une langue apaisée et qui sonnait juste.
André Schwarz Bart sembla en veilleuse, avec la bienfaisance d’un juste et l’éclat d’un totem. Il cultivait d’autres rêves dans les bibliothèques. Il entretenait ce salon littéraire naturel qui leur servait de demeure. Il conseillait. Il rayonnait.
Qu’il me soit permis de penser qu’il fut aussi un grand guadeloupéen, sensible à nos convulsions, à nos doutes et parfois surpris par nos raideurs. De sa parole de rivière calme sortait des pépites d’amour et d’humour. C’est cela qu’il me plaît de retenir : par-delà sa délicatesse d’amant respectueux de la Guadeloupe, cet amour immense qui bonifiait le vivre.
Des livres nous restent, étoiles vives, ils n’auront jamais cette densité d’existence qui faisait d’André Schwarz Bart un orfèvre des soleils intérieurs.
Nous apprendrons à vivre désormais avec son autre visage de dernier des justes.
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