Il y a 43 ans, le premier festival mondial des arts nègres !

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Prévu du 1er au 14 décembre 2009, avec pour thème la « Renaissance africaine », le troisième Festival Mondial des Arts Nègres – Fesman – initié par le président Sénégalais Adboulaye Wade, est reporté à une date ultérieure.
Annoncé pour la première fois en 2004 lors de l’inauguration de la 6ème Biennale de Dakar, il n’en est pas à son premier report.
Le Sénégal avait déjà accueilli le premier Fesman en 1966. Le poète Sénégalais Amadou Lamine Sall revient sur cette première édition qui avait marqué les esprits.

S’en souvient-on ? C’était du 1er au 24 avril 1966. Il y a 43 ans. Les travaux du colloque sur le thème L’art nègre dans la vie du peuple et pour le peuple s’étaient ouverts dès le 31 mars, sous le patronage de l’Unesco et de la Société Africaine de Culture. À la droite de Senghor sur la tribune : Alioune Diop. Dans la salle, entre autres présents : Aimé Césaire, Révérend Père Englebert Mveng, Michel Leiris, Amadou Hampaté Ba, Langston Hugues. Les premiers mots inspirés de Senghor, poète et homme d’État, retentirent : (…) votre plus grand mérite, c’est que vous aurez participé à une entreprise bien plus révolutionnaire que l’exploitation du cosmos. Tout était dit et solidement dit, en attendant l’autre voix, celle de l’écrivain et ministre des Affaires culturelles du Général de Gaulle, sans oublier cette autre troisième voix, celle du fils du volcan, l’enfant de la Martinique. Il s’agit bien d’André Malraux et de Césaire Aimé, comme je préfère le nommer par l’ordre alphabétique du cœur. Comme Senghor, tous les deux savaient aussi moudre du diamant dans leurs mots. La rencontre à Dakar des nègres de toutes les couleurs, métis de toutes les ocres, avait comme figé le temps pour célébrer un moment unique de l’humanité, un pacte de son histoire spirituelle et civilisationnelle avec le monde noir.
Le thème du colloque était inscrit à la fois dans l’interrogation et dans la fascination d’un art nègre que le monde des Grands Blancs était venu saluer. Un art qui était invité à retourner vers ses propres producteurs, ses magiciens, ses racines, son peuple noir, pour une prise de parole universelle. Et Sédar de redire : Ni opposition, ni racisme, mais dialogue et complémentarité. L’art européen, ajoute t-il, participe de la civilisation gréco-latine, de la raison discursive, animée par le souffle chrétien. Quant à l’art nègre, ce sont les Européens eux-mêmes qui l’ont découvert et défini. Les Négro-Africains préféraient le vivre. N’ayant donc pu nier l’Art nègre, on a voulu en minimiser l’originalité. Et Sédar d’asséner avec son sens de la provocation :…il a fallu que Rimbaud se réclamât de la Négritude, que Picasso fut ébranlé par un masque baoulé, qu’Apollinaire chantât les fétiches de bois, pour que l’art de l’Occident consentit, après deux mille ans, à l’abandon de la physéôs mimésis : de l’imitation de la nature. Au-delà du colloque, le Festival avait inauguré « l’Exposition d’Art Moderne »: Tendances et Confrontations. C’est de cette exposition et de ce premier face à face avec l’art sénégalais issu de l’Ecole de Dakar, qu’André Malraux est sorti bouleversé, ému jusqu’à la racine des cils. Son verdict fut sans appel : l’art sénégalais participait désormais à l’Art universel. Mieux : il y occupait une place de choix ! L’art traditionnel eut également son exposition avec la présence du Conservateur du British Muséum. Je n’oublie pas l’exposition « Art Nègre » aux pièces rares. L’Empereur Haïlé Sélassié d’Ethiopie était présent aux côtés de Senghor. Malraux nous dit par ailleurs : Ce qui fait la force de l’art nègre, c’est la primauté du pathétique… Prenez entre vos mains ce qui fut l’Afrique. Mais, prenez-le en sachant que vous êtes dans la métamorphose… Est-ce que vous saviez comment vous feriez votre danse ? Est-ce que vous saviez ce que serait le jazz ? Est-ce que vous saviez qu’un jour, ces malheureux fétiches qu’on vendait comme des fagots, couvriraient le monde de leur gloire… ? L’Afrique est assez forte pour créer son propre domaine culturel, celui du présent et celui du passé. Citons aussi la superbe exposition consacrée à « l’Artisanat Vivant » lors du Festival. La Cathédrale de Dakar avait accueilli les récitals de musique sacrée Gospels et Négro Spirituals. Quant aux spectacles, ils furent variés et puissants : le grand et inoubliable Duke Elligton au stadium de Dakar en plein air. Senghor était présent. Le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Gabon, Trinidad et Tobago, le Libéria, le Mali, les Ballets d’Ethiopie, le Togo, le Tchad, le Brésil, le Cameroun, le Niger, la Zambie, le Congo Brazzaville, la Sierra Léone, Tahiti, le Maroc, la Gambie, le Dahomey y donnèrent tous des représentations de toute beauté. Le théâtre fut présent avec des pièces venues du Nigeria, du Sénégal bien sûr avec Les derniers jours de Lat-Dior de Cissé Dia. La France vint avec La tragédie du roi Christophe d’Aimé Césaire et l’inoubliable mise en scène de Jean Marie Serreau. Lucien et Jacqueline Lemoine jouaient dans cette pièce. Découvrant le Sénégal, ils choisiront d’y rester et d’y vivre. Bachir Touré fut remarquable, lui dont le talent explosa lors de la soirée consacrée à la « Nuit de la Poésie Africaine. » Nos pensées aussi à Maurice Sonar Senghor. L’invité d’honneur du Festival était le Nigeria qui offrit une fantastique exposition. Les « Grands Prix » décernés aux lauréats lors du Festival furent également des moments forts, révélant ou confirmant des noms de grands poètes, écrivains et artistes, dont Ousmane Sembène. Le Commissaire National du Festival, Souleymane Sidibé, répond à quelques questions :…les statuts de l’Association du Festival, dont Alioune Diop est le président, prévoient l’organisation biennale d’un Festival. L’organisation matérielle des festivals est une affaire de gouvernements (…) sur l’aide que les pays étrangers ont apporté au Festival, les Etats-Unis ont apporté l’aide la plus importante, tandis que la France est la première sur le continent européen.
Le FESMAN de 1966 n’était pas qu’un simple Festival. C’était la voix d’un siècle.
Il est noble de saluer la volonté politique du 3ème président de la République du Sénégal d’avoir initié et voulu cette 3ème édition encore à Dakar. C’est un projet admirable. La culture est notre famille et tout ce qui la grandit nous élève et nous rassemble. L’exigence de cohérence de l’ensemble, de planification, et la monstruosité de l’organisation d’un tel évènement ont posé les problèmes qui ont conduit à son douloureux 3ème report. Si j’ai tenu à saluer le courage et la volonté politique qui ont d’abord prévalu au lancement d’un tel Festival, à son affirmation, c’est qu’il est loin d’être évident, dans le contexte financier mondial si pourri, et face aux priorités de notre pays englué dans des impasses de survie terrifiante, de tenir un tel évènement plus ouvert à des critiques qu’à des applaudissements. On crie même à l’indécence. Et cela se comprend aisément. Il est d’ailleurs de coutume de faire croire que la culture ne pèse pas lourd face aux priorités de l’économie et des enjeux sociaux. La vérité, est que rien ne tient face à la misère. C’est l’homme la priorité et non l’économie et ses taux de croissance qui ne se mangent pas. Il faut faire cependant ce que l’on a à faire et l’assumer face à l’histoire. Le FESMAN III aurait bien pu se tenir depuis le temps qu’il a été programmé. Il ne faudra pas l’abandonner comme on abandonne un mauvais mari. Le Sénégal a besoin d’être vivant ! Si le Président achève ses chantiers culturels dont le nouveau Grand Théâtre, la Bibliothèque Nationale entre autres, l’histoire retiendra une telle prouesse et la récompensera avec le temps, car les peuples ont besoin de recul, loin de l’agonie. Le nom du Président pourrait être donné à la Bibliothèque Nationale s’il la réalise. Ce ne serait que de l’élégance, au-delà de tout esprit de revanche si cher aux politiques. Je suis si triste pour Abdou Diouf dont pas un seul poteau ne porte le nom dans son pays. Comment y remédier, même s’il n’est demandeur de rien ? C’est la culture qui assure le mieux une présence durable dans l’histoire. Ce qui différencie la culture de la politique, c’est le mensonge. L’échec du FESMAN porterait d’abord le nom du Sénégal et c’est le Sénégal, avant tout, qu’il faut défendre, malgré les clivages. Les défis de 1966 ne sont pas les mêmes que ceux de 2009. Le Festival de 66 célébrait la « liberté reconquise et l’aube d’un temps nouveau ». L’unité de compte était à peine, à cette époque, le million. 43 ans après, on lui demande de célébrer la renaissance africaine et de l’affirmer dans le concret. Prenons donc le temps, 2011 ou 2050, qu’importe, et gagnons tous ensemble le pari du 3ème FESMAN, un jour, de nouveau, dans notre pays, quand il sera plus franc du collier.
Savoir que nous ne pouvons pas réussir pour le moment l’impossible, nous honore !

///Article N° : 8820


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