Indomptables de Thomas Ngijol

Mettez vos ceintures et foncez !

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Présenté à la Quinzaine des cinéastes au festival de Cannes et en sortie le 12 juin 2025 dans les salles françaises, Indomptables de Thomas Ngijol est à la fois un saisissant drame intime et une magnifique introduction au bruit de Yaoundé.

On pourrait penser que l’humoriste camerounais Thomas Ngijol sort de son rôle avec cette sorte de polar réaliste où il se met en scène en commissaire de la section criminelle qui tape sur les malfrats comme il gueule sur ses enfants. En fait, c’est tout le contraire : ce flic antipathique et violent est tellement extrême qu’il en devient risible, d’autant que ses expressions issues du parler camerounais et son accent sont stimulants. Du coup, il en devient intéressant : on attend de mieux pouvoir le cerner, on attend qu’il tombe dans le fossé de ses pratiques. Il n’est pas drôle en soi, même si son jeu ne manque pas de saveur, mais il s’avère honnête, contrairement aux autres policiers. Il agit au nom de la défense de l’ordre et des valeurs traditionnelles. Ngijol interprète remarquablement Zachary Billong, ce personnage complexe et taciturne dont on suit l’enquête qu’il mène de main de maître et sans concessions dans un Cameroun marqué par les précarités autant que par les corruptions. Il va peu à peu prendre conscience et évoluer. Cela donne un film d’antihéros mené tambour battant et très réussi.

Il y a quelque chose de la bande dessinée dans cette approche un peu glauque mais sans cynisme des bas-fonds de Yaoundé. Ngijol pose non seulement des situations mais, avec son chef opérateur Patrick Blossier, une chromie plutôt ocre, en clairs-obscurs et éclairages indirects qui donne une teinte globale à la fois intime et intrigante. Il filme le commissaire Billong de près, en plongée sur les autres personnages, à la fois tendu et dominateur. Cela n’empêche pas le réalisateur de mettre en scène des caractères forts. Il montre combien les femmes ne sont pas en reste, à commencer par celle de Billong qui sait lui résister malgré son obstination et sa fille qui veut jouer au foot.

Librement inspiré du documentaire Un crime à Abidjan de Mosco Levi Boucault (1995), Indomptables constitue de son propre aveu pour Thomas Ngijol une thérapie, une façon d’apaiser sa relation avec son père en le représentant. Comme il l’indique à notre collaborateur Hicham Rami, il tenait à faire œuvre réaliste, non seulement sur Yaoundé mais aussi comment on se débrouille dans la grande ville. Ce patriarche est dans une impasse commune à tant d’hommes, coincé entre son travail et sa famille, entre devoir et éducation. Il assure le pain quotidien et cela lui semble déjà beaucoup. Mais il pourrait se dispenser de faire la leçon à chacun et de chicoter le moindre truand. D’autant que ça se retourne contre lui ! En fait, Billong est un looser, et comme tous les loosers, il essaye de donner le change, de faire comme s’il maîtrisait ce qui lui échappe. Il fonce jusqu’à tomber dans le mur ! Il lui faudra dépasser ce qui lui semble évident pour se laisser bousculer ses défenses.

Tout cela est dans un rythme effréné car un polar à Yaoundé, ça se vit à toute vitesse. On se débrouille au milieu des coupures de courant, de l’incertitude et de l’insécurité. Tout se conjugue pour vous déstabiliser. Le bruit est partout et l’ambiance musicale orchestrée par Dany Synthé le met en mouvement. C’est aussi cet environnement que décrit Ngijol tout en montrant qu’on fait avec quand on n’a pas le choix ! Un voyage de proximité en somme. Mettez vos ceintures et foncez, ça vaut le coup.


Un commentaire

  1. FODI Mahamat Tahir le

    Très beau article. C’est une source d’inspiration pour nous, les jeunes journalistes critiques de cinéma.
    Encore merci

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