Interculturalité et compréhension mutuelle : le français comme facteur d’harmonie entre les peuples

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Invité à participer au 4ème Colloque international chantier sud nord – organisé du 18 au 20 novembre 2009 au Centre de recherches théâtrale international de Biarritz – Mounkaïla Abdo Lawali Serki, directeur national du Livre et de la lecture publique au ministère de la Culture du Niger, a rappelé les fondements de la francophonie sans faire l’impasse des enjeux politiques et des paradoxes auxquels elle est confrontée, peut-être aujourd’hui plus que jamais.

Dans le souci de prévenir les conflits sociaux, la culture au sens général du terme permet à l’individu de se rendre compte de la place de choix qui lui est légitimement dévolue dans la communauté. Cette place est d’autant plus centrale que chaque membre de la communauté est appelé à composer constamment avec l’autre, comme par une sorte de nécessité fonctionnelle.
C’est pleinement conscientes des liens étroits existant entre la culture et la tolérance que les sociétés africaines par exemple ont à juste titre confié à la culture le soin d’aplanir les difficultés susceptibles d’entraver le développement intégral de la personne humaine, dans un cadre social stable et équilibré.
Dans cet ordre d’idées, de très anciens dispositifs traditionnels de prévention, d’adoucissement et de régulation des tensions sociales, mis au point notamment par le biais du phénomène appelé cousinage à plaisanterie au Niger ou relation à plaisanterie au Mali, sont des preuves éloquentes que la culture est au service de la paix, de la cohésion sociale et du progrès socio-économique.
Cependant, aussi importants que soient ces aspects des pratiques culturelles pacifistes en Afrique, nous n’allons pas nous appesantir outre mesure là-dessus. Nous allons plutôt nous appuyer sur le français pour essayer de voir en quoi cette langue peut être un outil privilégié de cohésion et d’harmonie entre les peuples.
Un outil de cohésion et d’harmonie entre les peuples
Comme vous le savez, l’histoire attribue à Onésime Reclus (1837-1916) l’invention du mot francophonie dont la première apparition attestée date de l’année 1880 dans son ouvrage intitulé France, Algérie et colonies :  » Nombre des Français. – Voici quel est, non pas le nombre des gens parlant français, mais celui des hommes parmi lesquels le français règne, en dehors des millions dont il est la langue policée. Ces millions, nous n’en tenons pas compte, non plus que de nos compatriotes dispersés dans tous les lieux du globe, nous négligeons même les six ou sept cent mille Canadiens des Etats-Unis, bien que jusqu’à ce jour ils ne se dénationalisent point et les Louisianais, perdus au milieu des « hétéroglottes ». Nous mettons aussi de côté quatre grands pays, le Sénégal, le Gabon, la Cochinchine, le Cambodge dont l’avenir au point de vue « francophone » est encore très douteux, sauf peut-être pour le Sénégal.
Par contre, nous acceptons comme francophones tous ceux qui sont ou semblent destinés à rester ou à devenir participants de notre langue : Bretons et Basques de France, Arabes et Berbères du Tell dont nous sommes déjà les maîtres. Toutefois, nous n’englobons pas tous les Belges dans la « francophonie », bien que l’avenir des Flamingants soit vraisemblablement d’être un jour des Fransquillons.  » (1)
Le critère de classement retenu était alors moins la position de domination ou de dépendance que la langue quotidiennement utilisée. Au départ, la francophonie désignait donc l’ensemble des aires dans lesquelles était parlée la langue française, avant que cette acception originelle ne subisse une profonde mutation à la faveur de la décolonisation.
Léopold Sédar Senghor aura en particulier le mérite de susciter un regain d’intérêt du concept et de mettre en exergue le formidable outil qu’est la langue française, devenue aujourd’hui non pas la langue des seuls Français, mais celle de quelque 175 millions de locuteurs répartis sur les cinq continents, en septième position après le mandarin, l’hindi, l’anglais, l’espagnol, l’arabe et le portugais (2).
Une communauté de destins
Des créateurs et hommes politiques de divers horizons s’approprieront ce concept pour œuvrer à la construction d’une véritable communauté francophone. Une étape décisive sera même franchie avec la création de l’Agence de Coopération Culturelle et Technique (ACCT) en 1970 à Niamey. Il faut cependant souligner que la francophonie institutionnelle est beaucoup plus récente dans la mesure où elle ne se mettra réellement en place qu’au milieu des années 80. La première Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement des pays ayant en commun l’usage du français s’était en effet tenue en février 1986 à Paris et avait regroupé une quarantaine de délégations autour du Président François Mitterrand. Depuis, le mouvement n’a cessé de se transformer en un ensemble organique de peuples qu’a priori rien ne prédisposait à former une telle communauté de destins.
La symbiose est d’autant plus admirable que ces peuples sont différents de par leurs situations politiques et économiques, leurs références historiques et culturelles. En débarrassant le français d’un certain francocentrisme étriqué, c’est-à-dire en réussissant à en faire un bien commun à tous ceux qui parlent cette langue, la francophonie n’est dès lors plus la sournoise entreprise de domination culturelle que d’aucuns veulent peut-être voir en elle encore aujourd’hui. Bien au contraire, c’est un lieu d’échange et de dialogue permanents où chacun a quelque chose à apporter, un véritable laboratoire de la diversité culturelle pouvant fournir des antidotes efficaces contre certains impacts négatifs de la mondialisation ou, pour parler comme Senghor (3), c’est un formidable « rendez-vous du donner et du recevoir ».
En fait, écrit à juste titre Farhang Rajaee, même  » la mondialisation inclut la diversité car elle permet l’expression spécifique du lieu et de l’identité (…), sans diversité, la conformité et le manque de nouvelles perspectives vont prendre le dessus.  » (4) De par même sa nature, la diversité culturelle va donc de pair avec le respect scrupuleux des droits de l’homme, nonobstant les multiples entraves quelquefois posées par certains Etats pour qui seule l’implacable logique économique semble avoir droit de cité. Loin d’être quelque chose de superflu ou de trivial, la diversité culturelle se fonde sur la multitude de savoirs, de sagesses et de dynamismes dont l’ultime finalité est de contribuer à l’amélioration de la situation matérielle et spirituelle des hommes. Dans ces conditions, est-il acceptable que les services et biens culturels soient froidement considérés au même titre que n’importe quelle marchandise, sans aucun rapport avec les cultures particulières qui en constituent pourtant la source nourricière et dont ils sont les reflets vivants ?
L’unité dans la diversité
A vrai dire si, au plan strictement principiel, la diversité semble plutôt s’inscrire dans la logique même des choses, à l’échelle des rapports réels entre communautés et entre Etats, le respect de la diversité culturelle est loin d’être aussi évident et acquis pour de bon, tant il existe plus que jamais des obstacles quasi-rédhibitoires et une forte tendance à l’uniformisation des cultures, phénomènes inhérents à la mondialisation actuelle. Par exemple les négociations dites du cycle de Doha de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) visent entre autres une libéralisation tous azimuts des services et biens culturels. Pour l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), pareille libéralisation, si les garde-fous nécessaires ne sont pas mis, porterait fatalement atteinte à la diversité culturelle, en particulier pour les pays africains parmi les plus faibles économiquement.
En matière de défense de la diversité culturelle, la Francophonie s’est toujours posée comme une institution avant-gardiste. Ainsi, s’adressant aux membres du Haut Conseil de la Francophonie, le Secrétaire Général de l’Organisation internationale de la Francophonie leur demandait d’être particulièrement audacieux dans les propositions qu’ils auront à faire car, dira-t-il en substance,  » nous avons besoin de cela pour mieux incarner ce message global dont nous sommes porteurs, ce message de diversité, non seulement de ceux qui s’expriment en français, mais aussi de ceux qui sont concernés par la dimension universelle de nos ambitions pour le dialogue des cultures et la paix, pour la diversité culturelle et linguistique « . Et, un peu plus loin, Abdou Diouf d’ajouter à l’endroit des honorables Hauts Conseillers :  » Vous êtes donc fort bien placés pour démontrer la valeur de la langue française, en tant que grande langue internationale de communication. Pour mieux définir l’intérêt de son rayonnement, et préciser le rôle que nous devons lui faire jouer dans ce projet mondialiste incertain, pour qu’elle soit l’outil de l’échange et du partage, du dialogue avec les autres cultures, avec les autres grandes aires géoculturelles notamment, pour relever ce défi majeur que constitue la dimension culturelle de la mondialisation et qui devient à présent un vrai enjeu politique.  » (5) En cette ère de mondialisation presque synonyme de libéralisation débridée des échanges, la diversité culturelle va au-delà de la pure et simple disparité linguistique (aussi importante que soit cette dernière), pour faire entrer étroitement en ligne de compte les inéluctables dimensions économique, sociale et politique.
Aujourd’hui, on peut à juste titre se réjouir que le noble combat engagé par la Francophonie ait porté ses fruits dans la mesure où la 33ème Conférence générale de l’UNESCO, réunie du 3 au 21 octobre 2005 à Paris, a adopté par 148 voix pour, 2 contre (6) et 4 abstentions (7), la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Cet instrument juridique international, entré en vigueur le 18 mars 2007 (8), revêt une extrême importance pour la sphère de la culture. Affirmant que la diversité culturelle doit dorénavant être considérée comme un patrimoine commun de l’humanité, cette convention normative vise non seulement à mettre l’accent sur les rapports dialectiques existant entre culture, développement et dialogue, mais également à élaborer une base solide et équitable en vue d’une coopération culturelle fructueuse et égalitaire entre l’ensemble des Etats parties.
En prenant une part aussi active dans l’aboutissement du processus d’adoption de la Convention, la Francophonie, composée aujourd’hui de près d’une soixantaine d’Etats et Gouvernements ayant le français en partage et soucieux de préserver la spécificité des services et biens culturels dans les échanges internationaux, vient une fois encore de faire preuve de son savoir-faire et de son efficacité sur une question aussi épineuse pour rendre la mondialisation plus humaine, mieux maîtrisée. Selon Dominique Wolton,  » la francophonie est donc une chance pour la mondialisation. Mais la mondialisation est aussi une chance pour la francophonie qui doit s’ouvrir à d’autres horizons. Elle s’articule autour d’une langue, mais porte aussi des valeurs humanistes et démocratiques, auxquelles adhèrent des pays qui ne sont pas nécessairement francophones.  » (Wolton, 2006 : 22) (9) L’unité dans la diversité, cette grande richesse de la francophonie a du reste été au centre du chant « Na’am francophonie » (10) merveilleusement composé par le célèbre artiste nigérien Oumarou Hadary (11), à l’occasion des 5èmes Jeux de la Francophonie que le Niger a eu l’insigne honneur d’abriter du 7 au 17 décembre 2005.
En somme, il ne s’agit nullement de faire l’apologie du français en et pour lui-même, a fortiori de cautionner certains actes hautement condamnables posés par le Gouvernement relativement à la libre circulation des personnes et des biens, principe pourtant si cher à la francophonie institutionnelle. Nous visons plutôt à montrer en quoi la langue française peut constituer un véritable trait d’union entre des peuples qu’a priori rien ne rapproche sinon le partage de cet outil précieux de communication, qui est en même temps porteur de valeurs de solidarité, de cohésion, d’harmonie, etc. Tel a en tout cas été le vœu des pères fondateurs de la francophonie institutionnelle : Léopold Senghor, Diori Hamani, Habib Bourguiba ou encore Norodom Sihanouk.

1. O. Reclus, France, Algérie et colonies, Paris, Hachette, 1880, chap. VI, p. 422.
2. Avec respectivement 1,3 milliard, un milliard, 600 millions, 400 millions et 200 millions de locuteurs pour chacune des deux dernières langues. Ces chiffres sont donnés à partir des statistiques 2004 du Haut Conseil de la Francophonie. Voir D. Wolton, Demain la francophonie, Paris, Flammarion, 2006, pp. 17-18.
3. Selon Pierre Dumont,  » la francophonie senghorienne, concept plus politique que linguistique se trouve, logiquement, au rendez-vous « du donner et du recevoir ». Il s’agit donc (…) d’un projet de civilisation humaine.  » Voir P. Dumont, La Francophonie par les textes, Paris, EDICEF, 1992, p. 121.
4. F. Rajaee, La mondialisation au banc des accusés : la condition humaine et la civilisation de l’information, Ottawa, CRDI, 2001, p. 89.
5. A. Diouf, Allocution prononcée lors de la cérémonie d’ouverture de la session du Haut Conseil de la Francophonie tenue les 19 et 20 janvier 2004 à Paris.
6. États-Unis et Israël.
7. Australie, Honduras, Liberia et Nicaragua.
8. Exactement trois mois après sa ratification par au moins une trentaine d’États membres.
9. D. Wolton, Op. cit., p. 22.
10. Littéralement « Oui, la francophonie ».
11. Monsieur Oumarou Hadary est actuellement Ministre de la Culture de la République du Niger.
///Article N° : 9047

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