Internet, une arme contre la censure

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Les caricaturistes et dessinateurs de presse africains ont trouvé dans le web, un outil efficace pour s’assurer une audience internationale et surtout, une arme de choix pour contourner la censure politique. Des progrès restent à faire mais, définitivement, les temps ont changé.

La réputation de Damien Glez, caricaturiste vedette de l’hebdomadaire satirique burkinabé Le Journal du Jeudi, a dépassé les frontières du pays des hommes intègres. Aujourd’hui, les dessins du Franco-burkinabé, basé à Ouagadougou, se retrouvent dans une vingtaine de parutions africaines, européennes et américaines.
Fini le temps où, pour se faire connaître et espérer être publiés hors du continent, les caricaturistes et dessinateurs de presse africains devaient effectuer un séjour en Europe, à la faveur d’un stage ou d’un festival – le temps où Monsieur Zézé et les Sourire du jour ont fait de 1960 à 1990, les beaux (premiers) jours de la bande dessinée et du dessin de presse en Côte d’Ivoire, sans connaître le succès international que leurs planches auraient mérité. Lacombe (Zézé), et Jess Sah Bi, Stanislas Pépé, Soumaïla Adigun puis Lassane Zohoré (Sourire du jour), n’avaient pour seuls espaces d’expression que l’hebdomadaire ID et le quotidien Fraternité Matin, titres du groupe de presse appartenant à l’Etat ivoirien. De ce fait même, ils en étaient réduits à tourner en dérision le quotidien, les faits de société, sans toucher à la politique et ses acteurs, ni aux sujets qui fâchent, dans un pays encore fermé à la liberté d’expression…
C’est un temps que Damien Glez et ses confrères caricaturistes de la nouvelle génération ne peuvent pas connaître. Si l’avènement du pluralisme politique et médiatique leur a permis de trouver leur place dans une presse en plein printemps – malgré un statut aux contours encore mal définis – c’est définitivement grâce à internet que les acteurs du 9ème art africain sont en train d’acquérir leurs lettres de noblesse. En plus de voir leurs dessins repris dans des journaux comme Courrier International, les dessinateurs de presse sont sollicités pour croquer non plus seulement les événements et personnalités de leurs pays respectifs, mais aussi l’actualité internationale, élargissant ainsi leur champ d’observation et variant du coup leurs prises de position.
Pourtant, à la base, le choix d’internet, pour la presse en ligne comme pour les caricaturistes, obéit en premier au souci de contourner un obstacle majeur au développement des médias africains : la censure.
Une nouvelle ère
1997, Alger. Après la publication d’un article assorti d’une caricature, jugée diffamatoire, le quotidien La Tribune est suspendu, ses locaux mis sous scellés et les auteurs incriminés jetés en prison. Les premiers moments de panique passés, une édition électronique du titre du quotidien est mise en ligne et sert de moyen de pression internationale pour obtenir la libération du rédacteur et du caricaturiste ainsi que la reprise du titre papier… De nombreux épisodes de ce genre émaillent l’histoire récente des médias africains. Mais parce que les caricaturistes, méprisés autant que redoutés, subissent souvent plus violemment l’ire des pouvoirs en place, ils ont été beaucoup plus réactifs face à la déferlante web 2.0 que les journaux dont grand nombre d’entre eux restent employés. Tandis que les titres de presse en sont encore à éditer des journaux en ligne qui ne font que reprendre les informations contenues dans les supports papier (à quand donc les vraies rédactions web ?), il n’est plus rare de trouver un caricaturiste africain tenant son propre blog ou carrément un site web tels Damien Glez (http://www.glez.org/), le Tchadien Adjim Danngar (adjimdanngar.over-blog.net), le Congolais Willy Zekid (http://www.willyzekid.com et willyzekid-bd.over-blog.com), le Gabonais Pahé, probablement le plus irrévérencieux de tous (http://dipoula.paquet.li), le Camerounais Almo the best (http://almoactu.canalblog.com) ou les Malgaches Pov (www.povonline.wordpress.com/publications) et Nary (http://www.nary.africa-web.org/).
Censure technologique
Une visibilité mille fois plus importante, et un champ d’expression totalement sécurisé… ou presque. Car, comme l’illustre tristement la Tunisie, où une centaine de sites locaux et autant de proxies ouvrant sur des sites extérieurs sont bloqués, Internet n’échappe pas à la mainmise d’un pouvoir désireux de contenir l’expression publique quelle qu’elle soit. Les premières victimes de cet acharnement sont les lecteurs, internautes surfant à peine mais déjà frustrés.
Cette censure technologique se traduit de manière plus insidieuse en Algérie, pionnier de l’accès internet dans le monde arabe – dans les années 1980, certaines universités et centres de recherche étaient déjà connectés aux réseaux européens et américains. Depuis, les pouvoirs successifs »peinent » à ouvrir l’accès de la toile aux quatre millions d’internautes (pour 250 000 abonnements véritables sur 33 millions d’habitants). Internautes pour qui « www signifie encore wait, wait, wait », comme l’expliquait, il y a quelques années, un chef d’édition électronique de La Tribune à Alger, tant la qualité des connexions reste à désirer. A ce jeu, les dessinateurs et journaux satiriques en ligne comme le Gri Gri International ou Popoli (Cameroun) s’en tirent plutôt à meilleur compte que les autres journaux en ligne qui continuent de viser un lectorat local.
Auréolés de cette nouvelle audience internationale, les caricaturistes s’organisent pour être encore mieux vus. Et, conscients des problèmes de développement qui minent encore leur continent, profitent de cette renommée pour lancer, à l’exemple de l’association Irondel, organisatrice du Festival de la caricature et de l’humour de Yaoundé (Fescarhy), un projet de formation de caricaturistes qui mettraient leur talent au service des grandes causes comme le sida et les maladies sexuellement transmissibles ou les droits des enfants.

///Article N° : 9080

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