Comment s’organise aujourd’hui la compagnie Rary ?
Depuis 1998, nous sommes dix membres permanents : quatre danseurs, trois danseuses, deux musiciens et moi-même, danseur-chorégraphe. Nous parvenons tant bien que mal à vivre de notre métier grâce à l’école de danse que nous gérons à Tananarive. Nous avons entre 70 et 80 élèves, enfants comme adultes.
Quel est le propos de la pièce « Mpirahlahy Mianala » ?
C’est une pièce que j’ai créée en 2000 pour un festival que nous organisons chaque année à Tananarive, qui rassemble toutes les formes de danse : traditionnelles, hip-hop, contemporaines. Je suis fasciné par l’art de la sculpture. Si je n’étais pas chorégraphe, je serais sans doute sculpteur ou peintre. Dans cette pièce, j’ai joué avec le corps des danseurs comme avec des sculptures qui soudain se mettraient en mouvement. Ce sont aussi des corps que je cherche à rapprocher de la terre, des espèces animales, qu’elles soient terrestres ou aquatiques.
Le titre de la pièce vient d’un proverbe malgache : quand deux frères vont à la chasse, ils doivent s’entraider, l’un porte la sagaie, l’autre le bouclier. « L’union fait la force », c’est aussi la devise de notre compagnie. Nous avons fait le choix d’être ensemble, nous devons être soudés.
L’autre idée force de la pièce, c’est que la vie se présente comme une porte qui s’ouvre et se referme. Une fois passé son seuil, on éprouve une certaine angoisse. Sur scène, j’ai représenté cette porte par un large cadre en bois, qui joue différents rôles au fil de la pièce. Il symbolise par exemple d’autres éléments de la vie quotidienne, comme un taxi brousse. Bref, à travers cette création, j’essaye aussi de montrer la spécificité de Madagascar et de Tananarive.
Comment avez-vous vécu le fait de danser sur la scène du théâtre de Chaillot à Paris ?
Au départ, j’avais peur. La salle et la scène sont vraiment immenses. Je me suis demandé comment nous allions arriver à occuper cette scène. Comment allions-nous parvenir à capter le public, à l’emmener dans notre monde ? Comme je ne danse pas dans cette pièce, je me suis installé à la régie et j’ai demandé aux danseurs de chercher à m’atteindre. Chaillot m’a appris à quel point je pouvais communiquer avec les danseurs, même à distance. Après la première représentation, j’ai été très ému. Je suis allé en coulisses remercier les danseurs de m’avoir représenté, ainsi que la compagnie et par-delà les Malgaches. Quand l’extérieur entend parler de notre pays, c’est généralement au sujet de la pauvreté, du choléra, des criquets, des grèves, ou que sais-je encore. Nous sommes fiers de montrer une autre image de Madagascar.
Vous avez aussi présenté à Paris une création qui ne comporte aucune musique. Pourquoi cette démarche ? Le silence est-il pour vous un gage de contemporanéité ?
C’est une pièce qui vient à un moment bien précis de ma vie de chorégraphe. J’ai toujours été habitué à danser sur un rythme imposé : celui d’une bande son. Puis j’ai rencontré d’autres chorégraphes. J’avais du mal à accepter l’idée que l’on puisse danser sans musique, que l’on puisse proposer son propre rythme, qui vient se superposer ou non à une bande son. Mais au fur et à mesure, en travaillant, j’ai commencé par comprendre, par ressentir ces différents rythmes. Les rencontres que j’ai faites avec d’autres artistes, pas nécessairement danseurs, dans les champs du théâtre, du chant et des arts plastiques ont été déterminantes. J’ai eu envie de tenter l’expérience, de faire une création qui explore, plonge dans ce monde des rythmes intérieurs et d’écoute entre personnes.
La pièce s’intitule « Danse sans musique ». Mais en fait, c’est impossible de danser sans musique. Nous dansons sur des rythmes silencieux, individuels ou collectifs. Nous avons présenté cette pièce au public malgache durant les 4èmes Rencontres chorégraphiques. Contrairement au public étranger, il n’a pas compris notre démarche. C’est vrai qu’elle s’éloigne de nos traditions, qu’elle reflète la rencontre d’univers différents. En cela, oui, elle est contemporaine.
J’accepte de ne pas être tout à fait compris par le public malgache. Pour moi, l’important est de pouvoir lui montrer mon travail, de l’amener à s’interroger, à discuter, à s’ouvrir au monde. Lorsque j’ai débuté, il n’y avait que des Blancs qui assistaient à nos spectacles au Centre culturel français. Aujourd’hui, nous pouvons nous produire à guichet fermé devant un public malgache. Il faut le temps de construire un public
et de l’éduquer.
Qu’attendez-vous des prix que vous avez remportés et de cette tournée en France ?
Le plus important n’est pas d’avoir été primé mais d’avoir la chance de présenter mon travail hors de Madagascar. Ces prix signifient avant tout pour moi que le jury a jugé mon travail suffisamment intéressant et mûr pour être proposé à l’extérieur. Ils nous ont aussi amené une reconnaissance à Madagascar, tant de la part des autorités que de la société civile. Cela nous donne une certaine confiance pour continuer notre travail.
Je suis très heureux de cette tournée et en même temps ce n’est pas facile de quitter comme ça son pays, son travail, les élèves que nous formons à Tana. En France, je ne mange pas la même nourriture que chez moi. Je ne suis pas dans la même condition physique, je n’ai pas la même énergie. Tout ça se ressent dans notre danse. C’est pourquoi présenter notre travail dans notre île reste un moment privilégié. Je ne conçois pas de m’établir hors de Madagascar.
Vous avez entamé un travail de recherche sur la danse contemporaine malgache
Oui, avec l’Académie de la langue malgache, nous travaillons à une notation : comment écrire notre danse contemporaine, notre façon de bouger, nos mouvements qui s’inspirent à la fois de gestuelles traditionnelles et d’ailleurs ? Nous avons répertorié des vocabulaires qui prennent en compte deux dimensions : le placement du corps et l’énergie. A l’heure actuelle, nous en comptons déjà 28. Nous mettons en place ces archives. A terme, nous voudrions produire un livre et une vidéo qui permettront de partager cette recherche et d’échanger sur cette question.
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