Égérie de la mode des années quatre-vingt, Katoucha – disparue depuis le 1er février 2008 – a été l’une des premières à imposer « la beauté noire » sur les podiums de la haute couture internationale. Retour sur son parcours tumultueux à la lumière de son autobiographie Dans ma chair.
Alors que le monde entier célébrait la Journée de la « Tolérance Zéro contre les Mutilations Génitales Féminines », le 6 février, les médias francophones titraient à la une la disparition de Katoucha de son vrai nom, Kadidiatou Niane, fille de l’historien de renom Djibril Tamsir Niane, auteur de « Soundjata l’épopée mandingue » (1). Elle serait tombée à l’eau, à la suite d’une soirée arrosée entre amis, en essayant de regagner sa péniche amarrée au bord de la Seine et qui lui sert de domicile. Le propriétaire du bateau a retrouvé son sac, son portable et sa carte bancaire ainsi que ses lunettes de myope dans la péniche. Depuis le 1er février 2008, Katoucha n’a plus donné signe de vie.Accident par noyade, suicide, meurtre ou enlèvement, les spéculations vont bon train sur celle qui a écrit dans son ouvrage : « Je préfère tirer ma révérence en pleine gloire et réussir ma sortie » (p.176) Son livre « Dans ma chair » est dédié à ses parents et à ses enfants et « à toutes les petites filles d’Afrique », symbole digne du combat qu’elle a mené ces dernières années. Il s’achève par une dédicace de remerciements aux nombreuses amitiés qu’elle a nouées au cours de son parcours de femme du monde.Née en 1960 à Conakry, Guinée Katoucha révèle dans son autobiographie qui a valeur de confession qu’elle a été excisée à l’âge de neuf ans dans sa ville natale par une femme médecin. Cette opération traumatisante va déterminer le cours de sa vie selon le principe que « Les blessures de l’enfance restent des plaies ouvertes. » (p.38) Se remémorant la scène, elle la décrit comme suit : « On dirait qu’on m’arrache les jambes, le ventre, ça monte jusqu’aux bras, la douleur, au cou, à la tête, je hurle, je saigne, mon corps se tord dans tous les sens, je suis morte. » (p.10) Bien qu’issue d’une famille d’intellectuels, sa mère a préféré la « mettre aux normes » (p.13) devançant ainsi les allégations de la famille qui n’aurait pas hésité à la soumettre à ce rituel à l’insu de ses propres parents. « Mais en Afrique’l’autre âge’, la tradition, l’héritage des Anciens, doit être respecté, quelque soit votre condition. Vous pouvez être un bourgeois nanti ou un professeur bardé de diplômes, si vous ne vous pliez pas aux coutumes des aïeux, vous et votre descendance serez mis au ban de la société. » (p.12) Katoucha raconte ses dix premières années passées en Guinée sous le régime dictatorial de Sékou Touré. Son père, recteur de l’université de Conakry, tombe dans la ligne de mire du président avec ses complots tous azimuts et finalement la fuite organisée par les parents pour sauver leur progéniture. C’est ainsi que Katoucha se retrouve seule d’abord au Mali, emportée dans les bagages d’une tante venue en Guinée sous prétexte de soutenir l’équipe nationale du Mali. Une nouvelle ère commence au sein de la famille élargie dans la « grande concession » où vit toute une ruche familiale. La loi du silence prévaut sur les offenses que son « oncle » lui fait subir quotidiennement. Quatre ans plus tard, après une véritable odyssée, la famille Niane, d’origine sénégalaise débarque à Dakar et habite chez Tante Marie, belle-sur de son père. »Mon père retrouve avec bonheur ce pays où il fait bon vivre, modèle de stabilité ethnique. Je découvre pour ma part Dakar, une ville blanche et ensoleillée et les Sénégalais, un peuple gai, gentil et aimant faire la fête. » (p.41) Tante Marie, secrétaire du président de la république, feu Léopold Sédar Senghor est « un distributeur de bonheur et de solutions » (p.41). Katoucha rend un vibrant hommage à cette fervente catholique qui décide de son propre chef de faire scolariser tous ses neveux et nièces dans les prestigieuses institutions religieuses que sont Ste Jeanne d’Arc et la Cathédrale. Le Président-Poète créé la fondation Senghor et offre ainsi au célèbre historien, Djibril Tamsir Niane, la possibilité de mettre ses compétences au service de son pays d’origine. Il déménage dans un premier temps dans la fondation qui devient son logis et son lieu de travail. Katoucha, jeune fille délurée, raconte avec beaucoup de franchise ses frasques et comment elle parvient à déjouer la surveillance rigoureuse de ses parents. Elle fait une fugue après l’autre, l’école buissonnière et recrée le monde à la mesure de ses fantasmes. Elle se réfugie un temps sur l’île de Gorée. Avec une bande de copains, elle va à la découverte du Sénégal profond : »Avec Moko et Alain, un sang-mêlé franco-sénégalais, nous partons nombreux, parfois à douze, sillonner les routes et les pistes, nous baigner dans l’océan tumultueux de la plage Malika » (p.55)A dix-sept ans, Katoucha se retrouve enceinte, elle se marie par procuration au père de son enfant afin de pouvoir baptiser sa petite fille, Amy, selon la coutume musulmane. Ce dernier poursuit ses études en Europe. Amoureuse d’Alain (2), le couple décide de quitter le Sénégal, car Katoucha ne rêve que de devenir mannequin à Paris surtout depuis qu’un magazine noir américain l’a photographiée pour la couverture d’ « Essence Magazine » au grand dam de ses parents. « À nous deux Paris » (p.71) paraphrasant Rastignac, elle réussit quatre mois après son arrivée à entrer dans le temple de la mode. Le monde féerique des paillettes, cet univers magique du glamour lui ouvre ses portes en octobre 1980 à la suite d’un défilé de mode organisé par Thierry Mugler. Top-model, elle devient l’égérie des grandes maisons de couture comme Azzedine Alaïa, Christian Lacroix, Givenchy, Chanel, Dior. Paco Rabanne, son premier mécène, l’encourage à poursuivre sa carrière auprès du « number one » qu’est Yves Saint-Laurent « Monsieur » dont elle deviendra l’icône. De Paris à New York, de Singapour à Marrakech, de Tokyo à Niamey, de galas en galas pour des causes humanitaires, ou de grands événements internationaux, comme le défilé de clôture du Mondial du football en 1998 à Paris, sa carrière prend une dimension internationale. « Je suis fière d’exporter au-delà des frontières l’image d’une nouvelle femme noire. » (p.90) Sa vie est ponctuée par la naissance de ses deux autres enfants, Alexandre et Aïden des mariages et des divorces, une suite de délires, de liaisons, de trahisons, des drames personnels comme l’assassinat de son associé commercial par la mafia russe lui font chercher refuge auprès de Bacchus, dieu de la vigne. A force de boire des petits coups, on se laisse envahir, dépasser par ces breuvages réconfortants. J’ai fini par tomber dedans, basculant dans le piège de la démesure, dans l’ère des excès. Mais tout cela, c’est fini » (p.179) Cette vie trépidante et artificielle engendre chez l’auteur un sentiment d’autodestruction. Avec la Somalienne Iman, La Jamaïcaine Naomi Campbell, la Soudanaise Alec Wek, et la Burundaise princesse Esther Kamatari, son amie, « Katoucha, la princesse peule » inaugurent l’ère du « black is beautiful » ou la « garde noire ». Les premiers mannequins noirs et métis sont très recherchés par les grands créateurs de mode. « La princesse d’Ébène » côtoie les célébrités qui fraient dans cet univers de la création comme Alphadi, Karl Lagerfeld, Carla Bruni etc. mais aussi le Paris by night avec ses nuits chaudes où le champagne coule à flots et les drogues circulent allègrement. »Les grands mannequins vivent comme des divas, voyagent en première classe ou en jet privé, se déplacent en berline ou en limousine, logent dans des endroits de rêve. Un aréopage de chauffeurs, d’habilleuses et de coiffeurs virevolte autour de nous. On nous met dans la main un verre que nous n’avons même pas eu besoin de demander » (p.143) Ses actions caritatives reflètent sa beauté physique. Lors d’une récente interview, Katoucha a évoqué le vu de créer des villages d’enfants destinés à recueillir et prendre en charge les orphelins et les enfants de la rue. Elle a soutenu Miss France 2000, Sonia Rolland, originaire du Rwanda pour la création de villages d’enfants, victimes du génocide de 1994 dans le cadre du projet « Maisha Africa ». Au mois de décembre 2007, elle a été l’actrice principale du film « Ramata » adapté du best-seller d’Abbas Dione. Le tournage a eu lieu à Dakar et s’est achevé en fin décembre 2007. Toute sa vie, Katoucha a mis en pratique un proverbe africain : »J’ai les mains longues pour prendre l’argent, mais les phalanges espacées pour le laisser partir. » (p.103) Dévouée, elle donne sans compter. Elle fait preuve de générosité, non seulement à l’égard de sa famille dont elle prend en charge les études de ses frères et de sa sur en France mais aussi de nombreux membres de la communauté noire à Paris. Elle devient ainsi marraine de tous les futurs mannequins qui débarquent en France. Ces dernières par respect la nomment « Mam » (p.102). Katoucha a essayé de promouvoir le respect de la dignité et de la liberté des femmes Noires en formant la relève des mannequins. Elle a fait défiler ses « anciennes consurs Noires » à Paris en 2003 dont son amie intime Esther Kamathari. Elle a associé de jeunes débutantes en organisant des défilés en Afrique qui avaient pour but de créer des hôpitaux dans des régions démunies. Katoucha se réconcilie avec elle-même et envisage son retour en Afrique à la recherche de son moi profond, bien qu’à Paris, elle affirme vivre « à la sénégalaise ». »Au Sénégal, elle va retrouver ses racines car, si on oublie d’où on vient, on n’est rien. » (p.181). En 2005, elle est membre du jury de l’émission de la chaîne M6 « Top Model », Katoucha a pour fonction de guider et conseiller les nouvelles recrues, candidates au mannequinât. A la suite de cette émission, elle fonde à Dakar « Ebene Top Model » qui a pour but d’offrir aux jeunes filles noires et métisses qui veulent embrasser une carrière de Top Model, l’occasion de bien s’y préparer. Le travail de mannequin n’est pas synonyme de commerce horizontal et n’a rien à voir avec la prostitution, c’est encore ce qu’elle martelait à Ouagadougou lors d’une interview. Il exige ? outre la passion pour ce métier une discipline et une force de caractère pour ne pas tomber dans l’excès que procurent les nombreuses soirées avec ses virées nocturnes, ses éblouissements et ses paradis artificiels. Reines du podium international, les mannequins noirs et métis sont les ambassadrices du Continent et de la Diaspora.En ces heures d’inquiétude où la disparition mystérieuse de la « Princesse Peule » fait la une des médias, nous partageons l’angoisse de sa famille, de ses proches et de tous ceux qui l’ont connue et aimée. Katoucha s’est engagée à assurer la relève des mannequins Noirs et à combattre l’excision, ce fléau qui cause aujourd’hui encore des ravages dans les populations féminines d’Afrique.
1. Djibril Tamsir. Soundjata ou l’épopée mandingue. Paris : Présence Africaine 1961. « Djibril Tamsir Niane ou le récit historique ».in Écrivains Africains et Identités culturelles. Entretiens. Tuebingen : Editions Stauffenburg Verlag Ici pp.94-102.
2. Huit ans plus tard Me Mame Bassine Niang, avocate et actuel Ministre aux Droits de l’Homme du Sénégal parviendra à entamer sa procédure de divorce (p.113)
Katoucha, Dans ma chair, Paris : Michel Lafon 2007. 325p.
Katoucha a créé sa propre association : Kplce (Katoucha pour la lutte contre l’excision). Le but de cette organisation non gouvernementale est de lutter contre l’excision.Dr. Pierrette Herzberger-Fofana est professeur et conseillère Municipale en Allemagne
Katoucha, Dans ma chair, Paris : Michel Lafon 2007. 325p.
Katoucha a créé sa propre association : Kplce (Katoucha pour la lutte contre l’excision). Le but de cette organisation non gouvernementale est de lutter contre l’excision.
Publications : Écrivains Africains et Identités Culturelles. Entretiens. Tuebingen : Éditions Stauffenburg Verlag 1989, 128p
Distinction : « Kwanzaa Award » d’Africa Network. Evanston. USA.
Littérature Féminine Francophone suivi d’un Dictionnaire des Romancières.
Paris 2001, 570p. Grand Prix du Président de la République pour les Sciences.Dakar 30.6. 2003 compte rendu de lecture africultures.com, www.afrology.com, wwwrenaf.org/rdc.
« Les Mutilations Génitales Féminines MGF » in www.afrology.com rubrique société, www.arts.uwa.edu.au/AFLIT/MGF1.html université de Perth.Australie.
Compte rendu de lecture d’Écrivains Africains et Identités Culturelles sur africultures.com, www.minorites.org www.renaf.org/RDC www.afrology.com///Article N° : 7369