« Une aventure inédite en télévision » ! C’est la grosse machine : dossiers de presse onéreux, grande médiatisation, affichage de grandes intentions, album spécial de Mory Kanté… Canal+ finance quatre documentaires de 90 minutes pour suivre sur trois ans des actions de terrain en Guinée-Conakry qui devraient soutenir le développement durable de la ville de Kindia et de ses environs. Le premier de ces documentaires est programmé le mardi 20 novembre.
Pourquoi cracher dans la soupe ? Si Canal+ a de bonnes intentions, tant mieux pour la région de Kindia et ses habitants ! Les actions s’appuient sur des ONG reconnues et agissantes, tout à fait sérieuses et présentes sur le terrain. Le premier documentaire explique très pédagogiquement les tenants et les aboutissements, les enjeux à l’uvre autant que les difficultés à surmonter.
Pourquoi la Guinée ? Un régime politique qui s’est relativement stabilisé, des ONG françaises très présentes dans une panoplie de problématiques tant environnementales ou sanitaires qu’urbaines ou agricoles, une région clef puisque Kindia est la capitale maraîchère du pays.
La dimension écologique est première : défendre un écosystème en perdition (les mangroves décimées par la déforestation pour la cuisson des saumures pour recueillir le sel) alors qu’un système d’évaporation sur bâches plastique développé par les paludiers d’Univers-sel de Guérande préserve l’écologie et est plus efficace. Mais c’est aussi l’assainissement urbain qui est prioritaire, le retraitement des déchets à Kindia (250 000 habitants) étant encore « anarchique » (et pourtant très logique, objet de petits profits par la revente aux paysans, mais sans tri préalable) : Kindia va se mettre au tri sélectif ! Ou bien l’éducation : l’Unicef va construire 18 écoles. L’accès à l’eau potable est également au programme avec la réhabilitation des sources et la mobilisation des habitants. L’Ong Opals va en outre rénover et équiper 14 centres de santé et 32 postes avancés en brousse, et en former le personnel.
Tout cela est magnifique à première vue : haut les curs. Les documentaires exploreront les réussites et les obstacles et tiendront les généreux donateurs au courant. Idéalement, la France entière, du moins les abonnés de Canal+, se mobiliseront pour la Guinée et suivront les avancées des projets. Le commentaire du premier documentaire est éloquent : on expose les problèmes sur le mode « regardez comme c’est terrible : tout est à refaire » et les actions à venir sur le mode « c’est la solution », toujours technique et encadrée par les bons Blancs. On retrouve là, pour reprendre l’expression d’Achille Mbembe, une « idéologie vicieuse qui promeut une vision de l’Afrique comme d’une tabula rasa, un continent condamné et sans espoir, attendant d’être secouru et « sauvé » (cf. [entretien n°9028]). L’enjeu de Kindia 2015 serait dès lors, non de « sauver » les habitants de Kindia (qui ont certes comme partout des difficultés bien réelles à résoudre) mais de sortir de la conception selon laquelle les Africains ne sont « qu’estomac vide et corps nu attendant d’être nourri, vêtu, soigné ou logé », comme le dit encore Mbembe. En somme de mettre en place une nouvelle éthique du développement basée sur la reconnaissance, la solidarité et la réciprocité.
Ne pourrions-nous sortir de la vision d’une Afrique dépouillée et sans ressources dont les conditions de développement seront toujours dictées par l’extérieur ? Kindia 2015, qui s’appuie sur des ONG qui connaissent bien les problèmes, n’est pas forcément à remettre en cause en tant qu’action, mais c’est bien sa médiatisation à travers la communication de Canal+ et les documentaires qui est à regarder de près : savoir si elle saura dépasser cette vision humanitaire pour progresser vers un véritable partenariat avec les forces locales. Si tout le problème exposé revient à savoir comment faire pour que les populations adoptent les solutions proposées par les ONG, c’est faire fi de la capacité des Africains à s’imposer en développant, en partenariat, leurs propres solutions.
Cela suppose de sortir de la logique qui guide la présentation de Kindia 2015 et qui transparaît dans les commentaires du documentaire : des « héros » qui vont triompher des résistances locales. C’est bien sûr là toute la philosophie de la coopération qui est en cause.
Le financement du projet s’appuie sur un appel aux dons des particuliers. Canal+ s’engage à apporter la somme égale aux dons réunis, pour atteindre 4 millions d’euros. C’est le Téléthon de Canal+ : le risque des grandes actions humanitaires d’échelle nationale est de décourager les dons envers les petites associations, mais surtout la relation qui va avec. N’est-ce pas dans les rapports étroits et incertains posés entre partenaires de cultures différentes qu’on apprend à se connaître et se respecter ?
Le prochain voyage des réalisateurs, Anthony Orliange et François Bergeron, est prévu pour février 2013. A suivre, donc.
www.canalplus.fr/kindia2015///Article N° : 11132