À première vue, le Maroc peut passer pour un pays où la bande dessinée est reine : le pays abrite plusieurs festivals de bande dessinée (Tétouan, Kénitra, Casablanca) et compte à l’Institut National des beaux-arts de Tétouan, la seule filière BD de tout le continent africain.
Malheureusement, la production de BD au niveau local ou dans la diaspora reste faible et la BD reste un genre mineur au Maroc, malgré quelques récentes tentatives isolées. Tour d’horizon d’un art qui ne s’est pas encore imposé dans la société marocaine.
Le Maroc est l’un des très rares pays africains où la BD a servi de relais à des témoignages dénonçant des atteintes aux droits de l’homme et des exactions des forces de police et de sécurité.
En Afrique, si les dessinateurs de presse et caricaturistes ne s’en privent pas, les bédéistes sont en général plus discrets et attendent le plus souvent d’être en exil pour témoigner. Tel n’est pas le cas de Abdelaziz Mouride qui, en 2000, publie On affame bien les rats ! (Éditions Tarik et Éditions Paris Méditerranée), témoignage poignant de ce que furent les années de plomb au Maroc. Dans la pénombre de sa cellule, l’auteur, membre fondateur du courant d’extrême gauche 23 mars, a dessiné jour après jour toutes les étapes de sa longue et traumatisante détention. En 2004, Abdelaziz Mouride publie Le coiffeur (Éditions Nouiga), chronique douce-amère d’un salon de coiffure pour hommes dans un quartier populaire du Casablanca des années 70. Le propos est plus léger que dans son précédent album mais la critique sociale et politique affleure à chaque planche. Poursuivant sa démarche, Mouride travaille actuellement à une adaptation du roman de Mohamed Choukri, Le pain nu. Professeur aux beaux-arts de Casablanca, il a également lancé le magazine Bled’Art, premier journal de BD du pays, qui a malheureusement disparu après quelques numéros.
Autre témoignage desannées de plomb, celui de Mohammed Nadrani dans Les sarcophages du complexe : disparitions forcées de (éditions Al Ayam. 2005) qui, avec un style plus naïf, revient sur cette période et son lot de prisonniers politiques. L’auteur a été incarcéré dans un centre de détention connu sous le nom de « Complexe de Rabat ». D’où le titre de la BD, associant les pénibles conditions d’incarcération des jeunes militants des années 1970 à des sarcophages.
La bande dessinée a également été utilisée à des fins patrimoniales, en vue de raconter la culture et l’histoire du pays et d’en dessiner ses figures émergentes.
Ce fut le cas en 1979, avec Il était une fois
Hassan II (de Serge Saint-Michel, Bernard Duffosé et Philippe Sternis. Éditions Fayolle) qui relève cependant de l’album panégyrique.
En 1993, la trilogie Histoire du Maroc en bandes dessinées (de Ahmed Nouaiti, Wajdi et Mohamed Maazouzi) évoquait l’histoire nationale de la préhistoire à 1961.
En 2004, l’Institut Royal de la culture amazighe publiait la première BD en langue berbère, intitulée Tagellit nayt ufella (La reine des hauteurs) qui raconte les aventures d’une jeune reine luttant contre les forces du mal pour protéger son peuple. L’objectif premier de cet album d’une vingtaine de pages, réalisé par Meryem Demnati, était d’aider à la promotion de la langue et de la culture amazighe.
Mohamed Nadrani a sorti en 2007 un second ouvrage où il se penche sur un pan récent de l’histoire marocaine : la guerre du Rif. Cet album, L’émir Ben Abdelkrim est sorti en deux versions, arabe et française.
Enfin, le nouveau code de la famille a fait l’objet d’une adaptation bilingue (arabe dialectal et français) intitulée Raconte moi la nouvelle moudawana afin de le rendre plus accessible à la population aussi bien résidente au pays qu’immigrée.
D’autres productions sont également à remarquer comme celles de Jean François Chanson qui publie en 2006, Maroc fatal (Éditions Nouiga). L’album est constitué de quatre nouvelles racontant le destin singulier de marocains et leur rencontre souvent violente avec la mort. Le titre est un clin d’il au célèbre « Major fatal » de Moebius. Ces histoires en noir et blanc n’hésitent pas à évoquer des thèmes dérangeants comme le hrig, les problèmes de prostitution, l’alcoolisme, les nouveaux rapports hommes-femmes, les tensions arabo-amazighes ou la corruption policière. Une des nouvelles, « Destins Symétriques », croise les destins similaires d’un occidental et d’un marrakchi. En arabe et en français, le récit est organisé en miroir, jouant sur les sens convergents de lecture des deux langues. L’auteur est en préparation d’un nouvel album, suite de « Maroc fatal », intitulé « Nouvelles maures », qui devrait sortir en juin 2008 aux éditions Nouiga.
L’Hadj Belaïd de Larbi Babahadi (Éditions Sapress, 2008) relate l’incroyable destin du chanteur marocain L’haj Belaïd, devenu une légende dans son pays. Après de nombreux petits boulots, le souissi décide un jour de se consacrer à sa passion : la musique. Il se lance en chantant l’amour et la beauté des femmes, et devient bientôt une célébrité, apprécié de Lyautey et de Mohammed V. Il enregistre de nombreux disques avec le label français Pathé Marconi. Il s’éteint en 1946 et ses chansons sont souvent reprises par la jeune scène musicale marocaine. Ce premier album au dessin simple et efficace est une réussite. Les textes sont en français, amazighe et arabe. L’auteur prépare avec son frère d’un nouvel album « Les racines d’Argania » portant sur la partie marocaine de la mythologie grecque.
L’agence pour l’aménagement de la vallée du Bouregreg a sorti, il y a peu, un album « Tempête sur le Bouregreg » (Dessins : Hassan Manaoui. Scénario : Miloudi Nouiga) pour expliquer aux plus jeunes leurs travaux qui vont profondément modifier les villes de Rabat et de Salé. Miloudi Nouiga a réalisé un album « Les objectifs du millénaire. » sur les droits des enfants au Maroc pour le PNUD en 2006. Ces deux albums ont été distribués gratuitement aux écoles marocaines par ces institutions.
Enfin, les étudiants de l’Institut royal des beaux-arts de Tétouan qui publiaient leurs travaux au début des années 2000, au sein du magazine Chouf, disparu depuis, ont récemment récidivé avec un fanzine en ligne, Livre, dont deux numéros sont déjà parus sur Internet. »
À l’étranger, peu de professionnels marocains se sont fait remarquer dans le milieu du 9ème art. On peut citer Youssef Daoudi, qui a terminé en septembre 2007 Sueur aux tripes le dernier volume qui complète La vie est dégueulasse (2005) et Le soleil n’est pas pour nous (2006) ; les deux premiers tomes de La trilogie noire de Léo Mallet, sur un scénario de Bonnifay (éditions Casterman). Installé et publié en Europe, il était dessinateur de presse pour La vie économique de 1995 à 1997 sous le nom de « Yozip ». Atif Khaled est diplômé de l’Institut de la Bande dessinée d’Angoulême. Il a publié entre 2005 et 2007 les trois tomes des Chroniques de Centrum (Soleil Édition), adaptation du roman de Jean Pierre Andrevon qui en assuré le scénario. Il a également dessiné le tome 8 de la série Kookaburra Universe, (2007).
Othman Berrada, jeune dessinateur débutant, serait en train de travailler sur un scénario de Trondheim. Avant de faire une école d’art en France, il a fait les beaux jours du journal scolaire Carpe Diem lors de son passage au lycée Descartes de Rabat.
Signalons encore d’autres dessinateurs en lien avec le Maroc : Daphné Collignon, auteur de Coelacanthes (2 tomes) et de Le rêve de pierres (avec I. Dethan, aux éditions Vents d’Ouest) réside au Maroc. Patrick Morin a décroché le premier prix « jeune talent » au dernier festival d’Angoulême avec une BD humoristique sur le Maroc qu’il connaît bien.
Les talents existent, les envies ne manquent pas. Certains éditeurs comme, Miloudi Nouiga, aimeraient publier plus de BD, mais l’absence de marché réel empêche tout développement prévisible du 9ème art dans le pays. La solution passerait sans doute par la production d’ouvrages en noir et blanc, à couverture souple, diffusés hors des réseaux traditionnels du livre.
NB : La prochaine édition du festival de BD de Tétouan aura lieu du 28 au 31 mai 2008 et celui de Kénitra du 10 au 12 juillet 2008///Article N° : 7545