La nouvelle vie du livre à Brazzaville

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Les guerres civiles ont contribué à favoriser la popularisation du livre. A quelque chose malheur est bon. Cynisme bon marché sûrement. Mais on ne peut fermer les yeux devant ce phénomène-là survenu aux environs des années 90, aggravé par les guerres. Le pillage des maisons a entraîné un marché du livre. Marché de proximité. Prix bas. On peut marchander à l’envi. Le livre est sorti de ses boutiques propres et bien achalandées, on le vend à présent par terre, au coin d’une rue, sur une place publique, créant ainsi une activité lucrative pour les jeunes « marginalisés ».

Hardos, c’est moi. Je suis électricien. Je suis arrivé à Bacongo je ne sais trop comment. Cela fait trois mois que je partage avec des amis une pièce de 9 m2 à l’église Saint-Pierre Claver. Le père a vidé toutes ses économies à nous nourrir. Il nous a dit de nous débrouiller. J’ai commencé par vendre du riz, du lait et du sucre que Lamy, un ami qui me donne un coup de main dans une association humanitaire, piquait pour nous. Une manière de se venger contre un salaire humanitaire.
Ensuite Ferdinand m’a emmené à la morgue municipale. Mille francs le macchabée. Vingt à trente mille francs par jour. Une bouteille de whisky. Un paquet de cigarettes. J’ai arrêté le jour où le « Dragons » sont venus jeter façon-façon une centaine de colis déchiquetés. Fallait trier. Ici les femmes. Là les hommes. Là-bas les enfants. Qui je vois ? Herman. Mon frère Herman. Même père, même mère. Ah la guerre, c’est couillon !
Maintenant je vends des livres à même le sol sur les trottoirs de l’avenue Matsoua. Les « Tigres » nous vendent le kilo à cent francs. Ils pèsent à la main. Parfois ils nous font crédit.
Moi je revendais les gros livres à 1000 francs l’unité, les moyens à 500 francs et les petits à 200 francs. Les journaux et les livres d’écoliers à 50 francs le tas.
Quand Dom Fekka est arrivé, il m’a conseillé de vendre par « thème », m’a-t-il dit.
Moi j’écoute beaucoup Dom Fekka car lui avait terminé ses études là-bas en France.
Ici, il a mis les livres de Dieu. Là les livres des amoureux. A côté les livres des écoliers et les journaux et ainsi de suite.
– Qui achète les livres de Dieu ?
– Les hommes politiques.
-Qui achète les livres des amoureux ?
– Les militaires.
– Qui achète les livres politiques ?
– Les mamans qui vendent au marché.
– Et qui achète les livres d’écoliers ?
– Personne puisque l’école est morte.

Nicolas Bissi est metteur en scène et animateur culturel.///Article N° : 2111

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