Auteur d’une thèse soutenue en décembre 2004 sur « La presse satirique en Afrique », Souleymane Bah a choisi parmi une multitude de titres cinq journaux qui ont émergé par leur pérennité et leur liberté de ton. Leur itinéraire est inextricablement lié à l’évolution du dessin de presse sur le continent.
Trois d’entre eux (Le Lynx, Le Journal du jeudi et Le Cafard libéré, ce dernier ne paraissant plus) sont des hebdomadaires enracinés dans un socle national, même si l’actualité internationale, et africaine en particulier, lorsqu’elle se fait brûlante, s’y trouve traitée. Les deux autres (Le Gri-Gri International et Le Marabout) traitent de l’actualité internationale, africaine en particulier : le premier est un « quinzomadaire panafricain » qui paraissait toutes les deux semaines pour rendre compte des points forts de l’évolution politique du continent avant de continuer sa carrière sur internet et à la radio sur Tropiques FM ; le second est un mensuel qui se définissait comme le satirique africain mais qui dût arrêter de paraître au bout d’un an d’existence.
Le Politicien fut la première aventure de presse satirique en Afrique de l’Ouest. Son fondateur, Mame Less Dia, dès le début du journal, entretient un lien étroit avec la presse française, en particulier avec le journal qui se rapprochait le plus de lui, notamment dans l’utilisation de la satire. En effet, dans son projet fondateur, Le Politicien est conçu en référence au Canard enchaîné qui devient ainsi le père putatif du satirique sénégalais. Il recevra, d’ailleurs, un appui technique franc et régulier du volatile français. C’est un projet novateur qui gagne du succès. Le journal satirique connaît une évolution qui durera jusqu’en 1987.
Cette année apporte une crise financière au sein de la rédaction du Politicien, favorisant le licenciement de certains journalistes. Parmi eux, Sada Traoré. Celui-ci, voulant rester journaliste satirique, décide, avec ses confrères déchus, de fonder un nouveau journal. Ils l’appelleront : Le Cafard libéré.
A partir de cet instant, Le Politicien faiblit, ne paraissant que de manière sporadique. Pendant ce temps, Le Cafard libéré entame et trace son chemin dans le paysage médiatique sénégalais. Il commence par être un bi-hebdomadaire (dans les kiosques, le mercredi et le vendredi) pour ne plus sortir que le mercredi. Le satirique s’est imposé dans le quotidien des Sénégalais dans une logique qui lui sied : « Le Cafard, ça tire dans tous les sens et ne satire pas l’ennui« , pouvait-on lire, sous la plume du caricaturiste, sur le tableau noir de la salle de rédaction.
Ce nom rappelle une particularité de la bestiole : le cafard est connu pour son habilité à se faufiler partout, surtout lorsqu’il possède une certaine liberté. Mais le verbe « cafarder », signifie dénoncer, moucharder. Si l’expression renvoie à un comportement de bassesse, de sournoiserie, le satirique qui se l’approprie l’anoblit en lui affectant une caractéristique justicière. Ici il s’agit de dénoncer la bassesse des hommes, en espérant la corriger.
C’est à Blaise Compaoré, avec le Front Populaire, que revient le mérite de l’engagement du Burkina Faso dans la voie de la démocratie et du multipartisme en 1991. Création de partis politiques, nouvelle constitution, cette nouvelle ère consacre, comme dans beaucoup de pays africains, en ce début des années 90, la liberté d’opinion et d’expression. Une atmosphère propice pour l’abreuvement aux sources de l’actualité d’un animal sahélien, qui se donne la noble mission d’ouvrir les yeux sur sa société et de dénoncer, sous couvert humoristique (il faut rappeler que le journal n’est pas satirique au départ), les écarts de la vie publique : un hebdomadaire qui choisit un dromadaire comme mascotte et s’appellera le Journal du Jeudi.
Il n’y a aucune ambiguïté possible quant à la signification de son nom : il paraît le jeudi, alors il ne pouvait s’appeler que Le Journal du jeudi. Le choix est aussi lié à une stratégie d’ordre commercial, et surtout mnémotechnique, selon le rédacteur en chef. Il joue sur la typographie en esquissant une plume (au bout de la lettre l du mot journal) afin de rappeler le principe élémentaire du journalisme qui est celui de l’écriture (le point sur le i du mot jeudi est une goutte d’encre qui tombe de la plume).
Puisqu’il n’a pas choisi d’emprunter le nom d’un animal pour se nommer, il se l’approprie et décline son premier jeu de mots en proposant un néologisme résultant de la contraction entre hebdomadaire et dromadaire. Ce qui donne la définition suivante : « hebdromadaire satirique burkinabé« .
Cet animal sahélien est connu pour sa capacité à parcourir des longues distances. Le journal veut ainsi rappeler les difficultés liées à la dénonciation des entorses à la norme, un combat de longue haleine qu’il entend mener.
Le journal compte dix rubriques en un petit format de douze pages : la rubrique Moi Goama pose clairement la question de l’oraliture ; Digest traite l’actualité politique nationale, sous une forme courte et concentrée ; c’est aussi ici qu’on peut régulièrement lire l’éditorial sous le titre Appelez-moi JJ : un éditorial qui n’est jamais signé par un journaliste en particulier, si ce n’est par le dromadaire qui apparaît en tête du « papier » en exhibant sa plume (on retrouve d’ailleurs le même dispositif dans Le Marabout) ; la rubrique d’humeur MEGD’alors, (qui devient MERD’alors dans Le Marabout) ; la rubrique Média culpa, dédiée à un traitement caustique des médias ; Judas est également caustique, Fasomètre donne la température du Burkina à la manière d’un baromètre, avec un regard attentif aux personnalités politiques à travers le biais En panne / En forme pour fustiger ou applaudir des propos tenus dans la semaine ; et enfin les rubriques habituelles de la presse telles que Le Monde en bref, Etranger, Jeux.
Créé au Burkina Faso en août 1991, Le Journal du Jeudi se donne pour mission le traitement de l’actualité politique, sociale et économique, nationale et internationale. Le financement de son travail vient principalement de ses ventes, et dans une moindre mesure des recettes des espaces publicitaires.
Avec son fondateur Boubacar Diallo aux commandes, JJ est passé d’une équipe de trois personnes à sa création à quinze personnes dont six permanents (trois de la rédaction, le directeur fondateur et trois administratifs), six collaborateurs extérieurs permanents et trois dessinateurs (un Franco-Burkinabé, un Camerounais et un Tchadien).
L’information est la préoccupation première du Journal du jeudi. Sa périodicité lui laisse le recul nécessaire pour des analyses fouillées et approfondies. Lorsque ses moyens le permettent, il s’essaie aux enquêtes de terrain, dans l’esprit d’un journalisme d’investigation. Avec son caractère satirique, Le JJ bénéficie d’une souplesse de ton dansle traitement de l’actualité et peut ainsi intégrer l’humour dans l’environnement médiatique, non sans garder une certaine austérité. Il tente à travers une information objective et une sensibilisation relative de participer à la consolidation de la démocratie au Burkina, en décrispant, au passage, la vie publique nationale.
Avec un tirage entre 30 et 40 000 exemplaires par semaine, le groupe L’Indépendant-Le Démocrate et le groupe Lynx-Lance semblent développer une information correspondant à l’attente du Guinéen. Alors que le premier semblait battre de l’aile, le second était au mieux de sa forme.
Les dix ans de combat du Lynx contre le pouvoir de Lansana Conté lui ont valu de se développer et une reconnaissance tant nationale qu’internationale : il a reçu le prix « Médias et Démocratie » à Genève en 2000. Il s’est étoffé, en partant de huit pages pour arriver à seize, des colonnes où se partagent des rubriques telles que Lynxorama (avec son habituelle Chronique assassine et le carton jaune du vié Koutoubou), Politique (c’est ici que l’on peut retrouver l’éditorial avec son titre énigmatique Juste un mot), Economie, Société, Lynxculture, Interview, La Bavette, Education. Un rubriquage qui rappelle celui de n’importe quel journal. Une construction banale qui cache un vrai défi de dénonciation.
Si ce « carnassier » est apprécié de tant de Guinéens, c’est sans doute que dans cette démocratie naissante, Le Lynx s’est vu souvent envoyer en prison pour la vigilance de son regard et la fertilité de sa plume. Qu’en est-il donc de la loi sur la liberté d’expression ? Dans son premier numéro, celui du 7 février 1992, le directeur de publication consacrait son éditorial à cette loi. Il relevait que celle-ci était à près de 80 % répressive ; et la caricature qui accompagnait son papier représentait un journaliste sur un chemin avec un panneau indiquant un sens unique ; la flèche conduisait en prison.
L’histoire politique particulière de la Guinée est à l’origine du retard qu’accuse ce pays dans la voie du développement des médias privés. Quelques années après son accession à l’indépendance, en 1958, le pays sombre dans un régime dictatorial et sanguinaire dont il allait faire les frais pendant vingt-six ans. Lorsque l’armée reprend le pouvoir en 1984, le pays a connu une telle hémorragie intellectuelle que les bases démocratiques sont à reprendre. En 1990, la loi fondamentale est votée par une majorité écrasante. La liberté d’expression s’y trouve consacrée. Ce moment connaît un retour sans précédent des Guinéens forcés à l’exil par le régime Sékou Touré et c’est dans cette atmosphère que vont commencer à circuler, dans les rues de Conakry, les premiers pamphlets politiques d’un certain Bah Mamadou.
Lui aussi de retour au bercail, Souleymane Diallo ramène dans ses valises le projet de création d’un journal d’information générale. Il s’appellerait : La Boule de Cristal, ou Le Cristal, tout court. Après sa rencontre avec Bah Mamadou, ils décident de fonder ensemble et avec d’autres collègues de la diaspora un journal d’information générale dont l’ambition avouée est d’imiter Le Monde. C’est la création de La Nouvelle République.
L’équipe travaille de manière assidue malgré quelques désaccords latents sur le fond du journal, jusqu’à la décision de Bah Mamadou de créer un parti politique, l’Union pour la Nouvelle République. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Dès la clôture du premier numéro, Souleymane Diallo claque la porte, suivi par ses deux collaborateurs. Ensemble, ils reprennent le projet de départ du Cristal, mais décident alors de créer un « hebdomadaire satirique indépendant » qui porterait le nom d’il de Lynx, et qui deviendra : Le Lynx.
« Qui l’Africain doit-il donc consulter lors qu’il a perdu ses marques ? Une réponse vous est proposée dans ce panafricain d’Afrique. Quand ça va mal, il faut désormais consulter son
Marabout, le satirique africain qui égratigne tous ceux qui vous égratignent sans coup férir. Le Marabout se propose d’écrire à gorge déployée, de vous faire rire sérieusement, de croquer la vie à dessein en dessins, de caricaturer ces caricatures vivantes que sont les travers de tous ordres. » C’est ainsi que ce mensuel satirique panafricain définissait son projet dans l’éditorial de son premier numéro sous le titre Le Marabout mode d’emploi dans la rubrique Maraboutage. Le journal est édité par un regroupement de journalistes installés au Bénin, au Burkina Faso, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Mali, au Niger, au Sénégal et au Togo. Ils travaillent ensemble dans l’association RALI : Réseau Africain pour la Liberté d’Informer. Ce réseau associatif à but non lucratif, créé en 1999, s’est assigné comme vocation, de défendre la liberté d’expression et le métier de journalisme en Afrique.
Il a donc été fondé en 2001 par des journalistes d’une quinzaine de nationalités africaines, mais aussi européennes et américaines ; une pluralité de cultures et d’expériences déployée au service du continent africain. Le Marabout était une publication qui se voulait l’écho, le dénonciateur des entraves à la liberté d’expression. C’était aussi et surtout une tribune de réflexion sur l’Afrique politique, sociale, économique et culturelle. L’actualité spécifique de chaque pays membre du réseau était représentée sous forme de rubrique ; les dossiers « transversaux » étaient traités par une équipe rédactionnelle disséminée du Nord au Sud.
C’est justement cette particularité (des journalistes dans plusieurs pays africains) qui est à la base de la dénomination des plus importantes rubriques du journal : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Gabon, Mali, Niger, Sénégal, Togo, Ailleurs. Dans la rubrique Maraboutage, la réflexion de cocasserie côtoie le proverbe décalé du mois dans le Pense pas bête. L’éditorial, baptisé « une foi par moi » se lit dans la rubrique Augure qui permet d’annoncer le contenu du journal. Le dossier du mois apparaît en première page. Le journal offre également un Biais qui se veut une conclusion du dossier, l’objectif étant d’en prendre le contre-pied, un contrechamp, selon Damien Glez. La rubrique Mic-Mac, « déconseillé aux âmes sensibles« , est une page légère où les citations de personnalités sont revues sous un regard caustique et dur, « la rubrique de ceux qui devraient tourner sept fois leur langue dans leur bouche
». Zoographie offre en outre le portrait décalé des hommes politiques africains. Le journal était ainsi un lieu de dénonciation et de critique où la causticité des mots jouait un rôle essentiel.
« Le mensuel avait une caractéristique qui était à la fois sa force et sa faiblesse, indique aujourd’hui Damien Glez : sa base associative. Force car l’indépendance vis-à-vis des pouvoirs d’argent était optimale et car l’esprit était bien souvent au bénévolat (les correspondants permanents dans les pays africains étaient payés, mais bien des journalistes intervenaient gratuitement de façon ponctuelle, dont des journalistes du Monde, de Courrier international, etc.). Nous bénéficions de la logistique du Journal du Jeudi qui hébergeait Le Marabout, son « grand-petit » frère (grand par la taille, petit par l’âge). Cette base associative était aussi une faiblesse car nous n’avions pas les reins solides, surtout pour faire du recouvrement. Sur les huit pays hors Burkina où le journal était effectivement distribué, seul le distributeur gabonais nous a payé un peu de ce qu’il nous devait ! Et nous n’avions pas les moyens de voyager pour réclamer notre dû. D’où l’étouffement financier au bout d’un an (après épuisement d’une aide d’une ONG hollandaise). Cela rejoint une autre caractéristique qui était à la fois notre fierté et un risque : lancer le premier panafricain fabriqué en Afrique. Nous avons évité le parisianisme, profité de l’imprimerie du Journal du Jeudi, mais imprimer à Paris aurait permis de profiter de la logistique « répressive » des NMPP… Nous avons eu un vrai succès d’estime (beaucoup d’articles et le prix « Presse et démocratie » de la Tribune de Genève), mais la gestion a pêché. Et continuer d’exister uniquement sur le Net ne nous satisfaisait pas. On n’y touche (touchait ?) pas le même public. »
Le Gri-Gri est au départ une bande dessinée intégrée à La Griffe, journal satirique gabonais. Pour son directeur de publication, Michel Ongoundou, c’est une sorte de revanche psychologique des opprimés sur les pouvoirs et ses hommes, ces charlatans qui ont pris l’Afrique en otage. Il lui a été interdit d’exercer le journalisme dans son pays, et son journal a été suspendu en février 2001, si bien qu’après son exil forcé à Paris, il publie à partir de juillet 2001 Le Gri-Gri avec une association, un réseau de journalistes exilés en France. Les deux caricaturistes principaux y sont Damien Glez et Pat Masioni. Il a cessé de paraître en septembre 2008 mais continue à la radio sur Tropiques FM, Les questions de Gri-gri international, et depuis 2009 sur internet par l’intermédiaire d’un site et d’un blog (www.legrigriinternational.com et www.lepost.fr/perso/le-gri-gri-international). Le journal comportait huit pages qui passent en revue l’actualité africaine (il en comportera 16 durant une période). En première page, l’encadré 1er Gaou (sot, niais, idiot, dans le langage des rues ivoiriennes) reprend les propos d’un homme politique à rebrousse-poil pour montrer l’incohérence du discours. Comme le Marabout, la « une » comporte un portrait décalé, à la différence qu’ici il s’agit d’une photo et non d’une caricature : L’album du sorcier. Avec des photos d’archives, le Gri-Gri montre que plus d’une quarantaine d’années après la prise de ces clichés, ces personnages sont encore au pouvoir. Ces portraits décalés qui « immortalisent les personnalités dans des postures plus ou moins avantageuses » sont complétés par Grimaces, un article jouxtant le portrait, et Gri-Grimbas, aux sujets variés en page 7. Petites z’amulettes, qu’on peut appeler aussi amusettes ou allumettes rassemble des brèves générales où on traite de « petites informations brûlantes et croustillantes, ainsi que de choses vécues. » Maraboutages est réservée à des enquêtes et des reportages issus des pays africains, tandis que la dernière rubrique, en page 8, veut donner à rire sous le nom de wolof story, en référence à Loft Story.
Joint au téléphone en octobre 2009, Grégory Protché, actuel rédacteur en chef, indique : « Nous avons dû arrêter car les ventes sont trop marginales en France. Nous vendions 20 000 exemplaires au Gabon mais avons été interdits à répétition depuis 2003, si bien que nous n’avons pu sortir que 90 numéros en huit ans. Le fondateur Michel Ongoundou est toujours interdit d’exercer son métier de journaliste au Gabon. Mais le succès médiatique actuel est tel (radio + internet) que nous voulons relancer une édition imprimée avec une diffusion dans différents pays du Continent. C’est là qu’il doit être lu ! ». Il poursuit sur les enjeux actuels d’une telle presse : « Aujourd’hui, la dénonciation des politiciens corrompus ne peut plus être la seule ligne d’approche : il entre davantage d’argent en Afrique par le circuit privé que par l’aide au développement. Il nous faut soulever les problématiques économiques qui évoluent très rapidement, et faire le procès de ceux qui corrompent et non seulement des corrompus ».
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