L’Atelier du Plateau : petite fabrique de (mé)tissage qui vaut le détour

Entretien de Sylvie Chalaye avec Gilles Zaepffel

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A deux pas des Buttes-Chaumont sur les hauteurs d’un petit quartier populaire du XIXe arrondissement de Paris, Gilles Zaepffel a ouvert un vieil atelier de mécanique aux expressions artistiques de tous bords : musique, danse, théâtre, cirque, mode, peinture, photo, art plastique… mais aussi lectures, contes, chansons, brunch-concerts et gastronomies exotiques ; convoquant à la lumière d’une monumentale verrière, dans les nimbes d’une espèce de jardin urbain où les poutrelles métalliques et les taules ondulées font office d’arbres et de bosquets, les cultures les plus diverses, mélangeant les origines sociales, faisant se rencontrer les publics les plus improbables.
C’est aussi à l’Atelier du Plateau qu’ont lieu régulièrement les Rencontres Africultures : elles y trouvent la convivialité et la décontraction idéale pour ce genre d’événement.

On vous connaît comme metteur en scène et directeur de compagnie. Mais qu’est-ce qui vous a amené à ouvrir ce lieu étonnant ?
Il faut sans doute parler d’un coup de foudre ! J’habite le XIXe arrondissement, et depuis une vingtaine d’années j’ai monté avec le Théâtre Ecarlate des spectacles aux quatre coins du monde. Mais là, on est tombé sous le charme de ce lieu et on s’est dit :  » Aller, on va essayer de se sédentariser !  » Mais sans pour autant sacrifier notre démarche culturelle et esthétique, c’est-à-dire en préservant toujours des projets avec l’ailleurs, notamment au Bénin, pour le prochain.
Il y avait donc un défi à relever : inventer un lieu qui accueille et invite aussi aux voyages…
La compagnie du Théâtre Ecarlate a la particularité de voyager un peu partout dans le monde, en Afrique notamment depuis une quinzaine d’années et de faire des spectacles à distribution très métissée, aussi bien culturellement qu’esthétiquement, incorporant des musiciens de divers horizons, Africains de l’Est et de l’Ouest, des comédiens, des danseurs traditionnels et contemporains, des artistes de toutes nationalités.
Ce qui nous a motivé aussi, c’est de faire de cet espace un lieu alternatif qui puisse rassembler tout l’éclectisme qui nous tient à coeur et qui préside à notre démarche, c’est pourquoi on invite aussi bien des jazzmen contemporains que des concertistes de musique classique, des danseurs venus du Kenya comme Opiyo Okach ou des musiciens d’Argentine comme l’Esquina Trio, des troupes béninoises, des musiciens sénégalais comme Djéoul Cissoko, Lamine Kouyaté et Sidi Gueye qui jouent avec une danseuse orientale, Mounira Yagoubi, et une trapéziste française, Armance Brown…
Mais vous ne revendiquez pas seulement le mélange des cultures…
En effet, notre projet est placé sous le signe de l’ouverture, du métissage des cultures, mais aussi des langues, des disciplines esthétiques aussi… Les choses prennent du temps, ce n’est pas un concept théorique que l’on peut appliquer comme ça. Il faut des coups de coeur, des rencontres entre artistes, entre personnes de vie culturelle différente, entre publics d’origine sociale diverse… Ce que nous recherchons, c’est une osmose. C’est pourquoi nous sommes très ouverts aux propositions, aux échanges.
L’atelier, c’est aussi un lieu de quartier
Oui. Nous tenons beaucoup à faire en sorte que les gens du quartier y aient accès, et participent à la vie du lieu. C’est pourquoi nous souhaitons accueillir des artistes de tout bord, inventer des formes nouvelles, mais dans un petit lieu qui n’est pas à proprement parler une salle de spectacle, et qui serait plutôt une salle d’accueil placée sous le signe de l’hospitalité.
Les propositions artistiques doivent donc d’abord s’adapter au lieu…
Nous tenons en effet à ce qu’elles s’insèrent à l’intérieur du lieu en respectant son harmonie, son charme… Il ne s’agit pas de reconstruire la boîte noire du théâtre pour les spectacles, où la boîte de concert pour la musique classique, baroque ou contemporaine. On ne veut pas faire le noir, on demande aux artistes de s’adapter au déclin naturel du jour. Matinée ou soirée, on tient à ce que le lieu reste convivial, que les gens viennent boire un verre, déguster une gastronomie dépaysante qui change selon les spectacles… Il y a toute une ambiance que chaque proposition esthétique doit prendre en compte.
Finalement, c’est un lieu avant tout ouvert à ce qui fait la vie.
On veut que les gens se sentent à l’aise, qu’ils se sentent tout de suite chez eux, que les points de vue s’échangent en toute simplicité. Ici on peut s’asseoir à une table de jardin et avoir l’impression de plein air, là on voit la cuisine qui se fabrique et on sent les odeurs… C’est d’ailleurs un aspect important de notre projet. Batsu Asu qui invente les plats en fonction des propositions qui s’installent dans le lieu, participe pleinement au projet artistique et à la programmation… Les publics disent ce qu’ils aiment ce qu’ils apprécient ; les gens se mélangent… Des gens qui ne se connaissent pas partagent la même table, mangent ensemble, voient des spectacles ensemble, et bientôt les langues se délient, la parole circule.
Et vous n’avez pas peur aussi des créations d’avant-garde…
Nous encourageons les artistes qui s’essayent à présenter des créations originales, comme dernièrement ce duo sol-air que nous avons accueilli sous la verrière : un couple de trapézistes qui travaillaient avec des tissus en l’air, tandis qu’en bas il y avait un danseur contemporain et un illusionniste venu du cirque ; un spectacle d’une heure tout à fait étonnant. Ce que l’on voit habituellement à dix ou quinze mètres sous chapiteau, on l’avait là à deux trois mètres de soi…
Toutes les formes vous intéressent, même la mode…
La styliste Sakina M’sa vient des Comores. Elle a été lancée à la Fête de l’Huma où elle a proposé un défilé qu’elle avait intitulé  » Tissu social « , elle travaille à Bagnolet, ce n’est pas très loin de chez nous… Elle est venue à l’Atelier, l’ambiance l’a inspirée et elle nous a proposé une vente aux enchères de ses costumes. Et la dimension sociale qu’elle introduit dans ce monde de la mode tout de même très élitiste nous a intéressés. On essaie d’être ouvert le plus possible à toutes les formes d’expression. Par exemple, on a en ce moment une résidence photographique (cela nous amuse d’utiliser cette expression !) une jeune photographe qui nous a proposé d’être présente pendant trois mois à toutes les manifestations et de faire des portraits de tous les artistes qui participent, ainsi que des gens du quartier, ce qui donnera lieu en fin de saison à une exposition de photos. On a aussi l’idée de lancer une résidence d’écriture en demandant à un écrivain de venir voir le quartier, d’interviewer les gens et à la suite de cela d’écrire quelque chose, quelque soit la forme, qui sera lu, mis en scène ou dansé. On essaie de démultiplier les initiatives et de stimuler l’inventivité.
Le bilan de cette première saison est étonnant…
On a déjà programmé plus d’une soixantaine de manifestations et on a déjà accueilli près de 3000 personnes ce qui n’est pas négligeable pour une petite salle qui a une jauge de 80-100 places. Nous avons fidélisé un public. Notre souci aujourd’hui c’est plutôt d’être aidé par les autorités de tutelle afin que nous puissions perdurer.

///Article N° : 1430


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