Laura Lutard : “Je suis pour une poésie vivante, contemporaine et oralisée! ”

Au bord du bord, recueil de Laura Lutard

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Rencontre avec Laura Lutard, poète, comédienne, metteure en scène et auteure du recueil Au bord du bord (Editions Bruno Doucey 2022), également invitée surprise du Festival Voix-Vive de Sète, qui s’est tenu du 21 au 29 juillet dernier.

Elle a l’aplomb des gens du spectacle, l’énergie solaire, la voix rauque, l’œil pétillant.. Elle dit que l’écriture de ce premier recueil a commencé en Equateur, pays dont la géographie entre en résonance avec ses paysages intérieurs. Elle n’a que 35 ans, et déjà Laura Lutard tire les lignes, éjecte les maux et invite à entrer en poésie comme on entre sur scène ou dans la vie.

« Je suis pour une poésie vivante, contemporaine, oralisée » livre-t-elle sur l’estrade en bois bleu, à l’abri d’un arbre centenaire dans le parc Simone Veil de Sète. Derrière elle, des jeunes jouent au ballon, chahutent, s’interpellent quitte à faire vaciller quelques vers. Elle continue de scander :

C’est une révolte hémorragique
Qui se tapit sous ma langue
Vigie aux pupilles dilatées
Par l’éclat des ornières à franchir

Incorporer les axes contraires et leurs courbes

Dans la multiplication des jonctions
Le graphique de mes rêves cherche
L’échelle du monde

« Ça joue ! » s’amuse-t-elle en parlant des dribbles, tout en jetant un œil complice au public. À l’observer, on comprend alors que l’auteur ne dissocie pas vie et poésie ; qu’elle aime le décalage, l’Ouvert.

Elle dit aussi que son premier recueil, paru en 2022, fait suite à sept ans de deuil. Des arrachements consécutifs jusqu’à atteindre la racine ; celle qui la reliait à sa dernière aïeule, originaire de la Martinique. Puisque c’est vertigineux, elle écrit alors sur la crête du précipice, en Equateur, là où les deux hémisphères Sud et Nord se séparent (ou se rejoignent). Sur la première page, comme un premier mouvement on lit : « Ici il n’y a pas d’ombre / Nous sommes le centre du monde / Le soleil est droit / Comme des jambes / Et entre les lèvres des hémisphères / La peau brûle verticale / j’ai trente ans / Mes parents sont morts / Je ne me sens pas jeune ».

« J’avais envie de parler de l’acceptation de la perte d’un repère pour pouvoir s’inventer de nouveaux horizons. » m’explique t-elle avec une détermination retrouvée. « On ne peut pas rester sur le seuil ni au seuil de… En même temps, il est important de pouvoir l’habiter. Le Bord du bord c’est un endroit qu’on ne choisit pas forcément, mais où l’on peut malgré tout être accueilli.e. C’est pour cela que l’adaptation de mon recueil s’appelle De tous les seuils, je ferai ma demeure. ». La poésie est parfois refuge, résilience et lieu de Mofwazé (métamorphose en créole).

Dans ces textes flots (mais pas fleuves) tambourinent la résistance au vide, l’acceptation des traumatismes et des brèches qu’ouvre la vie. Palpitent aussi l’aube, les rayons, le limon, les cendres, les feuilles, les lianes, les crabes… attributs naturels d’une nature et d’une renaissance en émoi.

Derrière le cri
Les fleurs

La présence des lignes habite également le recueil. Elles dessinent, brouillent, entrelacent – presque indépendamment des mots – des espaces aux tensions dramaturgiques, aux mouvements permanents.

Je peux m’accrocher à la légèreté de ton feuillage
Ou escalader sans fin le mât fortifié
Par la constance du temps

ou encore :

Je ne sais faire autrement que
Cracher sur les lignes fixes
Pour en faire de la pluie

« Les lignes, je crois que cela vient de mon amour pour la performance » me confie Laura, dont la formation théâtrale transpire dans son œuvre. « Très jeune, j’ai rencontré une compagnie italienne qui était dans la lignée de Grotowski (un théâtre très engagé corporellement) avec des personnes qui venaient de toute la Méditerranée et qui ne parlaient pas la même langue…On s’entraînait parfois des heures durant à positionner nos bras, nos jambes… Moi j’aime travailler avec un espace vide, où c’est le corps qui, par des mouvements précis, va le façonner et y inviter les gens. Tracer permet de définir un espace pour se projeter. » Quoi de plus intuitif que de créer des espaces d’expression et des abris pour se recréer ? Pense-je.

La poésie de Laura Lutard invite définitivement à cela : un bousculement, un basculement fécond qui aide à résorber les lignes de failles qui pousse le seuil vers l’horizon.

Vers l’écriture d’un second recueil… L’auteure travaille actuellement sur le thème du patrimoine esclavagiste et colonial et son impact au sein des cellules intrafamiliales (notamment chez les couples mixtes) ainsi qu’à la notion de “whitepass”. Elle souhaite interroger la violence de certaines paroles blanches dont elle a notamment été témoin pendant son enfance. Enfin, Laura Lutard ouvrira la saison automnale du Bordel de la poésie le 24 septembre à 18h30, à la maison des Écuries (8 rue Bachaumont, Paris).

> En savoir plus sur l’auteure : https://www.lauralutard.com/

> Anthologie Voix-Vives Sète 2023 : https://www.editions-brunodoucey.com/voix-vives-2023

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