La Maison de la Poésie va accueillir la 2e édition du Festival et Prix des littératures urbaines

Print Friendly, PDF & Email

La deuxième édition du Festival et Prix des Littératures Urbaines qui se déroulera le samedi 26 avril 2025 à la Maison de la Poésie de Paris récompensera deux romans et deux essais, parmi une sélection de 14 livres (9 romans et 5 essais), représentatifs de la manière dont les récits urbains changent nos regards sur les vies urbaines, et proposent de nouveaux imaginaires politiques.

Lutter contre les préjugés, (re)tisser du lien social et être accessible : un ouvrage emblématique

L’essai d’Yvon Atonga et Isabelle Coutant, Petit frère : comprendre les destinées familiales (Seuil, « La couleur des idées », 2024) fait le récit de la trajectoire d’une famille de 14 personnes sur le long terme, la famille Atonga, dans un quartier de Villiers-le-Bel. Il a été co-rédigé par une sociologue, Isabelle, et par l’un des frères de cette famille, Yvon. Isabelle l’a rencontré, ainsi que son frère Wilfried, en 2001, et puis, alors qu’il s’était rangé, Wilfried est violemment mort par balle, rattrapé par « la rue ». Il s’agit de comprendre, au fil d’entretiens croisés avec la famille, et donc par le récit des enquêtés eux-mêmes, comment cela a pu arriver, mettre des mots aussi sur le traumatisme familial et éclairer le lecteur sur la complexité et l’absence de manichéisme des situations.

Le livre permet d’enrayer certains préjugés, précisément parce qu’il privilégie le récit et l’anecdote. On suit l’histoire de cette famille, on se figure ses membres, on se projette aussi dans leur destin. Il y a une empathie qui nait inévitablement de la mise en narration elle-même. Yvon parle en « je », Isabelle aussi, et synthétise par le récit les entretiens qu’elle a eus avec les autres membres de la famille. Il y a ainsi des sujets qui se voient éclairés de manière complexe, ce qui vient casser les stéréotypes : la famille est chrétienne mais la conversion à l’Islam de Wilfried apparait essentiellement comme un désir de stabilité, et une manière de se ranger. Par ailleurs, on apprend par sa fille que Wilfried était « pour Charlie » (p. 146) ce qui vient lutter contre les préjugés islamophobes assimilant la religion au terrorisme. Toutes les figures de parentèle sont aimantes, soutenantes, « ils ont toujours été derrière moi, c’est moi qui faisais n’importe quoi en fait » (p. 82) ce qui vient contrecarrer l’idée d’une absence d’éducation ou d’une démission des parents comme explication de la délinquance. Par ailleurs, le quartier lui-même apparait comme un lieu de relation, de solidarité, un lieu constructeur : « le problème en banlieue, c’est que quand les gens réussissent, ils partent. Ça devient une réussite individuelle. Alors que c’est la banlieue qui a permis ça (…) le quartier ça nous a permis de nous construire du point de vue du caractère. » (p. 154). Le rapprochement entre les valeurs des Gilets Jaunes et celles du quartier, dans la bouche d’Yvon, sont aussi très parlantes : « La fierté, la dignité, pas de traître. On fait ce qu’il y a à faire, on est tous en bande et on lâche rien. C’est une mentalité totalement quartier. C’est un mouvement que je respecte énormément » (p. 106) ; « j’ai beaucoup de respect pour les gens qui ont fait ça, qui se sont sacrifiés. C’était solidaire sur les ronds-points, ils apportaient à manger. C’est les valeurs du quartier » (p. 105). Ces quelques citations en disent long sur la capacité de ce livre à créer du lien social, justement parce qu’il y est question, en premier lieu, non pas de « la banlieue » (seulement) mais de ce qui nous unit, à commencer par la famille et notre environnement.

La mise en récit est un processus très riche, ainsi que l’alternance des voix et la co-construction du livre par l’enquêté. Elle nous fait sentir la profonde humanité de chaque personne de la famille. La posture d’Isabelle, jamais surplombante, jamais dans le jugement dessine une éthique de la réception, mise en acte par les partis pris d’écriture. Si les annexes et notes de bas de page citent des ouvrages et articles de sociologie, la forme-même de l’ouvrage est une forme-sens. À elle seule, elle dit la nécessité de replacer un individu dans une trajectoire (un temps long), la nécessité de croiser les regards, pour toujours complexifier les points de vue, dans le choix de cette narration à deux voix, très accessible pour nous tous qui ne lirions pas aisément une enquête sociologique académique plus classique dans sa forme.

Une sélection exigeante et horizontale

Cette accessibilité est aussi au cœur de la vocation de de ce festival et de ce prix des Littératures Urbaines, imaginé par les auteurs Zakaria Harroussi et Freddy Dzokanga, et co-fondé avec Taoufik Vallipuram : « Avec le Festival, nous re-façonnons la littérature pour que celles et ceux qui lisent — et même ceux qui ne lisent pas […] ». En 2024, la première édition du festival à la Gaîté Lyrique a donné la parole à des autrices et auteurs qui se jouent des clichés, mettent en lumière des trajectoires invisibilisées dans l’espace public et posent des questions que l’on n’a pas l’habitude d’entendre et c’est Pauline Guéna pour Reine et Rachid Santaki pour Anissa qui ont reçu les premiers prix.

Petit frère : comprendre les destinées familiales n’a ainsi pas été sélectionné au hasard pour ce prix 2025, ce qui est aussi le cas des 9 autres romans et des 4 autres essais sélectionnés.

Liste des romans sélectionnés

Plus haut que la Tour Eiffel – Kohndo
Clean – Johann Zarca
La situation – Karim Miské
L’extase – Monia Aljalis
Rue du Passage – Fatima Ouassak
Le château des rentiers – Agathe Desarthes
Je me regarderai dans les yeux – Rim Battal
Kaddour – Rachida Brakni
Mon Petit – Nadège Erika

Liste des essais sélectionnés

Barbès Blues – Hajer Ben Boubaker
Notre dignité – Nesrine Slaoui
Enfant des bidonvilles : une autre histoire des inégalités urbaines – Margot Delon
Streetologie – Ulysse Rabaté
Petit frère : comprendre les destinées familiales – Yvon Atonga, Isabelle Coutant

Mais cette volonté de « faire lien », de changer nos regards et nos imaginaires politiques ne passe pas par les seuls ouvrages sélectionnés, mais par l’horizontalité réelle du processus de sélection. En effet, avant d’en venir à cette liste resserrée, 47 ouvrages ont été pré-sélectionnés et étudiés par un comité de lecture citoyen, ouvert et divers, composé de 100 personnes aux origines sociales et géographiques plurielles. Ce comité s’est réuni à plusieurs reprises à Paris et à distance pour discuter des livres et changer les codes et les critères d’attribution des prix littéraires. C’est ce même comité de lecture qui a sélectionné les 14 livres (9 romans et 5 essais) confiés ensuite à un jury éclectique, représentatif de notre société, dont la tâche est de choisir les deux romans et les deux essais qui seront récompensés le samedi 26 avril 2025 : Juliette Arnaud, chroniqueuse radio, autrice, actrice ; Nassira El Moaddem,  autrice et journaliste ; Pauline Guéna, autrice et scénariste ; Abdoulaye Sissoko, auteur et militant associatif ; Mateo Corso, livreur ; Salim Keddouh, réalisateur et acteur ;  Olivier S., détenu à la maison d’arrêt de Saint Maur.

Toute la programmation de ce festival « engagé et engageant », résolument ouvert et pluriel, est à retrouver sur le site de la Maison de la Poésie à Paris, conviant chacune et chacun à faire partie de cette nouvelle façon d’envisager et de s’approprier la lecture et la littérature.

https://maisondelapoesieparis.com/programme/festival-prix-des-litteratures-urbaines/

Virginie Brinker pour Africultures

 

 

Détail de la programmation:

11h-12h30 – Les littératures urbaines ou la dernière chance du vivre-ensemble. Animé par Taoufik V
● Bakary Sakho (auteur et éditeur, Faces Cachées Éditions)
● Nassira El Moaddem (journaliste, autrice de Les filles de Romorantin)
● Jean-Luc Vidon (Président de la Fédération des Associations Régionales HLM)

14h-15h30 – À la ville comme dans les livres : où sont les hommes pauvres ? Animé par Taoufik V
● Monia Aljalis (autrice de L’Extase, et enseignante)
● Rachid Laïreche (auteur de “Les contes du Roi Djibril” et journaliste)
● Martial Cavatz (auteur de “Les Caractériels)

14h-15h30 – Sortir des tours et des bourgs : en finir avec les oppositions fantasmées entre territoires ruraux et urbains. Animé par Samuel Chabré
● Achraf Manar (Président de l’association Destin liés)
● Camille Bordenet (journaliste au Monde)
● Dalya Daoud (journaliste et autrice de “Challah la Danse”)
● Ramsès Kefi (journaliste et co-auteur de “Les contes du Roi Djibril”

Suivi de la remise du Prix Essai des Littératures Urbaines à une autrice et un auteur

14h-15h30 – Atelier d’écriture jeunesse avec le Pass Culture. Animé par Mehdi El Afani et Lina Mehdi

16h-17h30 – Les récits des premier·e·s concerné·e·s contre l’endogamie littéraire. Animé par
Mehdi El Afani
● Cathy Bouvard (Directrice des Ateliers Médicis)
● Ismaël Mereghetti (journaliste et auteur de “Aya Nakamura, dictionnaire critique”)
● Nadège Erika (autrice de “Mon Petit”)
Suivi de la remise du Prix Roman des Littératures Urbaines à une autrice et un auteur

16h30 – 17h30 Les coulisses du Prix des Littératures Urbaines. Animé par Adam Hammache.
Présentation du comité de lecture et échanges avec le jury sur les codes des prix littéraires.
18h – 18h45 Un conte musulman dans la cité, avec Fatima Ouassak (autrice de “Comme Ali”)

18h45-20h Rendre les villes populaires à leurs habitant·e·s historiques. Animé par Taoufik V
● Ano Kuhanathan (économiste)
● Kohndo (Artiste, rappeur, et auteur de “Plus haut que la Tour Eiffel”)
● Isabelle Coutant (sociologue au CNRS et co-autrice de “Petit Frère”)


Laisser un commentaire