Le droit de la communication en Afrique : problématique et perspectives à l’heure de la convergence

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C’est dans le cadre de la 4e conférence des instances africaines de régulation de la communication (4e CIRCAF, du 2 au 4 juillet 2007 à Ouagadougou), que le spécialiste camerounais de la Communication, Laurent-Charles Boyomo Assala, a produit cette contribution sur la mise en place d’un droit de la communication en Afrique. Nous en reproduisons de larges extraits, ayant trait notamment à l’encadrement des médias et des journalistes, et à la régulation.

Un principe commun : la liberté
Pour des raisons liées à une histoire plutôt construite autour de la restriction des libertés individuelles et du monopole de l’État sur les médias, le principe le plus original de l’identité normative africaine de ces dix dernières années est celui de l’exigence de liberté, proclamé par l’ensemble des constitutions africaines, et souvent repris dès l’article 1er des lois particulières de la communication (…) L’affirmation de ce principe est toutefois assortie de limitations de nature législative tenant soit à la nature de la publication (très large en ce qui concerne la presse écrite, plus restreinte en ce qui concerne l’audiovisuel), soit au nom de la préservation de l’intérêt public et de la vie privée des particuliers.
Très vite par conséquent la liberté de la communication marque son territoire et s’étoffe en sa substance par une réglementation généralement abondante (pas moins de cinq lois, 9 décrets, 3 arrêtés ministériels et une profusion de décisions au rythme de la vie politique du pays pour le cas du Cameroun). L’imprimerie, la librairie, la communication audiovisuelle et le cinéma (1) sont les principales activités placées sous le régime de la liberté plus ou moins large, les seules limitations étant celles liées à l’exigence de rayonnement de la culture nationale (article 5 de la loi n°98.006 de la RCA), au respect de la dignité humaine, de la liberté et de la propriété d’autrui (article 3 de la loi organique du Bénin), aux atteintes à l’ordre public et aux bonnes mœurs (articles 17 de la loi camerounaise), à l’intégrisme et à l’intolérance (article 2 de la loi centrafricaine) et aux exigences de pluralisme (article 2 de l’ordonnance n° 92-002 du Mali) (…)
Le statut du journaliste et la responsabilité
Le régime des infractions est celui qui semble introduire une ligne de partage constituée par l’histoire coloniale spécifique des pays. Dans les pays de liberté, on le sait, le droit commun de contrôle de la presse détermine le régime des infractions commises par voie de presse contre l’intérêt public, et consiste en un contrôle a posteriori, essentiellement judiciaire, des activités de presse. Deux courants d’importance différente émergent cependant des expériences africaines : celui, faible, du contrôle a priori au nom de la préservation de l’ordre public et des bonnes mœurs dans très peu de pays, avec une intensité plus ou moins grande selon qu’il s’agisse de la presse écrite ou de l’audiovisuel. Et celui plus important du contrôle a posteriori, administratif ou judiciaire dans de nombreux cas, en vue de garantir la protection de la tranquillité, de la sûreté et de la moralité publiques. Ainsi, l’article 17 (nouveau) de la loi camerounaise énonce que la saisie d’un organe de presse peut être prononcée par l’autorité administrative territorialement compétente, tout comme l’interdiction peut être prononcée par le ministre chargé de l’Administration territoriale en cas d’atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. Plus courant semble être le contrôle a posteriori assorti quelquefois de l’interdiction faite à l’administration de prendre une quelconque mesure vidant à restreindre la liberté de publication (article 162 (3 et 4) de la constitution ghanéenne, et sauf en cas d’état d’exception ou de guerre expressément prévus dans la loi fondamentale de Guinée Equatoriale).
C’est toutefois autour de la question de la responsabilité des journalistes que le débat a prospéré ces dernières années, alors même que l’indistinction et l’extrême disparité des statuts juridiques des journalistes eussent pu inciter à plus de controverses de pays en pays et à l’intérieur de chaque pays. Dans de nombreux pays en effet, la définition du journaliste est ouverte (cas de l’article 7 nouveau de la loi camerounaise) et les statuts corrélatifs sont donc peu avérés et en tout cas extrêmement différents, selon que l’on soit dans la presse publique ou dans les médias privés. Dans d’autres, la définition du journaliste est très détaillée, sans qu’il en résulte une plus grande précision (2), et son statut professionnel repose sur une convention collective très précise, qui s’impose à tous les secteurs de l’activité (article 47 de la loi 79-44 relative à la presse au Sénégal au terme duquel mêmes les journalistes employés dans les services de l’État sont régis par le code du travail et la convention collective).
Etroitement associée à l’évolution du droit de la communication qui semble avoir suivi le rythme de l’ouverture démocratique marquée par l’adoption de constitutions de plus en plus libérales (constitutions de la 2ème voire de la 3ème génération), le débat qui s’est développé ces dernières années autour de la problématique de la dépénalisation des délits de presse est intéressant à plus d’un titre. D’abord il confirme le fait que la compréhension de ce qui se joue là ne saurait se suffire du formalisme de la production normative. Il oblige dont à dépasser la simple prescription formelle pour s’intéresser aux conditions de production de la norme juridique et donc à la contingence des systèmes politiques qui mettent en exergue des questions spécifiques et rendent possibles l’effectivité de la règle. A cet effet la faible vitesse de propagation de ce principe dans la plupart des pays rend compte du caractère aléatoire des valeurs qu’il prétend promouvoir et de la difficulté de leur réception nationale.
Ainsi seuls deux pays l’ont adopté dans leur norme interne (le Togo et la Centrafrique). Les deux questions que ce débat contribue à révéler sont celle de la pertinence de la surveillance des médias et celle de l’étendue de la liberté des journalistes. A la première, la réponse est donnée par l’examen des différentes manifestations des limites posées par le droit à la liberté de presse. Ces limites ressortissent à la fois des codes professionnels qui fondent la possibilité d’une autorégulation de la profession sur laquelle nous reviendrons ; de l’encadrement du fonctionnement des médias en raison de la nécessité de garantir le droit du citoyen à une information juste, équilibrée, diversifiée et honnête ; mais aussi en vue de préserver son honneur, sa réputation et sa vie privée ; et enfin des limitations relevant de lois nationales ou internationales dont les violation relèvent du ressort des cours et tribunaux.
A la deuxième question la réponse découle de la réponse précédente, à savoir qu’aucune activité, aucun citoyen ni aucun professionnel ne peut déroger à la loi du fait d’une quelconque spécificité, et le journaliste moins encore qui est soumis à l’exigence de faire coexister dans un même territoire les libertés les plus contradictoires. Dépénaliser serait au sens large synonyme d’immunité totale pour le journaliste, et au sens restreint, des accommodements raisonnables tenant à la protéger de peines privatives de liberté pour les délits de diffamation exclusivement. Quoiqu’il en soit, ce débat est encore loin d’être tranché, même si les experts réunis en mars 2007 à Kigali ont énoncé la deuxième hypothèse (Rapport de l’atelier n°3) et l’adoption de lois subséquentes est loin d’être à l’ordre du jour.
Un processus partagé : la régulation
L’adoption enthousiaste de la notion de régulation par les Africains s’est faite dans un contexte marqué, comme en France notamment, par l’abolition du monopole de service public et l’émergence corrélative des opérateurs privés. Le fonctionnement de la communication audiovisuelle s’est consécutivement organisé autour de la régulation, conçue comme la mission désormais confiée à des autorités administratives indépendantes mises en place pour se substituer à la tutelle des pouvoirs exécutifs. La multiplication de ces instances, depuis quelques années, frappe l’observateur par leur simultanéité, certes, mais aussi par leur duplicativité dans de nombreux pays et surtout leur caractère de rupture par rapport aux expériences occidentales dont elles ont pu parfois s’inspirer. De même, la nécessité ressentie partout de les harmoniser afin de mutualiser leurs expertises et leurs moyens constitue également une coordonnée inéluctable de leur évolution. (…)
Une nature protéiforme
Une tentative de caractérisation en un jet des figures imposées des instances de régulation africaines serait sans conteste vouée à l’échec, tant sont divers et atomisés les formes de créations, les dénominations, les compositions et le statut des membres, les missions et les champs de compétences de ces organes. On peut les regrouper autour des principes ci-après :
– un croisement de compétences politiques et réglementaires : alors que la compétence réglementaire s’exerce notamment en matière de campagne électorale dans le pouvoir de fixer les règles concernant les conditions de production, de programmation et de diffusion des émissions y relatives pour quelques instances comme celles du Bénin, du Burkina ou du Tchad, cette prérogative relève au Cameroun du ministre de la communication, l’avis du Conseil National de la Communication n’étant requis qu’à titre consultatif. Le Conseil veille au Gabon dans le cadre des élections et sous le contrôle du Conseil constitutionnel, à l’égalité du traitement des candidats et du temps d’antenne des partis politiques reconnus ; il prend également toutes décisions propres à garantir la protection de l’enfance et de l’adolescence dans la programmation des émissions de radios privées ou publiques et les rend exécutoire. De même, en Centrafrique le Haut Conseil de la Communication détermine les règles d’accès au marché publicitaire et délibère sur toutes les questions intéressant la presse et la communication. Mais on trouve dans tous les textes, des formulations beaucoup plus larges et plus vagues, telles l’encouragement à la défense et la protection de l’identité culturelle nationale (article 11 de la loi centrafricaine), l’encouragement à la créativité dans le domaine de la presse et de la communication (article 6 de la loi organique n° 92-021 du 21août 1992 du Bénin), la nomination ou la proposition de nomination des dirigeants des médias publics.
– des compositions très disparates : Entre le Haut conseil de l’audiovisuel et de la communication du Bénin, le Haut conseil de la communication de Centrafrique ou du Tchad, composés chacun de neuf membres, et le Conseil National de la Communication (Cameroun) qui a 18 membres, la taille des instances varie, mais plus encore le statut de leurs membres. Dans certains cas, comme au Bénin, au Gabon ou en Centrafrique, il y a incompatibilité des fonctions de membres avec tout mandat électif ou toute activité professionnelle lucrative publique ou privée, ce qui n’est le cas ni au Burkina Faso, ni au Cameroun.
– dans la plupart des cas, l’indépendance à l’égard de l’exécutif est recherchée voire affirmée, mais pas celle vis-à-vis des milieux professionnels, la référence à l’appartenance professionnelle étant même explicite.
Quelques problèmes
Le premier problème que croise le modèle de régulation africain est celui de sa position à l’égard des milieux professionnels, d’une part, et des milieux politiques d’autre part. Si l’observation est aujourd’hui confirmée de l’envahissement des milieux professionnels par une foule de flibustiers de la plume (« les moutons noirs » au Congo, les gombistes au Cameroun), cette particularité ne semble pas avoir imposé la nécessité d’une rupture des instances à l’égard de leur milieu de référence. Dans une situation où la production normative semble continue, il est d’autant plus difficile de définir la norme applicable que les réflexes des membres des instances semblent souvent aller vers la protection des milieux professionnels du journaliste, en portant même au débat public certaines des questions qui leur sont spécifiques et ne font pas en tout cas avancer la situation de la régulation (cf. le débat sur la dépénalisation des délits de presse).
Par ailleurs, les responsables des instances, animés par un idéal de liberté toujours plus grande (à quelles fins ?) et convaincus que le principal obstacle à cette extension des libertés est le pouvoir exécutif, semblent avoir fait de celui-ci la cible privilégié de leur bataille. Leur conception de l’indépendance devient donc le refus de toute influence du politique sur le fonctionnement de l’institution. Or cette vision ne peut être que peu productive dans la mesure où le soin de désigner les membres de l’instance est confié à des autorités qui sont pour la plupart politiques, et en tout les cas la légitimité sur laquelle ceux-ci se fondent pour asseoir leur autorité n’étant pas liée à l’équilibre politique des pouvoirs, leur existence devient un enjeu de pouvoir et elles-mêmes des acteurs politiques, soumis à la contingence de l’histoire et à la relativités des rapports de force politiques.
En outre, le caractère institutionnel et bureaucratique de leur fonctionnement tranche avec les pratiques culturelles de négociation qui fondent les sociétés dans lesquelles elles vivent. Et de plus, le fait que ces mastodontes tendent à multiplier les conflits institutionnels et les empiètements dans les domaines de l’administration judiciaire ou de l’exécutif, les rend suspects aux yeux des autorités politiques traditionnelles qui, pour l’occasion peuvent même se coaliser contre eux.
Enfin, la force de proposition desdites instances est faible, notamment en matière de contrôle du champ ouvert par l’Internet et les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Face à la difficulté que les législateurs éprouvent partout à déterminer les règles applicables autant qu’à les appliquer et devant l’extrême dépendance des pays vis-à-vis de cette toile, les instances ont peu contribué à la recherche de solution. Aussi le caractère hétérogène et multidimensionnel des services véhiculés sur l’Internet qui est au cœur de la thèse dite de la convergence apparaît-elle aux yeux des Africains comme un problème insusceptible de solution.
Quelques solutions
L’une des réponses possibles est d’envisager la possibilité d’une législation communautaire, à défaut d’être commune. Celle-ci est d’autant plus souhaitable que la perméabilité des frontières et la standardisation des techniques et des équipements portent en elles l’uniformité et la similarité des problèmes. Aussi bien concernant le contrôle des radios internationales, la gestion des discours de haine, les problèmes de contrôle des contenus des médias liés aux outrages, à l’injure ou à la diffamation, que s’agissant des différents services de l’Internet en ce qui concerne leur fourniture ou l’accès à ces services, une mutualisation des moyens et des expertises dans des espaces régionaux liés par des expériences historiques communes ou maillés par des accords politiques et économiques s’avère indispensable voire inévitable. Dans cette perspective, la voie ouverte par la création du RIARC tout comme la création d’un réseau d’instances francophones constituent un pas dans le sens de cette mutualisation des efforts en vue de l’érection d’un droit communautaire.
Il convient aussi de réaliser des accords bilatéraux autour de problèmes spécifiques, et de veiller à incorporer dans le dispositif des accords de siège, quelques unes des exigences liées au contrôle des médias internationaux, sur des questions telles que le discours de haine, l’appel à la violence ou à la sédition. Une régulation de l’ordre interne partielle à l’égard de certains éléments de l’Internet est également nécessaire pour faire écho à travers un réseau de corégulation, à la segmentation de l’objet à réguler.

1. Articles 3 et 36 de la loi camerounaise n°90/052 du 19 décembre 1990 ; article 1er (1) de la loi équato-guinéenne n° 13/1992 du 1er octobre 1992 ; article 1er de l’ordonnance n° 92-002/P-CTSP du Mali ; article 1er de la loi organique n° 92-021 du 21 août 1992 du Bénin
2. Cas de l’article 6 chap. 1, titre II de la loi centrafricaine qui précise qu’un journaliste est au sens de la loi, toute personne diplômée d’une école de journalisme et exerçant son métier dans le domaine de la communication
///Article N° : 7101

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