Le FIMA : miracle ou mirage ?

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C’est au milieu des dunes du désert de l’Aïr-Ténéré, au Niger, qu’a eu lieu, en novembre dernier, le premier Festival international de la mode africaine (FIMA). Un événement culturel hors du commun, tant par ses moyens techniques que financiers, qui pose plusieurs questions cruciales.

 » C’est certainement une folie de ma part d’organiser un tel événement. Mais c’est une folie positive pour ce continent et pour ce pays, le Niger, qui a souffert de 10 ans de rébellion.  » Comme un leitmotiv, à chaque conférence de presse, à chaque interview, le père du Fima, le célèbre créateur nigérien Alphadi (de son vrai nom Seidnaly Sidahmed Alpladi) n’aura eu de cesse de justifier son extravagante initiative : organiser un somptueux défilé de mode, rassemblant créateurs africains et occidentaux, là où personne ne l’aurait imaginé : quasiment au milieu de nulle part, aux portes du désert de l’Aïr-Ténéré, dans un magnifique théâtre de dunes de sable.
Difficile d’imaginer sans les avoir vus les gigantesques moyens techniques et logistiques déployés pour organiser ces trois jours de festival à Tiguidit, à une soixantaine de kilomètres d’Agadez, et à quelque 1000 km au nord de Niamey, la capitale nigérienne. Ce n’est rien moins qu’un véritable village qui a été bâti pour recevoir les quelque 1500 invités triés sur le volet, pour la plupart venus de France et d’Europe.
Pour accéder au site, 18 km de routes ont été tracés. Une multitude de tentes, construites par des femmes touarègues, ont été louées et installées par des ouvriers de la région. Au total, plus de 1400 personnes (700 femmes et quelque 700 techniciens qui ont travaillé sur place) se sont mobilisées durant un mois pour transformer une surface de 300 hectares de dunes vierges en un campement pour touristes. Avec 800 tentes pour deux personnes, quatre restaurants, des stands d’exposition et bien sûr, attenant à un large podium, le centre névralgique du site : une vaste cabine où se préparent le défilé et les essayages des soixante mannequins invités.
Festival de paradoxes
A tout point de vue, le Fima aura baigné dans une atmosphère surréaliste, comme si c’était par effraction que cet événement avait réussi à pénétrer le réel. Détonnant irrémédiablement dans son environnement. Il faut dire que la tenue de cette manifestation dans «  le plus beau désert du monde « , selon l’expression d’Alphadi, ne manque pas de paradoxes.
Paradoxe financier, tout d’abord. Ces trois jours de festival, dans une des régions les plus indigentes du globe, auront coûté entre 500 et 600 millions de F CFA (5 à 6 millions de FF) sans compter les investissements parallèles des sponsors.
Une antinomie culturelle saute aussi aux yeux. Dans ce pays musulman et conservateur qu’est le Niger, fallait-il oser faire défiler les mannequins quasiment nues ? Pas un créateur en effet qui n’ait présenté sa tenue  » sexy  » dévoilant ici les seins, là les cuisses des modèles.
Comble des hiatus, l’un des principaux sponsors du Fima n’était autre qu’une célèbre marque de Vodka d’Europe du Nord… qui avait choisi de faire livrer, jusque sur le sable de Tiguidit, 12 tonnes de blocs de glace à laisser fondre au soleil…. quand l’eau dans le désert est considérée comme le bien le plus précieux.
Par son prestige, le premier Festival international de la mode africaine (Fima) aura su cependant mobiliser des mécènes du monde entier. Comme rarement, jusqu’à présent, un événement culturel en Afrique était parvenu à le faire.
Parmi les partenaires étrangers, France Telecom a acheminé jusqu’aux dunes de Tiguidit une gigantesque antenne parabolique. Grâce à elle, se cachait sous une tente un véritable  » business center  » : une quinzaine de téléphones, fax et ordinateurs reliés à internet étaient à la disposition des invités.
Parmi la trentaine de sponsors au Niger, la Sonichar (Société nigérienne du charbon d’Anou-Araren) s’est chargée d’électrifier entièrement le site avec un groupe électrogène surpuissant. Des néons blancs dessinaient ainsi des allées d’un bout à l’autre du village et chaque tente possédait son installation électrique…
Prouesses techniques ou mégalomanie tapageuse ? De toute manière, une débauche de moyens pour trois jours de festival… Sans compter le transport par camions de tonnes de nourriture et de matériel de sonorisation et d’éclairage, et la centaine de 4×4 nécessaires pour transporter les festivaliers jusqu’au fameux site.
La bénédiction des politiques
Aussi prestigieux soit-il un simple défilé de mode n’aurait sans doute jamais pu bénéficier de tels moyens. Autant qu’une ambition culturelle, le Fima affichait plus ou moins clairement des objectifs socio-politiques. Au premier rang desquels : l’embellissement de l’image du chef de l’Etat nigérien, Ibrahim Baré Maïnassara, arrivé au pouvoir par un coup d’Etat en 1996, et de son gouvernement dans l’opinion internationale.
Ce dernier soutient en effet le rêve d’Alphadi depuis le début. Côté finances, l’Etat nigérien lui a accordé 30 millions de F CFA (300 000 FF) sur l’ensemble du budget du festival. Mais c’est surtout la caution personnelle et l’engagement effectif du président et de quelques membres du gouvernement (notamment Mme Aïssa Diallo, ministre du tourisme et de l’artisanat et M. Rhissa Ag Boula, l’ancien chef de la rébellion touarègue devenu ministre délégué au tourisme) qui ont permis la tenue de la manifestation dans la région d’Agadez, encore incertaine il y a peu. Sans eux, semble-t-il, le rêve d’Alphadi était condamné à demeurer une vision.
Dans toutes ses prises de parole publiques, le créateur n’aura d’ailleurs jamais manqué de tresser de solides lauriers médiatiques au pouvoir nigérien. Parfois à sa manière, comme lorsqu’il lance avec une spontanéité désarmante, à l’ouverture solennelle du défilé, devant les caméras et le chef de l’Etat présent :  » J’ai eu un président aussi fou que moi pour croire à ce projet ! (….)  » A quoi le président répond, montant à son tour sur scène pour prendre la parole :  » (…) Vous, Alphadi, vous êtes allés jusqu’au bout du mirage, vous l’avez réalisé (sic).  »
Officiellement, le Fima avait, entre autres, comme objectif de démontrer le rétablissement total de la paix, après dix ans de conflit, dans le nord du Niger. La signature, à N’Djamena, du dernier accord de paix entre un parti de la rébellion touarègue (le FDR, Front démocratique pour le renouveau) et le gouvernement remonte au 21 août dernier. Si quelques foyers de résistance demeurent, la grande majorité de la rébellion a désormais abandonné les armes. L’entrée au gouvernement de son ex-chef, M. Rhissa Ag Boula, en est le symbole. Aujourd’hui, la question cruciale de la réintégration sociale des rebelles se pose avec urgence.
Mêlant délibérément mode et politique, cette première édition du Fima se voulait  » une chance à la paix et au tourisme de revenir au Niger « . Une sorte de  » super célébration  » capable de relancer la région : de renforcer la paix, promouvoir l’artisanat local, entraîner le retour du tourisme, initier des partenariats de développement…
Population divisée
 » Nous n’avons pas d’école mais nous avons le génie ! Je dédie le Fima à mon peuple et aux créateurs africains qui ont beaucoup souffert pour la reconnaissance de leur art.  » Alphadi s’enflamme aisément pour décrire le talent de l’artisanat africain en général et nigérien en particulier.
A Tiguidit se sont retrouvées des coopératives d’artisans venues de tout le pays pour vendre leurs produits. Heureuses d’avoir été conviées à l’événement, nombre d’entre elles se disaient, à la fin de la manifestation, déçues par leurs ventes. Est-ce à cause d’un fâcheux vent de sable qui a soufflé le seul jour que les invités ont passé sur le site ?
La tenue du festival aura tout de même profité à près d’un millier d’habitants d’Agadez (hôteliers, menuisiers, électriciens, commerçants, familles touarègues qui ont loué et monté les tentes). Pour le reste, la population est apparue divisée sur le bien-fondé du festival. Tandis que les marabouts et les associations islamiques de la région se sont élevés contre ce qu’ils jugent une  » cérémonie de perversion « , les jeunes Nigériens au contraire ont applaudi massivement l’initiative, même si le prix du billet pour assister au défiler (150 000 F CFA soit 1500 FF) leur était totalement inaccessible.
Le spectacle si convoité et controversé à la fois a duré plus de trois heures. Sur un podium en forme de croix d’Agadez, 31 créateurs de trois continents, parmi lesquels une vingtaine de stylistes africains, ont présenté leurs œuvres. En alternance avec des intermèdes musicaux dont le piètre Opéra du désert, entièrement en play back, chanté par les vedettes Aïcha Koné, Nahawa Doumbia, Neil Oliver et Meiway, le seul à se sortir impeccablement de l’affaire.
Parmi les images les plus fortes du Fima 98 : celles des vrais Peuls bororo, debout dans le froid de la nuit, postés comme une toile de fond, de chaque côté du podium, torse nu, le visage maquillé, regardant avec un amusement incrédule les mannequins parader.
A la limite du rêve éveillé, par moments magique, le défilé chorégraphié avec talent par Douskhka Langhöfer, fut à la hauteur des attentes. Contrairement à l’organisation du festival qui s’est distinguée par de sérieuses lacunes. Des techniciens seraient restés deux jours sans manger. Aucune présentation entre les créateurs n’avait été prévue, pas plus qu’un Point Info du festival.
 » Demain, tout le monde repartira dans son pays sans avoir rencontré les autres « , regrettait une styliste à la fin du spectacle. Sans compter les nombreux désordres de l’accueil. Pour la majorité des invités, le Fima reste cependant une expérience enrichissante. Pour beaucoup, ce fut l’occasion de mettre les pieds pour la première fois en Afrique noire. Pour les professionnels de lier tout de même des contacts malgré l’absence de coordination. Mais en regard des sommes colossales investies, qu’est-ce que le Fima aura apporté à long terme au Niger, si ce n’est l’éclat rehaussé de ceux qui jouissaient déjà, de fait, des fruits du prestige : Alphadi et le président Baré ?
Y aura-t-il d’autres éditions de ce Festival international de la mode, comme le souhaite son initiateur Alphadi qui voudrait en faire un rendez-vous biennal ? Rien n’est encore sûr mais cela n’empêche pas de répondre à quelques questions que soulève déjà la première édition. Est-ce légitime en Afrique d’investir autant de moyens financiers dans un seul événement prestigieux, à fortiori aussi éphémère ? Les artistes africains doivent-ils continuer à promouvoir des régimes politiques ? La création contemporaine sur le continent cessera-t-elle d’avoir besoin de la reconnaissance de l’Occident pour exister ? Quelles sont les retombées concrètes du Fima au Niger ? Autant de questions que cette édition du Festival international de la mode africaine aura au moins eu le mérite de poser crûment.

Les principaux bailleurs de fonds du FIMA : l’Union européenne, l’ACCT (désormais dénommée Agence de la francophonie), Afrique en Créations et les ministères de la Coopération de trois pays : la France, le Gabon et…. la Chine !
Les créateurs invités au FIMA
– Angy Bell (Côte d’Ivoire)
– Collé Sow Ardo (Sénégal)
– Dasha (Sénégal)
– Dou Couture (Mali)
– Eric Raisina (Madagascar)
– Juliette Ombang (Cameroun)
– Kofi Ansah (Ghana)
– Makeda (bijoux, Côte d’Ivoire)
– Melanie Hartfeldt (Namibie)
– Mickaël Kra (bijoux, Côte d’Ivoire, France)
– Nawal El Assad (Côte d’Ivoire)
– Olga O. (Gabon)
– Oumou Sy (Sénégal)
– Pathé O. (Côte d’Ivoire)
– Pepita D. (Bénin)
– Rajah Gavin (Afrique du Sud)
– Xuly Bet (Mali/France)
– Zineb Joundy (Maroc)
– Thierry Mugler (France)
– Paco Rabanne (France)
– Kenzo (Japon/France)
– Christian Lacroix (France)
– Trussardi (Italie)
– Issey Miyake (Japon)
– Fred Sathal (France)
– Yves Saint-Laurent (France) ///Article N° : 657

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Les images de l'article
Alphadi © Thomas Dorn
Model de Dasha © Thomas Dorn
Michael Kra et Kadidja © Thomas Dorn
Le site © Thomas Dorn





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